Les Quebecor sont très en colère, ce qu’ils ont manifesté devant le siège du groupe Quebecor France. Pourquoi ?
Pierrick Vannier - En avril 2005, Quebecor France a vendu le site de Torcy (Seine-et-Marne) pour un euro à un cadre dirigeant de l’entreprise, Jean de Carvalho : c’est devenu JDC Imprimerie. Mais cette vente s’est faite dans le cadre d’un contrat de sous-traitance : si JDC amenait 5 % de chiffre d’affaires et Quebecor le reste, la nouvelle société était viable. Dès le mois suivant, en mai 2005, le chiffre d’affaires a chuté de 20 %, Quebecor n’assurant pas le niveau de commandes promis. En décembre 2005, les commissaires aux comptes de JDC ont alerté le tribunal de commerce, qui nomma un mandataire ad hoc comme médiateur entre JDC et Quebecor. Le 3 juillet 2006, JDC dépose le bilan. En août 2006, la direction engage un plan de restructuration : 73 des 220 salariés doivent être licenciés. Après plusieurs actions et une table ronde, Quebecor s’est engagé à apporter du travail pour faire fonctionner quatre machines (1,2 million d’euros). Début novembre 2006, les 73 suppressions de postes ont été effectives (avec quelques reclassements).
Les engagements n’ont-ils pas été tenus ?
P. Vannier - On est sur le point de fermer. S’il reste quatre machines, il n’y a du travail que pour trois, et encore, il y a des moments où rien ne tourne. En fait, Quebecor joue avec JDC et nous étrangle progressivement. 80 % des commandes sont fournies par le groupe Quebecor. Au tribunal de commerce, le président a donné deux mois supplémentaires afin de trouver un plan industriel et un nouveau rendez-vous est fixé au 5 mars prochain. Si rien n’a évolué d’ici cette date ce sera la liquidation pure et simple.
Le groupe Quebecor est-il lui-même en difficulté ?
P. Vannier - Pas du tout. C’est le numéro deux mondial de l’imprimerie. Il a fermé Strasbourg l’année dernière et il veut fermer Lille aujourd’hui. Il se redéploie en Belgique, en Espagne et en Angleterre avec des financements publics. Les dirigeants veulent complètement restructurer Quebecor France. Grâce à la création de JDC, ils peuvent se débarrasser du site de Torcy sans plan social. JDC n’a plus de trésorerie et Quebecor n’aura rien à payer pour la liquidation de la boîte. Les pouvoirs publics, eux, laissent faire.
Où en est la mobilisation des salariés du groupe ?
P. Vannier - Elle est relative. Aujourd’hui, il n’y a que Lille et Torcy qui sont mobilisés. Mais on n’est pas les seuls. D’autres unités sont menacées comme à Mary et à Claye-Souilly (Seine-et-Marne), la Loupe (Eure) et Hélio-Corbeil (Essonne). Sans compter les retombées, à terme, sur la brochure et le routage, qui sont groupés à Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Si on pouvait les rassembler, si on arrivait à bloquer toute la production, on pourrait peser sur les projets de la direction au lieu de se faire démolir les uns après les autres.
Contrairement à JDC Torcy, l’imprimerie de Lille est membre à part entière du groupe Quebecor. Quelle est sa situation ?
Grégory Aubin - Il faut revenir au 18 octobre 2006, lors de l’annonce de la fermeture du site de Lille. L’accord de méthode pour permettre à la négociation d’aboutir se fixe le 30 janvier 2006 comme date butoir. Sans être hostile par principe à tout repreneur, on refuse les licenciements. Mais, pour le moment, on négocie un plan social au meilleur coût. On exige une préretraite payée par Quebecor pour les plus de 50 ans, le droit à la formation pour tous, un complément de salaires pendant trois ans (ATD), un congé de reclassement de neuf mois, l’embauche des intérimaires, soit 40 salariés en plus des 230 en fixe, et une prime de préjudice calculée à partir de l’équivalent du montant des javascript:barre_raccourci(’’,’’,document.formulaire.texte)ponctions faites par la direction sur la trésorerie de l’entreprise, versées entre autres en dividendes aux actionnaires. Cela fait un montant de 67,6 millions d’euros.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
G. Aubin - On a obtenu la préretraite à 55 ans pour les salariés travaillant en équipe, un complément de salaire de 400 euros par mois pendant deux ans, le congé de reclassement à son maximum légal, soit neuf mois pour les plus de 50 ans et six mois pour les plus jeunes. Pour le moment, on n’a pas pu obtenir l’embauche des intérimaires, mais la direction propose à la place une prime dont le montant n’est pas encore fixé. Pour la formation, nous avons obtenu une enveloppe de 800 000 euros pour 219 salariés, ce qui représente environ 3 500 euros par salarié. On sait bien que ce n’est pas dans l’imprimerie que l’on va retrouver du travail... Pour la prime de préjudice, ils proposent 25 000 euros par salarié, et même 35 000 euros si le salarié s’en va sans plan social. C’est d’ailleurs illégal et, pour le moment, personne n’accepte. Si l’usine doit fermer, on veut le plan social et la prime de préjudice. Enfin, ils proposent 15 000 euros de prime en plus pour tout salarié qui crée son entreprise.
La situation semble très inégale d’un site à l’autre du groupe...
G. Aubin - Oui. On tire les leçons de ce qui s’est passé. À Strasbourg, le site a fermé l’année dernière ; il n’y a pas eu de lutte, et les salariés n’ont quasiment rien obtenu. À JDC, ils ont vendu le site à un cadre qui n’a aucune réserve financière et les salariés se sont fait avoir. Nous, en cas de fermeture du site de Lille, on veut que Quebecor paie le maximum. Cela servira de leçon pour tous les autres sites menacés.
Que veut faire Quebecor ?
G. Aubin - Le groupe Quebecor veut se désengager en France en restructurant au maximum. Le groupe international a réalisé de superbénéfices en 2005 : 68 millions de dollars de bénéfices nets. Et la branche imprimerie de Quebecor, 19 millions de dollars nets. Sur le seul troisième trimestre 2006, l’augmentation des bénéfices a été de 49 %. Mais le PDG du groupe mondial a demandé une accélération des restructurations en France, afin de dégager plus de marge et de financer un plan d’investissement de 86 millions de dollars aux États-Unis.