Nairobi est un bon plan pour un correspondant de presse étranger. Non seulement il y a toujours des vols réguliers pour le “génocide” le plus proche, mais il y a aussi des pelouses, des courts de tennis et du petit personnel compétent. Vous pouvez y recevoir des cadeaux à des fins électorales et obtenir qu’un excellent chef pâtissier appelé Elijah (j’ai oublié son nom de famille) vienne officier dans votre cuisine pour 240 euros par mois.
Si vous travaillez pour un grand journal, pour une grande télévision ou radio, il y a des chances que vous viviez à Nairobi ou à Johannesburg [pour les journalistes anglo-saxons]. Pour faciliter votre travail, vous devez avoir en mémoire dans votre téléphone les numéros des directeurs locaux d’organsiations non-gouvernementales (ONG) européennes comme Oxfam et Save the Children. Il n’est pas difficile de trouver ces numéros : ces responsables comptent probablement parmi vos voisins ou vos partenaires de tennis.
“Vous êtes quelqu’un de bien”
Si votre conjoint vient d’arriver au Kenya et n’a pas de travail, il ne tardera pas se faire des relations et à gagner un bon salaire en livres, en euros ou en dollars en s’assurant que les bébés africains sont en sécurité, que les animaux africains sont gardés hors de portée des Africains, que la femme africaine est protégée de l’homme africain, et que les organes génitaux africains bénéficient des préservatifs et de l’éducation recommandés par les programmes de sensibilisation. Et cela parce que vous êtes quelqu’un de bien, que vous croyez au multiculturalisme et que vous êtes convaincu que les politiciens incarnent le mal.
Vous êtes un enfant de l’âge des droits de l’homme. Un enfant de l’après-guerre froide. En cette époque dépourvue d’idéologie, les problèmes de couleur de peau sont dépassés : la question d’actualité en Afrique est de savoir où en est la liberté des homosexuels. Toutes les connaissances nous sont fournies par les ONG. Ces organisations parlent des droits de l’homme et c’est parce qu’elles le font que nous savons qu’elles sont bienfaisantes, objectives et fiables.
Ce garçon du Malawi a un “beau sourire”
Si un correspondant étranger a besoin de savoir ce qui se passe exactement au Soudan, son déjeuner hebdomadaire avec le responsable d’Oxfam le renseignera sur les questions les plus urgentes. Comme, dans votre monde, la grande histoire est morte avec la chute du mur de Berlin, il ne reste à couvrir que la petite histoire de l’Afrique. Cette petite histoire est pleine de flambées de joie, mais elle connaît aussi des horreurs absolues qui viennent troubler ce monde terne et inoffensif.
Un petit garçon du Malawi a fabriqué une radio. Une vraie radio. Il a un beau sourire. Oussama Ben Laden ou l’un de ses acolytes fait exploser un train, un avion et tue des innocents, et cette nuit-là vous dormez tranquillement. Tout ce monde terne et inoffensif dort tranquillement.
Il existe cinq ou six territoires qui n’ont pas été pleinement pacifiés aux yeux du monde dirigé par les vainqueurs de la guerre froide : la Corée du Nord, la Kadhafi (le problème a été réglé), la Somalie, l’Afghanistan, les femmes africaines et les Chinois les plus pauvres, qui travaillent dans des conditions terribles. De vastes régions où l’Histoire est toujours vivante, comme la Russie, la Chine, le Moyen-Orient, sont diabolisées.
Plus d’un ou deux correspondants en Afrique
Dans les années 1980, votre journal avait probablement des correspondants dans beaucoup de pays africains. Aujourd’hui, il n’en a plus que deux : un pour l’Afrique de l’ouest et l’autre pour l’Afrique de l’est (la “corne”), voire un seul – pour l’Afrique –, basé à Johannesburg. [Pendant la guerre froide], certains pays africains étaient dans un camp, certains autres dans l’autre camp. On ne pouvait les ignorer.
Comme il n’y avait pas de vainqueur, les grandes puissances devaient lutter pour obtenir la sympathie, l’adhésion et les ressources minières de tous. Tout ce qu’un président africain avait à faire, était de suggérer qu’il allait changer de camp et il obtenait amour et Smarties, déversés sur sa maison par des avions des Nations unies.
Trois Afriques
En 1991, l’Afrique a cessé d’exister. Le monde n’était plus en danger, et les vainqueurs pouvaient concentrer leurs efforts sur les questions de prise en charge et la pratique du lexique de l’assistance. Si l’on dressait une nouvelle carte de l’Afrique, elle serait divisée en trois secteurs :
1) les flambées d’horreur : Mugabe [au Zimbabwe], régimes antidémocratiques, guerres, Somalie, Congo
2) les flambées de joie : Mandela, Coupe du monde, safaris, Baby 4 Africa (une petite ONG qui fait des choses formidables avec des bébés noirs qui se tortillent allégrement dans les mains de leurs sauveurs blancs qui les ont arrachés à la guerre) – mes associations favorites sont clitoraid.com et Knickers 4 Africa, qui collecte des slips usagés pour les femmes africaines
3) et puis tout le reste : l’Afrique de base ! Celle-ci est idéale pour découvrir du pays car c’est la véritable Afrique – pas d’AK47 pour vous embêter ni de groupes de touristes allemands. Les gens ordinaires n’ont d’autre perspective que d’attendre la venue des agents du développement durable – européens – pour les aider à se prendre en charge.
Essor des médias africains
Mais ce qu’on ne peut pas dire, c’est que l’Histoire a fait un bond dans le présent. Le capitalisme tremble sur ses bases, et soudain les populations locales ont du pétrole, du cuivre et des mains motivées par l’ambition. Le continent est prêt pour de nouveaux partenariats, de nouveaux capitaux, de nouvelles poignées de mains. La Chine n’est pas un ange, mais pour elle nous représentons une part essentielle de ce que le monde doit devenir.
Il n’est pas surprenant qu’une vaste classe moyenne soit en train d’apparaître sur tout le continent africain. Les médias britanniques, américains et européens nous ont perdus. Les nôtres sont en plein essor, et nous signons des contrats avec la chaîne chinoise CCTV et Al-Jazira. Nous voyageons sur les lignes Emirates et Kenya Airways. Nous concluons des accords avec ceux qui considèrent qu’un avenir commun dynamique peut constituer une base de dialogue.
Binyavanga Wainaina
The Guardian
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