Derrière le « registre national des citoyens », mis en place dans l’Etat de l’Assam en 2015, se cache une immense base de données rassemblant les informations personnelles de près de 32 millions d’habitants. Age, adresse, liens de parenté… tout a été consigné à la main et dans plusieurs langues, avant de pouvoir être exploité par un logiciel créé sur mesure. Pendant quatre ans, 2 500 fonctionnaires ont travaillé à plein temps pour constituer ce registre, et jusqu’à 500 000 ont été mobilisés, à certaines périodes, pour collecter les millions de documents nécessaires et vérifier leur authenticité auprès des 75 000 autorités ou institutions qui les ont émis.
« Ma seule mission est de dire la vérité sur la nationalité des résidents », affirme Prateek Hajela, chargé de la mise en place du registre. A Guwahati, la capitale de l’Assam, l’entrée du bureau flambant neuf de son administration est protégée par un système de reconnaissance d’empreintes digitales. Diplômé de l’Indian Administrative Service (l’équivalent de l’ENA française) et de la prestigieuse école d’ingénieurs IIT de Bombay, le haut fonctionnaire travaille au moyen de multiples tablettes électroniques. « Dans l’Assam, explique-t-il, la nationalité se transmet par les parents qui y étaient résidents avant le 24 mars 1971 à minuit, alors que dans le reste de l’Inde, elle s’acquiert à la naissance. »
« Ma seule mission est de dire la vérité sur la nationalité des résidents »
Prateek Hajela, haut fonctionnaire
Le logiciel repère les fraudes en reconstituant les arbres généalogiques de chaque famille. « Il arrive qu’un immigré illégal paie un citoyen de l’Assam pour que ce dernier le déclare comme son parent, et fasse ainsi son entrée au registre des citoyens, note Prateek Hajela. Si tous les autres membres de la famille ne mentionnent pas dans leurs liens de parenté l’identité de cet individu, celui-ci est considéré comme suspect. » A la suite de quoi, il sera « convié » au bureau de l’administration locale pour une confrontation avec sa prétendue famille. La rencontre est filmée pour éviter toute tentative de corruption du fonctionnaire présent.
Les écueils sont nombreux qui peuvent entraver la constitution du registre. Outre les faux documents, il y a ceux, authentiques, obtenus contre un pot-de-vin, les usurpations d’identité, les noms orthographiés différemment selon les certificats… Prateek Hajela se méfie aussi des listes électorales : « Un immigré clandestin peut très bien acheter un certificat auprès du maire du village ou un permis de conduire, et ainsi obtenir son inscription sur la liste. » Plusieurs documents doivent donc être vérifiés et recoupés pour être validés.
« Une forme de crime organisé »
Une vaste campagne de communication a été organisée pour expliquer aux habitants le fonctionnement du registre des citoyens. Une publicité montre par exemple une domestique, immigrée clandestine, demander à ses employeurs de l’inscrire illégalement comme membre de leur famille. « On surveille aussi la réaction de la population vis-à-vis du registre national des citoyens par une analyse fine des mots-clés publiés sur les réseaux sociaux », témoigne une responsable du département qui souhaite conserver l’anonymat. D’après elle, la Cour suprême a émis un avis selon lequel l’immigration a atteint une telle proportion qu’elle représente désormais « une menace » pour l’Assam. Il s’agit finalement, ajoute-t-elle, « d’une forme de crime organisé ». Sur une population de 32 millions d’habitants dans l’Assam, 4 millions ont été exclus du registre publié en juillet 2018. Ceux-là ont dû alors fournir des documents supplémentaires, allant parfois chercher leur acte de naissance dans des villages situés à l’autre bout du pays. Une mise à jour doit être communiquée en juillet.
Julien Bouissou (Guwahati (Inde), envoyé spécial)