1. Après le congrès de Die Linke consacré à la question européenne qui s’est tenu à Bonn en février 2019, la Gauche anticapitaliste (AKL) avait analysé ainsi les décisions prises : « Pour l’opinion publique, Die Linke est assez nettement identifié comme un parti opposé à l’Union européenne. Et au regard de ce qu’est la réalité de l’Union, de sa posture guerrière face à la Russie et de ses autres programmes d’armement, face à Frontex et au traitement terrible auquel sont soumis les réfugié·es, au vu des diktats qui ont imposé l’austérité à la Grèce comme à d’autres États membres, du chômage de masse des jeunes au sud et à l’est de l’UE, de l’inertie qu’elle oppose aux mesures nécessaires à la protection du climat et de bien d’autres choses encore, c’est bien le moins qu’il en soit ainsi. Toute personne qui se réclame de la gauche, et de Die Linke, devrait se faire un honneur de porter haut son opposition à cette Union et devrait à tout le moins s’abstenir d’alimenter le flot d’inepties qui circulent autour de “l’idée européenne”. Au vu de la progression considérable de la droite radicale et des racistes, due aux effets de la politique concrète de l’UE, il est même complètement idiot d’affirmer, comme le fait la droite, que toute critique adressée à cette UE, toute orientation politique qui lui serait hostile, reviendrait à réclamer “un retour à l’État national”. Or la critique des fondements de l’UE est de gauche, c’est à peine si une critique de droite existe encore, tout au plus sous la forme grossière d’une “Europe des nations” présentée comme contre-modèle.
« Malheureusement, lors de son congrès spécial sur l’Europe, Die Linke a pris la décision de ne pas faire de cette question le point d’honneur qu’il aurait fallu placer au centre de la campagne électorale. Cela rend plus difficile la mobilisation d’une partie de nos membres, de notre électorat et de partisan·es des Grünen [Verts] susceptibles de se détourner d’eux parce qu’ils ne supportent plus l’euphorie européaniste infantile et les déclarations d’amour au capitalisme qui sont la marque de cet ancien parti de gauche. Comme en 2009 et en 2014, on peut donc prévoir un résultat qui ne dépassera pas les deux tiers des voix que les ultimes sondages attribueront à Die Linke. » [1]
Les résultats réels [2] imposent la conclusion qu’il en a malheureusement été ainsi. Est-ce que Die Linke aurait obtenu plus de voix en menant une campagne différente, clairement orientée contre l’UE, cela reste du domaine de la spéculation. En revanche, il est sûr qu’une telle campagne lui aurait permis de défendre vraiment ses positions, contribuant ainsi à l’enraciner dans l’opinion populaire, plutôt que de monter de toutes pièces cette mise en scène frustrante. Le travail d’explication – qui est la tâche la plus noble qui soit pour un·e militante de gauche – a été purement et simplement négligé.
2. Ce résultat électoral n’est cependant rien d’autre qu’une validation pour une des questions discutées entre l’AKL et d’autres courants de Die Linke. Mais il y a plus.
Cette consultation européenne a montré que ce n’est toujours pas et que ce ne sera pas à l’avenir une véritable élection au sens démocratique-bourgeois, mais un spectacle de propagande de la classe dominante européenne qui assiste au délitement de son projet d’unification économique capitaliste. Pour le prouver, il n’est pas nécessaire de se référer aux habituels constitutionnalistes européens en vue qui n’arrêtent pas de pointer du doigt l’absence d’un électorat et d’un système électoral. Un simple regard sur la campagne électorale en dit bien plus : jamais encore le capital, par le biais de ses organisations et de ses entreprises, n’est autant intervenu directement dans une élection. La règle d’or de l’élection démocratique-bourgeoise, qui veut que le souverain, c’est-à-dire tout individu bénéficiant du droit de vote, ait la possibilité de faire sa croix sur son bulletin sans que formellement aucune pression ni tutelle ne s’exerce, a été honteusement bafouée. En tout dernier lieu, après que les grands groupes de la chimie, de l’automobile, de la métallurgie et du commerce s’en sont mêlés, ce fut le tour des sociétés ferroviaires qui sont intervenues en faveur de l’Europe. Et comme il se devait pour des entités placées sous l’égide de la Deutsche Bahn, avec tellement de retard que leur déclaration n’est parue que le jour qui a précédé l’élection… La campagne a cédé la place au divertissement de masse et aux spectacles de propagande, avec pour but unique de faire monter le taux de participation et un sentiment creux d’adhésion quasi religieux. Le cri unanime de « Allez voter » s’est élevé des plateaux de télévision, des stades de foot ou des champs de foire.
Malheureusement les instances dirigeantes de la centrale syndicale DGB et de ses fédérations se sont elles aussi parfaitement intégrées à ce concert, entonnant en chœur « Europe ! » et « Allez voter ! » Les grandes manifestations du 19 mai [3], qui auraient pu être une occasion de faire entendre dans la rue une voix critique de gauche opposée à l’UE telle qu’elle existe (un objectif que Die Linke s’était d’ailleurs fixé au départ, conformément aux décisions du comité directeur du parti), se sont transformées en grand spectacle apolitique. Malheureusement, Die Linke n’a pour ainsi dire pas fait entendre de voix discordante dans le chœur enthousiaste des européistes clamant leurs appels à « aller voter ». Et pourtant dans cette situation (comme déjà malheureusement lors de précédentes échéances électorales) l’arithmétique aurait pu suffire à convaincre Die Linke de tabler plutôt sur une participation au vote réduite pour que la faible mobilisation de sa base électorale permette au moins d’avoir un pourcentage présentable.
L’UE est conçue pour répondre aux intérêts du capital et pas à ceux des peuples européens, et moins encore des classes subalternes. Ceci, qui était au cœur des critiques formulées par l’AKL avant les élections, ne s’est trouvé que trop bien confirmé au cours de la campagne.
3. La propagande pour « l’Europe » a utilisé en permanence deux « récits », comme on dit aujourd’hui. Dans le premier, « l’Europe » c’est l’UE, et l’UE est un formidable projet fédérateur au service de la paix qui ces dernières années s’est engagé sur une mauvaise voie. Le second : qui n’est pas pour l’UE renforce la droite radicale et les nationalistes.
Ces deux récits sont le contraire de la vérité et de ce que les gens en Europe ressentent dans leur chair depuis des années. Il s’agit de deux mensonges grossiers que ceux qui dominent cette Europe ont de plus en plus de mal à défendre. La campagne électorale européenne de cette année a déjà répandu ces mensonges de manière presque impertinente et n’a même pas caché qu’il s’agit de mensonges – la propagande était le seul objectif, pour que la légitimité des dirigeants de l’UE qui s’effrondrait depuis des années, soit au moins renforcée le jour des élections.
Lors d’une discussion contradictoire avec un jeune social-démocrate de « Pulse of Europe », organisée par le quotidien Neues Deutschland et publiée dans son édition du 15 mai, Lucy Redler expliquait pourquoi l’UE n’est ni un barrage contre le racisme ni un instrument de défense de la paix : « Je crois qu’avec sa politique néolibérale, l’UE a favorisé la progression des partis racistes. Elle-même pratique une politique de fermeture des frontières : mise sur pied de l’agence Frontex, criminalisation du sauvetage en mer, accord avec la Turquie sur le dos des réfugié·es. Et à l’intérieur de l’UE, elle mène une politique antisociale désastreuse, par exemple à l’égard de la Grèce. C’est l’UE qui a fait pression pour que les salaires y soient radicalement baissés, le chômage, en particulier chez les jeunes, y est toujours extrêmement haut.
« Malgré tout, je trouve important de donner plus de poids aux forces de gauche au Parlement européen. Mais il est faux de croire que l’on pourrait faire de cette Union européenne une Europe sociale. Elle n’a jamais été autre chose qu’une construction fondée sur des traités par lesquels des États capitalistes s’efforcent d’atteindre leurs objectifs en matière économique et de politique étrangère. Le traité de Lisbonne de 2007 rend obligatoires les dépenses militaires ainsi qu’une coopération militaire étroite. En avril encore le Parlement européen a voté 13 milliards de crédits pour le fonds de défense européen. (…)
« Naturellement [du temps de la guerre froide] il s’agissait de construire un bastion contre l’Union soviétique et l’Europe de l’Est. Avant 1990, c’était pour ainsi dire l’affaire d’une moitié de l’Europe contre l’autre, dans le cadre de l’OTAN. Et à un moment, l’idée que les intérêts des capitalistes allemands et français pourraient être mieux défendus en association avec d’autres États s’est imposée. Mais cela ne fait pas d’une entreprise impérialiste une entreprise pacifiste. » [4]
Die Linke s’est malheureusement soumise à ces deux « récits » du camp bourgeois sur l’UE. Ce qui aurait été juste, c’est de s’opposer de toutes ses forces à ces deux légendes. Premièrement parce que la vérité l’exige, deuxièmement c’est la seule façon de donner une véritable réponse de gauche aux affirmations de la droite extrême et des nationalistes. Ils ne sont pas justes, les propos que l’on entend, même au sein de Die Linke, selon lesquels on ne doit pas laisser à la droite les idées de patrie, d’État national, de défense des frontières ; au contraire, et de manière très concrète, il ne faut pas laisser à ces gens-là la critique de l’UE. C’est malheureusement ce qui s’est passé pendant cette campagne. Il ne faut rien abandonner à la droite.
4. Notre critique de la soumission de la gauche radicale devant les récits idéologiques dominants touche malheureusement presque toute la gauche radicale européenne. Par exemple l’alliance réalisée autour de La France insoumise, pourtant plus critique à l’égard de l’UE, a aussi obtenu un mauvais résultat.
Personne n’a développé dans cette campagne la perspective de gauche d’une association européenne sur de tout autres bases, une Europe socialiste, et ce bien qu’au congrès du parti certains réformateurs n’aient cessé de se référer à Altiero Spinelli et au manifeste de Ventotene de 1941 [5], selon lequel la révolution européenne serait socialiste. La vive critique de l’UE telle qu’elle est formulée par les gauches en France, en Grèce, en Slovaquie, en Scandinavie, débouche malheureusement à chaque fois uniquement sur une critique des institutions qui est aussitôt comprise comme la revendication d’une « Union européenne des États-nations » – comme les camarades allemands regroupés autour de Diether Dehm, Sahra Wagenknecht, Sevim Dagdelen [6] et d’autres en font régulièrement la démonstration avec à chaque fois la même argumentation mécaniste. Dans cette campagne, c’est à peine si on a entendu exposer les trois parties constitutives d’une politique de dépassement de l’UE : « critique de ce qui existe », « une politique d’opposition rebelle là où les militant·es de gauche en ont la possibilité », et la contribution à la construction d’une « Europe par en bas » à partir des combats de classe concrets et des mouvements sociaux. Nombreuses sont les forces de la gauche radicale qui, bien qu’elles aient déjà défendu au moins certains aspects d’une telle approche de la question européenne, sont restées largement muettes sous la pression de la propagande bourgeoise européiste et en fonction d’une série de considérations tactiques, nationales et parlementaires.
À cela s’ajoute que dans chacun des pays de l’Union, tout comme au plan européen, les désaccords à gauche sont importants sur le fond politique, tactiquement plus encore, et qu’elle se répartit en différents camps. C’est la raison pour laquelle le nombre global de député·es élu·es au Parlement représente un affaiblissement douloureux. Il n’est pas encore certain qu’il sera possible de réussir à constituer un groupe parlementaire de gauche en mesure de prendre des initiatives (au moins 25 élu·es de 7 pays différents), et il est à craindre que celui-ci en soit encore moins capable que le groupe GUE-NGL sortant.
5. Die Linke n’a pas réussi sa tentative de grand écart entre un positionnement critique à l’égard de l’UE et l’affichage d’une volonté d’inscrire son action dans le cadre de l’UE réellement existante.
D’un côté, lors des réunions électorales, sur les stands d’information, les membres de Die Linke se sont montrés les critiques les plus sévères de l’UE (et furent, conformément aux attentes, perçus comme tels), de même que la plupart des chapitres du programme électoral et celles parmi les affiches qui avaient un contenu ont valu à Die Linke de se voir coller l’étiquette d’« euro-critique » quand ce n’était pas d’« ennemi de l’UE ».
Mais de l’autre côté, cela contraste avec l’orientation donnée centralement à la campagne : les communiqués de presse, le journal de campagne, la version courte du programme et tout le matériel publié par l’équipe de campagne sans contrôle démocratique de la part du comité directeur ont été centrés sur le mot d’ordre illusoire « rendre l’Europe sociale », comme pour le SPD, la CDU et les Grünen. Une façon de faire qui relève de la qualification de tromperie délibérée et de trahison des positions élaborées collectivement sur la question de l’UE et adoptées au congrès et au comité directeur du parti.
Pour ce qui est de la critique de l’UE capitaliste et de la stratégie à mettre en place face à elle, la crédibilité de Die Linke et de la plupart de ses partis frères européens est sérieusement entamée. Sans crédibilité et sans pouvoir s’appuyer sur une conception sociale nouvelle et valable dans toute l’Europe, il n’est pas possible d’obtenir des succès électoraux et encore moins d’enthousiasmer les militant·es. C’est là tout simplement le bilan de l’élection européenne de 2019.
Voilà ce qui est déterminant pour expliquer la mauvaise performance de Die Linke en Allemagne. Il faut y rajouter les querelles d’ordre personnel, les conflits entre le groupe parlementaire et le parti, et encore, de la part de quelques membres du parti les indéracinables fantasmes sur de possibles combinaisons gouvernementales « rouge-rouge-vertes » [7], qui, surtout là où Die Linke participe au gouvernement régional, ont contribué encore un peu plus à la démobilisation de nos électeur·es.
6. La propagande à grand spectacle mise en scène par la classe dominante en Europe visant à contenir le déficit de légitimité du projet européen, y compris celui des partis bourgeois qui l’ont soutenu, a largement manqué les buts poursuivis. La participation n’a que peu progressé, les abstentionnistes pourraient avoir au parlement le groupe d’élu·es le plus important. Les partis bourgeois pro-européens ont partout été boudés ou sanctionnés dans les urnes. En Allemagne, les électeurs et électrices ont de facto délégitimé les partis composant la coalition au pouvoir.
Il est révélateur qu’un youtubeur assez peu contestataire du système soit parvenu à lui seul à mettre la CDU dans la panade avec un véritable réquisitoire satirique d’une heure mettant à nu leur politique. Malheureusement, ce ne sont pas les partis de gauche qui tirent profit de cette situation mais divers partis de droite (même si on n’a pas assisté à une percée d’extrême droite aussi terrible que certaines prévisions l’annonçaient). Ce sont les vieux partis sociaux-démocrates qui ont été particulièrement touchés par ce phénomène de défection, à l’exception du PS en Espagne et de la social-démocratie hollandaise. La vénérable organisation-mère de la IIe Internationale, matrice et modèle de tous les partis sociaux-démocrates – le SPD allemand – est au bord du précipice.
Ce résultat n’est pas étonnant. Ils n’ont rien à opposer à la perspective des dominants d’une Union europénenne à laquelle il n’y aurait pas d’alternative, et sont dépourvus de toute vision, de tout espoir d’un avenir meilleur pour les populations. L’UE est un sordide projet de domination et de gestion des principales composantes du capitalisme européen. Elle est dans son fondement militariste, anti-démocratique et néolibérale. Combien de fois encore cette simple vérité doit-elle politiquement parlant encore être confirmée dans la pratique avant que Die Linke dans sa grande majorité ne l’admette ?
Il y avait dans le camp bourgeois une force politique qui a su jouer du gros avantage de n’avoir jusqu’ici que peu de responsabilités à endosser quant au désastre européen et, en Allemagne, de n’avoir pas depuis longtemps participé au gouvernement fédéral, et qui a fait d’une indécente orgie d’enthousiasme pro-UE son programme électoral. Il s’agit des partis verts, en premier lieu les Grünen en Allemagne. Ils se sont mis en scène comme l’incarnation même de la campagne pro-UE que tous les autres menaient, ou entendaient mener, et furent ainsi à même de susciter l’espoir et de capter en tant que parti bourgeois « vierge » les voix des électeur·es déçu·es. En outre, les Grünen ont bénéficié du fait que la crise du mode de production capitaliste s’aggrave à présent au point de détruire les conditions climatiques et écologiques indispensables à la vie humaine. Un large mouvement dans la jeunesse qui s’engage dans toute l’Europe pour des mesures radicales contre la destruction du climat a offert de manière inespérée à l’euphorie européiste verte un point d’ancrage dans le monde réel. Mais ce n’est pas pour autant qu’augmentent les chances de voir émerger le « capitalisme vert », cher aux Grünen, ou ne serait-ce que celles d’un « green new deal ».
Un autre facteur a été que l’AfD a désigné les Grünen comme son adversaire principal, et de ce fait beaucoup de personnes opposées au racisme et au populisme d’extrême droite leur ont donné leur voix. Le conflit au sein de Die Linke sur l’immigration et sur la manière d’appréhender l’AfD n’a certainement pas contribué à faire apparaître le parti comme une alternative clairement antiraciste.
C’est ainsi que sur les questions du climat et du populisme d’extrême droite, les Grünen sont parvenus à se positionner comme alternative à la CDU-CSU et au SPD.
7. Partout en Europe, les forces nationalistes et d’extrême droite ont vu leur nombre de voix augmenter, même si ce ne fut pas dans les proportions que l’on craignait. Leur succès est la confirmation de l’analyse portée à maintes reprises par l’AKL et d’autres : c’est en premier lieu la crise de l’UE et la politique autoritaire qui lui est liée qui a fait progresser les forces d’extrême droite. Le point de vue inverse selon lequel les extrêmes droites ont déclenché la crise de l’UE relève de la propagation de fausses nouvelles – et ce fut la thèse centrale de la propagande pro-européenne lors de la campagne. Ce n’est vrai que dans la mesure où lorsque l’extrême droite atteint un certain niveau correspondant à la faiblesse de la gauche, les partis nationalistes et d’extrême droite font office d’aspirateur des votes de protestation et d’insatisfaction.
La situation dans l’Union européenne après ces élections est davantage polarisée, mais la gauche est affaiblie. L’éclatement accru au sein du Parlement européen va rendre plus compliquée la mise en œuvre d’une politique et laisse craindre que cette évolution ne mène encore plus à sa perte de pouvoir et à un renforcement des organes exécutifs de l’UE (et des organes spéciaux « ad hoc » que la Constitution européenne n’avait pas prévus).
Il reste à espérer que la gauche en Europe et Die Linke en Allemagne tirent les conséquences adéquates de cette élection et de cette campagne. Sans une stratégie de gauche visant à dépasser l’UE telle qu’elle existe, s’appuyant sur les luttes et les mouvements existants et porteuse d’une critique radicale du capitalisme, ce ne sera pas possible.
8. Les élections à Brême sont un contrepoint réjouissant à ces sombres perspectives au plan européen. L’AKL se réjouit avec les camarades de Brême de voir leurs résultats progresser [8]. À la possibilité d’une coalition « jamaïcaine » [9] s’oppose la majorité arithmétique SPD, Grünen et Die Linke.
L’AKL est contre l’entrée de Die Linke dans le gouvernement régional de Brême. En « prenant ses responsabilités » dans le cadre d’une alliance avec le perdant SPD et des Grünen totalement inféodés au capitalisme, Die Linke ne peut que perdre. Cette coalition ne serait pas un gouvernement de gauche. Cependant l’AKL propose de tirer partie de cette situation tactiquement favorable pour faire avancer des thèmes et des propositions propres à la gauche. On peut imaginer un soutien à un gouvernement minoritaire du SPD et des Grünen sans condition ni engagement, aussi minimal soit-il, Die Linke n’apportant son soutien que pour faire passer les mesures concrètes qu’elle estime positives. Pour tout le reste, le gouvernement n’aurait qu’à aller chercher sa majorité auprès de la CDU ou de l’extrême droite.
Les élections européennes et celle de Brême ont poussé le SPD vers une nouvelle phase de son agonie. C’est une situation bien compréhensible, et comme toutes les crises, celle-ci dévoile elle aussi les traits de caractère répugnants des politiciens professionnels corrompus et sans principes des partis bourgeois. Nous n’avons pas plus de compassion pour le SPD ou sa présidente démissionnaire Nahles que nous ne l’appelons à se comporter plus correctement et à redevenir « social-démocrate ».
En même temps, le sort du SPD est un rappel de ce qui advient aux partis de gauche qui sont complètement déterminés par les intérêts propres de leurs permanent·es, pour lesquels seul compte le parlementarisme, et qui oublient leurs principes pour se soumettre aux règles de fonctionnement du capitalisme. Pour Die Linke aussi, une telle perspective se profile à l’horizon, à moins qu’elle ne mette en branle au plus vite les réformes de structure internes et qu’elle ne tire les conséquences politiques indispensables à partir des propositions maintes fois formulées par l’AKL comme par d’autres.
La fin de la « grande coalition » (qui n’est plus depuis un bon moment que « petite ») avant la fin de la législature est tout à fait possible. La fédération régionale du SPD la plus importante s’est déjà prononcée pour la sortie. Cette mesure d’urgence est aujourd’hui une option discutée largement dans le SPD, y compris au sein de sa direction.
Die Linke ne devrait pas prendre partie dans ces débats. La fin d’un gouvernement bourgeois devrait être pour nous une satisfaction, simplement.
Toutefois, Die Linke doit s’engager avec force contre la perspective d’une alliance entre la CDU et l’AFD. Dans la CDU, certains se sont déjà exprimés dans ce sens. Et Die Linke, au lieu de réclamer de façon creuse de nouvelles élections nationales, devrait développer un programme d’action avec des mesures à mettre en œuvre tout de suite, de façon à s’engager dans la précampagne sur le fond et pas en quémandant auprès du SPD et des Grünen.
Köln-Berlin, 4 juin 2019
* Lucy Redler et Thies Gleiss sont membres du conseil des porte-parole du courant Antikapitalistische Linke (AKL, un courant de gauche reconnu au sein du parti qui existe depuis mars 2006) au sein de Die Linke et de son comité directeur. Lucy Redler est aussi porte-parole de Sozialistische Alternative (SAV, organisation allemande du Comité pour une Internationale ouvrière). Thies Gleiss est militant de l’Organisation internationale socialiste (ISO), section allemande de la IVe Internationale. Nous reproduisons ici leur contribution au débat, au nom du courant Antikapitalistische Linke (AKL), pour la réunion de la direction de Die Linke du 16 juin. (Traduit de l’allemand par PV et AR).
Lucy Redler
Thies Gleiss
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