Comment ce parti, bien implanté au niveau national et bien structuré, pourrait-il survivre à cette épreuve et surmonter ses nombreuses difficultés internes, mais aussi de son positionnement dans l’espace politique sénégalais
Perspectives historiques
L’origine du Parti socialiste sénégalais remonte à octobre 1948, date à laquelle le père fondateur, Léopold Sédar Senghor, a fondé le Bloc démocratique sénégalais (BDS), à la suite d’une scission avec la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO). Confronté à la realpolitik de l’époque, ce parti connaîtra des mutations sous forme de fusion avec d’autres formations politiques pour devenir le Bloc populaire sénégalais (BPS). Il a ensuite mué, en 1958, en Union progressiste sénégalaise (UPS) avant de prendre et de conserver finalement, en décembre 1976, le nom de Parti socialiste, affilié à l’Internationale socialiste.
Ces changements traduisent aussi des relations peu faciles entre leaders politiques devant participer à l’organisation et au fonctionnement du paysage politique avant et après l’indépendance. Ces leaders – Senghor, Mamadou Dia et Lamine Gueye (il a été élu en 1945 avec Senghor pour représenter le Sénégal à l’Assemblée nationale française), pour ne citer que ceux-là – avaient tous des visions différentes.
Le Parti socialiste sous le premier Président Senghor, puis Abdou Diouf, laissera son empreinte sur la configuration du politique et la nature de l’État sénégalais. La personnalisation du pouvoir n’est pas sans effet sur les décisions concernant le parti-État et les mutations dans la vie politique locale. C’est ainsi que le Président Abdou Diouf, successeur de Senghor en 1980, s’évertue à mettre en selle son conseiller diplomatique et proche collaborateur, Ousmane Tanor Dieng, qui devient alors ministre d’État et directeur de cabinet.
Le parti à l’épreuve des scissions internes
Lors du « Congrès sans débat » – Congrès d’investiture de 1996 –, Ousmane Tanor Dieng est propulsé à la direction du Parti socialiste comme secrétaire général. Il a été catapulté à cette position par la seule volonté du Président Abdou Diouf souhaitant prendre du recul par rapport à sa formation politique.
Cette initiative présidentielle sera diversement appréciée par les ténors du Parti comme Djibo Ka, Moustapha Niasse et Robert Sagna. Les problèmes du nouveau secrétaire général sont consécutifs à cette fulgurante consécration qui va accélérer l’effondrement du parti jusqu’à la perte du pouvoir en 2000, au profit d’Abdoulaye Wade.
Cela dit, d’Ousmane Tanor Dieng considéré, à juste titre, par l’ampleur de ses charges et responsabilités, comme « faiseur et dé-faiseur de carrières au Sénégal » dans le courant des années 1990, mènera des combats contre vents et marées afin de se maintenir à la tête du parti et de poursuivre l’œuvre de Senghor et de Abdou Diouf. La tâche est rude, d’autant que le pays traverse des situations récurrentes de sécheresse et doit mener des politiques d’ajustement structurel dont les conséquences vont être dramatiques sur la vie des populations.
Échecs successifs en 2007 et en 2012
Sur le plan politique, il est reproché à Ousmane Tanor Dieng par les proches de Khalifa Sall – l’ancien maire de Dakar qui croupit en prison, destitué par décret par le Président Macky Sall – d’avoir géré le Parti socialiste d’une main de fer. On note un manque de souplesse dans sa gestion. En clair, l’absence de démocratie interne a accentué les frondes et les critiques acerbes, surtout de la part des jeunes leaders. La mise à l’écart des contestataires est symptomatique de la crise que traverse le Parti qui éprouve d’énormes difficultés à s’adapter à des réalités politiques découlant de sa perte du pouvoir.
La popularité de son secrétaire général en accuse un coup, dans la mesure où les résultats des élections présidentielles de 2007 et 2012 se sont soldés par des échecs. Il obtient ainsi 13,56 % et arrive en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle de 2007.
En 2012, il se relance pour récolter des gains décevants, autour de 11,38 % des suffrages, le plaçant en quatrième position au premier tour de ce scrutin. Opposant farouche d’Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng décide de rallier le camp de Macky Sall au second tour de l’élection présidentielle, ouvrant de nouveau la fronde au sein de son parti.
Justifiant cette alliance, le secrétaire général du PS, Ousmane Tanor Dieng, disait :
« Nous ne sommes pas des soutiens, nous sommes partenaires et nous allons travailler ensemble, battre campagne ensemble, gagner ensemble et gérer ensemble. »
Le compagnonage avec Macky accentue les frondes
Le parti devient, de fait, membre de la coalition majoritaire « Benno Bokk Yakaar » (Unis dans l’espoir). En 2014, Ousmane Tanor Dieng est reconduit à la tête du parti face à Aissata Tall Sall, qui va alors créer son propre mouvement, « Osez l’avenir ».
Pour récompenser son ralliement à « Macky 2012 », Ousmane Tanor Dieng sera nommé président du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT), une institution taillée sur mesure pour lui, et par l’intégration de deux de ses proches dans le gouvernement : Aminata Mbengue Ndiaye (ministre de l’Élevage puis de la Pêche) et Sérigne Mbaye Thiam (ministre de l’Éducation nationale ensuite de l’Hydraulique).
Dans tous les cas, cette nouvelle posture du secrétaire général approfondit la rupture entre les partisans de l’émancipation, notamment les proches de Khalifa Sall et les défenseurs de cet ancrage présidentiel.
Cette dissension devient abyssale quand le Parti socialiste confirme sa décision de ne pas présenter de candidat à l’élection présidentielle du 24 février 2019. Cette décision, disent ses dirigeants, s’inscrit dans la logique de continuité de l’alliance avec la majorité. C’est dans ce contexte de tension interne dans le parti que survient la disparition brutale du secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng.
La disparition de Tanor, un tournant décisif
Dès l’annonce de cette nouvelle, le 15 juillet dernier, les déclarations des uns et des autres donnent la dimension de la bataille qui risque de s’engager entre les deux camps en présence au sein du Parti socialiste, en dépit des discours allant dans le sens de retrouvailles de la famille socialiste.
Pour Serigne Mbaye Thiam – proche de Tanor, et actuel ministre de l’Eau et de l’Assainissement –, la succession à la tête du parti revient, sans ambages, à Aminata Mbengue Ndiaye selon les textes du parti en sa qualité de première vice-secrétaire générale. Mais les autres dirigeant du PS – tel Sidy Ahmed Lo, membre du Comité central – ne partagent pas cette thèse.
Deux courants s’opposent sur le positionnement du parti. Il y a tout d’abord ceux qui défendent l’idée de poursuivre le compagnonnage avec la majorité dans l’intérêt de préserver des acquis issus de ce rapprochement. Ils font du Parti socialiste un parti « supplétif ou sans identité », servant d’appui à d’autres formations politiques. En face, il y a un groupe déterminé et ambitieux, persuadé de la capacité de cette formation à se réformer et s’inscrire dans une perspective de reconquête du pouvoir.
Kkalifa Sall, en dépit de ses déboires judiciaires, en est la figure emblématique, ainsi que de « jeunes loups » à l’image de Barthélémy Dias et Bamba Fall - tous les deux maires et proches de Khalifa Sall, exclus du parti.
En définitive, le défi à relever par les socialistes est de parvenir à taire les divergences et les ambitions non avouées de certains leaders pour penser l’avenir de ce grand parti légué par Senghor et Abou Diouf aux fins de faciliter le choix d’une ou d’un secrétaire général consensuel, au terme de débats internes et contradictoires.
Cela dépendra de la volonté des leaders actuels et des « exclus » de s’engager dans la voie de la réconciliation. Et cela, pour faire revivre cette formation politique dont les militants sont encore marqués par les orientations du père fondateur Léopold Sédar Senghor et de son idéal de transformation profonde de la société sénégalaise sur la voie du développement économique et social.
Moussa Diaw
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