Quelque 130 000 Hongkongais ont battu le pavé le 28 avril, au cours de la plus grande manifestation qu’ait connue la région administrative spéciale (RAS) depuis le mouvement des parapluies de 2014. Cette forte mobilisation protestait contre un amendement à la législation hongkongaise sur l’extradition. Si ce dernier est approuvé par le Conseil législatif, il doit permettre d’extrader des individus recherchés par des pays n’ayant pas d’accord d’extradition avec Hong Kong – y compris la Chine et Taïwan. Les objections à cette réforme montaient en puissance depuis le mois de février, dans les milieux politiques démocrates et libéraux comme dans ceux des affaires, tous s’inquiétant de l’implacabilité des juridictions chinoises.
Le nombre de manifestants du 28 avril est contesté – ils n’étaient que 22 800 selon les autorités – mais il semble que le mouvement d’opposition a connu un renfort significatif des Hongkongais révoltés de la condamnation à des peines de prison ferme, infligée le 24 avril à plusieurs leaders du mouvement des parapluies. Selon le fondateur du Parti démocrate et ancien député Martin Lee, cité par le quotidien Shunpo (Hong Kong Economic Journal), “l’affluence a dépassé les prévisions, peu ou prou du fait de la condamnation des neuf du mouvement Occupy Central [le mouvement des parapluies]”. La dernière manifestation n’avait rassemblé que 12 000 personnes, 5 000 selon la police.
Des peines de prison qui renforcent les clivages
Quelques jours après cette condamnation, l’émotion reste vive dans la RAS, où beaucoup restent sidérés de l’attitude des juges. “Présenter le mouvement des parapluies comme une conspiration contredit les faits”, commentait ainsi le 28 avril le chroniqueur Philip Bowring dans le South China Morning Post. “Parti d’un petit groupe, le mouvement avait évolué vers des manifestations de masse qui ont largement évincé les initiateurs du début. La clarté des intentions de Benny Tai [l’un des condamnés à seize mois de prison] et de ses compagnons contrastait avec le secret d’un Parti communiste qui n’existe pas officiellement ici, mais qui conspire activement pour affaiblir ceux qui cherchent à renforcer la formule ‘un pays, deux systèmes’”, écrivait-il en faisant référence aux garanties données à la RAS pour le maintien de l’État de droit lors du retour de Hong Kong à la Chine en 1997.
Dans le camp des partisans de Pékin à Hong Kong, les deux grands journaux que sont le Wenweipo et le Ta Kung Pao vilipendent la manifestation du 29 avril et leurs initiateurs. Le Wenweipo affirme ainsi dans un court article que le camp de l’opposition à l’amendement “répand des rumeurs et des mensonges politiques, pour fabriquer et exacerber les craintes”. Le Ta Kung Pao estime de son côté que “la production de fausses nouvelles par l’opposition s’accentue, ce qui souligne l’urgence de cet amendement : plus le séparatisme s’étend, plus l’amendement est nécessaire”.
Inquiétudes des démocrates et des pays étrangers
En revanche, la communauté internationale, “par la voix de ses consulats à Hong Kong, a émis des déclarations remettant en cause cet amendement. Le département d’État américain l’a aussi critiqué, en estimant que l’adopter reviendrait à laisser le pouvoir chinois revendiquer le transfert de quiconque de Hong Kong vers le continent”, écrit l’Apple Daily dans son éditorial.
Le quotidien rappelle que c’est l’impossibilité de renvoyer à Taïwan un homme pour y être jugé pour meurtre qui est à l’origine du projet. Et que si la Chine n’avait pas été citée dans les textes sur l’extradition rédigés en 1997, c’était pour protéger les résidents de Hong Kong des abus et des manquements de la justice chinoise. “La législation avait pour but de renforcer les garanties hongkongaises, et d’empêcher les autorités du continent d’appliquer leur pouvoir à Hong Kong.”
Une fuite sans fin vers des territoires plus démocrates
Quoi qu’il en soit, la crainte de l’extradition a été suffisante pour inciter un libraire hongkongais, Lam Wing-kee, à “s’exiler à Taïwan”, selon ses propres termes. “Moi qui ai fait l’objet d’un avis de recherche, si ce règlement passe, je vais me faire avoir, mieux vaut partir”, a-t-il déclaré, rapporte l’Apple Daily. Lam était l’un des cinq libraires ayant publié des livres critiques pour le régime chinois et enlevés par la Chine en 2015. Certains n’ont été relâchés qu’après avoir fait des aveux télévisés.
Comme l’écrit l’éditorialiste chinois en exil Chang Ping dans un commentaire sur le site en chinois de la Deutsche Welle, “hier, on fuyait de Chine vers Hong Kong. Maintenant, on fuit de Hong Kong vers Taïwan. Et demain, vers où fuiront les Taïwanais ?”
Agnès Gaudu
Courrier International
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