Infographie Le Monde
C’est, pour la France, une démonstration de puissance, et le lancement du Suffren, le sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de nouvelle génération de la marine nationale, doit se tenir en grande pompe à Cherbourg (Manche), vendredi 12 juillet, en présence du président de la République. La précédente cérémonie du genre remonte à 2008, pour le sous-marin lanceur d’engins le Terrible.
Premier d’une série de six navires, fruit de millions d’heures de travail sur les chantiers du constructeur national Naval Group, le Suffren marque une rupture technologique et stratégique par rapport aux SNA de la classe Rubis, mis en service entre 1983 et 1993. Et pour la défense, le programme représente un effort considérable, 9,1 milliards d’euros sans compter de très lourdes rénovations d’infrastructures à Brest et Toulon. Les quatre premiers SNA seront livrés d’ici à 2025, les deux suivants d’ici à 2029.
A la tête du tout premier équipage d’essais du navire, 90 marins plus expérimentés que la normale – ils seront 65 une fois en phase opérationnelle. Le commandant Axel Roche, 41 ans, confie au Monde : « Le moment est fantastique, très enthousiasmant. L’équipage a une motivation incroyable pour partir en mer. Cette génération de sous-marins va vivre jusque dans les années 2060. Je me sens un peu comme un navigateur au long cours dans une marine qui part pour un tour du monde de quarante ans. »
« Déployé plus loin, plus longtemps, plus vite »
Le commandant Roche juge les innovations du bateau « phénoménales ». Des sonars « cinq fois plus performants », une discrétion acoustique « dix fois supérieure », une autonomie plus large (soixante-dix jours de vivres, contre quarante-cinq pour les Rubis), un système de combat entièrement digitalisé, un véhicule autonome pour les commandos, et de nouvelles armes – les sous-marins Suffren pourront frapper à terre à 1 000 km avec des missiles de croisière.
« La marine a commandé un sous-marin qui doit être déployé plus loin, plus longtemps, plus vite, dans des conditions plus extrêmes. Nous validerons bientôt les installations en mer devant Brest mais j’ai en tête que nous irons franchir le détroit de la Sonde [entre les îles indonésiennes de Java et Sumatra] dans quelques années. Demain nous irons en mer de Chine et dans le Pacifique. »
Les marins ayant servi sur les Rubis, quadragénaires, soulignent qu’il était temps que la nouvelle génération arrive. « A l’époque de la transition entre les sous-marins diesel et les nucléaires, les anciens ont dû, comme nous, se demander si les suivants allaient continuer à suivre nos us et coutumes. Mais nous n’avons pas de doute sur le niveau technique. Nous serons pris au sérieux ! », confie un officier marinier qui a plongé pendant plus de quinze ans. « C’est vraiment un beau bébé, on joue de nouveau dans la cour des grands », entendu Américains et Russes, ajoute un ancien maître de central.
Sur le modèle américain
La mise à l’eau du vaisseau noir sera progressive. Les bassins de Cherbourg seront remplis d’ici la fin juillet. Le cœur nucléaire du Suffren sera chargé en septembre puis mis en route en fin d’année. Les premiers essais en mer pourront alors avoir lieu, au premier trimestre 2020, avant que le navire rejoigne l’escadrille des SNA de Toulon, à l’été de cette même année.
Dans les premières réflexions sur le sous-marin d’attaque du futur, en 1992, et alors même que le Perle, dernier-né de la classe des Rubis, n’était pas encore opérationnel, la défense rêvait d’un navire beaucoup plus gros avec des tubes à missiles verticaux, sur le modèle américain. Mais un sous-marin d’attaque se conçoit toujours au prix de la tonne d’acier, et la France a encore opté pour un bateau de taille réduite en comparaison de ses alliés ou adversaires. Le Suffren, en conséquence, est plein comme un œuf. Ses espaces de vie demeurent tout aussi réduits que ceux de ses pères : 1 m2 habitable par homme.
« Le lancement du Suffren est le signe que l’industrie française [...] possède un très haut niveau de technologie. »
Le programme Barracuda a pris trois ans de retard, après avoir buté sur des problèmes de compétences. « La dimension humaine est cruciale dans la mise au point d’un objet d’une telle complexité », souligne l’actuel directeur du programme chez Naval Group, Vincent Martinot-Lagarde. « Il s’est passé onze ans depuis la sortie du Terrible, et nous comptons de sept à huit ans d’interruption dans le travail de production » entre les deux générations de sous-marins.
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La construction devait réussir néanmoins, car la France commence à désarmer les Rubis. La maîtrise d’ouvrage du programme appartient à la direction générale de l’armement et au Commissariat à l’énergie atomique, avec TechnicAtome pour le réacteur compact du Suffren, dont la puissance représente 1 % de celle d’une centrale civile.
« Le lancement du Suffren est le signe que l’industrie française, après s’être énormément contractée ces dernières années, possède un très haut niveau de technologie », se réjouit Christophe Dufour, directeur des programmes sous-marins chez Naval Group entre 2009 et 2015. « C’est un aboutissement collectif incroyable de milliers de personnes », estime cet ingénieur. A présent, c’est à la marine que se pose le défi de recruter et former les ressources humaines nécessaires.
Pour le grand public, une image d’Epinal va disparaître, celle du « pacha » agrippé à son périscope, les yeux collés à la lunette. Le périscope pénétrant la coque disparaît, remplacé par des mâts optroniques et des écrans. « Le poste de conduite et le central opérations ne font plus qu’un, dans un open space, on s’approche de l’image d’une navette spatiale », décrit le capitaine de frégate Roche. « Il ne sera plus au périscope, mais on a conservé un siège central pour le commandant. Dans cette configuration plus ergonomique entre le sonar, le système de combat, le poste de pilotage, le dialogue sera meilleur entre nous. »
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Nathalie Guibert