Le 14 novembre dernier, la direction a annoncé au comité d’entreprise (CE) son projet de fermeture, en vous demandant de garder l’information secrète... Quelle a été votre réaction ?
Francisca Bouquey - Nous sommes écœurées. Après 30 ou 40 ans d’entreprise pour certaines, on est jeté à la rue parce qu’on ne rapporte pas assez de profits aux actionnaires du fonds de pension italien qui possède Aréna. On a tout de suite informé le personnel et rendu l’information publique. Cela a créé un émoi dans la région et nous avons pris contact avec les élus, pour qu’ils prennent position, qu’ils se mouillent.
Arlette Lafon - En fait, cette fermeture était loin d’être une surprise. Surtout depuis le plan social de 1993 qui a supprimé 50 postes. En 1998, Aréna a connu une première délocalisation en Tunisie qui n’a pas eu de conséquence directe sur les emplois à Libourne. C’était prétendument pour maintjavascript:barre_raccourci(’’,’’,document.formulaire.texte)enir l’emploi qu’une partie de la production devait être assurée par des salariés tunisiens payés une misère...
Arena, le deuxième leader mondial du maillot de bain, une production haut de gamme, une marque prestigieuse qui a comme ambassadrice la championne Laure Manaudou... qu’en est-il pour vous ?
A. Lafon - Des salaires au Smic. Après 41 ans d’usine, je touche un salaire à peine supérieur au Smic. Avant, quand la marque était Adidas, les salaires étaient plus corrects, avec intéressement et participation. Aujourd’hui, la logique financière a pris le dessus avec le rachat d’Aréna par un fonds de pension italien. C’est tout notre travail, à Libourne, qui a permis la croissance d’Arena depuis le début des années 1990, et qui lui permet de réaliser des chiffres d’affaire record depuis 2004. Nous sommes très qualifiées, mais pas reconnues et pas payées. C’est le problème du textile.
Christiane Bouchon - Depuis le plan social de 1993, des filles sont passées à 32 heures avec perte de salaire. Il faut toujours plus de rendement. Beaucoup d’ouvrières n’arrivent pas à le tenir. Depuis quelques années, il y a beaucoup plus de maladies professionnelles, sans compter les dépressions. L’encadrement exerce une pression à la limite du harcèlement. Les arjavascript:barre_raccourci(’’,’’,document.formulaire.texte)rêts maladie se multiplient. L’usine est devenue invivable.
La direction prétend que vous n’êtes pas assez rentables, que vous coûtez cher...
A. Lafon - L’ancien directeur a quitté l’usine en septembre et on nous avait promis qu’il y aurait un remplaçant. En fait, on nous a menti, ils avaient déjà décidé la fermeture. Ils nous ont imposé tous les sacrifices, la rentabilité, les baisses de salaires pour maintenant nous jeter à la rue. Préault, le directeur d’Arena France ne manque pas de nous rappeler « qu’il y a toujours un écart de coût de production de 40 % entre un maillot fabriqué en France et un fabriqué dans un pays à bas coûts ».
Aujourd’hui, la direction ne laisse planer aucune illusion sur la fermeture. Comment envisagez-vous la suite ?
F. Bouquey - On est déterminé à lutter. On n’a jamais arrêté de se battre et de résister. Il fallait se battre à chaque sortie de modèle, parce que le patron voulait à chaque fois nous imposer un rendement supérieur. Le problème c’est que, comme beaucoup d’entreprises, celle-ci est devenue une simple pompe à fric et on n’a plus d’interlocuteurs. C’est les fonds de pension qui imposent leur logique financière. L’ensemble du personnel est mobilisé, représenté face à la direction par l’intersyndicale CFDT-CGT-FO.
C. Bouchon - 90 % du personnel ont toujours travaillé dans la confection et ne sait faire que ça. Passée la cinquantaine, après 30 ou 40 ans d’usine, on a peu de chances de retrouver un travail. La direction n’a même pas répondu aux généreuses propositions financières des pouvoirs publics pour maintenir le site. Donc, elle doit payer. Les négociations portent sur les reclassements, la formation et les indemnités de licenciement. Pas question d’accepter des reclassements en CDD de quelques mois, ni leurs formations bidon. Et au niveau des indemnités, pas question de se contenter du minimum prévu par la loi, comme le propose la direction.
F. Bouquey - Les débrayages se sont succédé lors des réunions de CE. Dimanche 14, nous sommes descendues à plus de 400 dans les rues de Libourne, sous notre banderole « L’or pour Manaudou, le chômage pour nous », et avec nos pancartes « Tout pour le profit, rien pour les salariés ». La manifestation a été un succès. Les collègues, les familles et beaucoup d’anciennes d’Arena, ont largement répondu à l’appel. Elle a été préparée avec le comité de soutien qui s’est créé avec les organisations syndicales, les partis politiques et les organisations du mouvement social.
A. Lafon - Le local où sont stockés les maillots est occupé jour et nuit et nous empêchons le chargement des camions vers les points de vente qui ne sont donc plus approvisionnés. C’est une vraie épine dans le pied de la direction. La production continue mais tout le monde débraye à l’arrivée des camions. Mercredi 24 janvier, 80 d’entre nous ont manifesté à Paris, devant l’Assemblée nationale, avec nos camarades du textile, de Well, Aubade et Dim, frappés aussi par les délocalisations et les licenciements. Ségolène Royal nous a reçues rue de Solferino et, même s’il y a peu d’illusions à se faire sur l’engagement des politiques, c’était un moyen de plus de se faire entendre, ce qui n’a pas plu du tout à la direction. Le lendemain, les salariés se sont prononcés à l’unanimité pour le refus du CE de signer le plan social. La direction augmente la pression pour nous diviser et nous décourager et cherche une occasion pour en finir avec l’occupation. Mais elle n’a pas encore emporté la partie.