Avec 9,1 milliards d’euros en 2018, en augmentation de 30 % par rapport à 2017, les ventes à l’étranger de matériels de guerre français témoignent d’« excellents résultats », se félicite le gouvernement. Son rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armement a été rendu public mardi 4 juin. En la matière, la France vend de tout, sur tous les continents, s’appuyant sur une industrie nationale très solide. En 2018, 50 % des commandes ont émané du Moyen-Orient, un volume en recul de 10 points, et 15 % en Asie-Pacifique.
L’exercice annuel de ce rapport, très formel, reste partiel – il ne donne pas dans le détail la liste des armes commandées ou livrées par pays sur l’année. En outre, le classement des clients sur une seule année est fortement influencé par la signature des « grands » contrats (ceux supérieurs à 200 millions d’euros), dont les livraisons s’étaleront ensuite sur de longues périodes. Etabli sur la décennie 2009-2018, le bilan des prises de commande place l’Inde en tête des clients de la France, grâce au contrat des trente-six avions Rafale passé en 2016 pour 8 milliards d’euros. En deuxième place figure l’Arabie saoudite, qui a acquis pour 11,3 milliards d’armement français sur les dix ans. En 2018, Riyad a commandé, pour près de 1 milliard d’euros, des navires patrouilleurs.
Occupant la troisième place sur la période longue, avec 11 milliards d’euros d’achats, c’est le Qatar qui est le plus gros client de 2018 : il a commandé des hélicoptères pour 1,5 milliard d’euros et des chasseurs Rafale pour 1,1 milliard. L’Egypte, qui a elle aussi acheté des Rafale en 2015, est le quatrième client (7,5 milliards d’euros depuis 2009). Le Brésil arrive en cinquième position, grâce au contrat géant des sous-marins Scorpène, signé en 2009.
La France « complice » de la crise humanitaire au Yémen
L’Australie, avec qui Paris a scellé, en 2016, « le contrat du siècle » pour douze sous-marins impliquant cinquante ans de coopération militaro-industrielle – un marché de 34 milliards d’euros, dont 8 milliards pour la France –, n’apparaît pas dans les comptes de 2018, car la signature formelle entre les deux gouvernements n’est intervenue que début 2019.
A l’inverse, le gros contrat, dit « CAMO », de fourniture de blindés à la Belgique, pour 1,1 milliard d’euros, a été pris en considération alors qu’il n’est pas en vigueur ; le gouvernement estime avoir eu un « engagement irréversible du client ».
Les ONG, qui dénoncent depuis de nombreux mois l’emploi d’armes françaises par les belligérants engagés au Yémen, renouvellent leurs critiques. « Les contrats et les livraisons avec des pays accusés de crimes de guerre (Arabie saoudite) ou de répression contre leur population (Egypte) atteignent des montants très élevés », regrette Tony Fortin, de l’Observatoire des armements, qui accuse la France de violer ses engagements pris dans le cadre du traité sur le commerce des armes (TCA).
« Depuis 2015, les ventes de la France vers l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis s’élèvent à près de 6 milliards d’euros, relève Jon Cerezo, d’Oxfam. La France doit réagir et arrêter de se rendre complice d’une des pires crises humanitaires dans le monde et de la souffrance subie par la population yéménite depuis plus de quatre ans. »
Intérêts économiques et stratégiques
La ministre des armées justifie la position française par ses intérêts stratégiques. « Aujourd’hui, 13 % des emplois industriels sont dans le secteur de l’armement », souligne Florence Parly, en préface du rapport. Et cette politique d’exportation « est également vitale pour notre diplomatie ». Mme Parly se réjouit qu’en 2018 la part des Européens dépasse pour la première fois 25 % des commandes – avec la fourniture de vingt-trois hélicoptères à l’Espagne, pour 1,5 milliard d’euros.
Le montant moyen des ventes d’armes sur le long terme est de 6 milliards d’euros. En 2015, le précédent ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, s’était vanté d’avoir « réalisé le chiffre historique de 17 milliards d’euros d’exportations », soit le double de 2018.
Nathalie Guibert