La forêt havre de paix loin des turbulences du monde n’existe que dans l’imagination romantique : depuis des siècles, nos forêts résonnent d’affrontements entre les paysans défendant le libre accès aux ressources et les possédants tâchant de s’approprier celles-ci.
Rappel : au haut Moyen-Age, la propriété privée du sol n’existait pas. La terre n’était que confiée au seigneur qui en avait la garde. Les alleus (terres libres) couvraient une partie importante du territoire. La forêt servait de pacage pour le bétail, de refuge en cas de guerre, de réserve de ressources.
C’est à partir du XVe siècle que les féodaux commencèrent à s’approprier la terre afin de vendre des denrées - notamment du bois- aux villes, à l’industrie et à la construction navale. L’affectation des sols changea : des zones cultivées devinrent pâtures à moutons ; des taillis à bois de chauffage furent convertis en futaie pour le sciage, ou surexploités pour produire du charbon ; des terres agricoles furent transformées en réserves de chasse...
Ces scénarios passaient par le démantèlement des droits coutumiers et l’appauvrissement des paysans. C’est pourquoi l’accaparement des ressources, notamment de la forêt, se heurta à une résistance farouche, qui dura plusieurs siècles et fut durement réprimée (1). Le roman de Balzac, « Les Paysans », tourne entièrement autour cette question. Celle-ci reste très sensible dans le tiers-monde (surtout là où des peuples indigènes défendent leur mode de vie en symbiose avec la forêt).
Dans ce conflit, les possédants ont toujours prétendu que la propriété privée s’imposait pour protéger l’environnement et gérer les ressources rationnellement. Il est vrai que le pâturage des troupeaux en forêt causa de sérieux dégâts - surtout quand le développement capitaliste entraîna une forte hausse démographique. Mais l’appropriation des forêts eut des conséquences bien pires : perte du taillis sous futaie, coupes à blanc et monoculture de résineux épuisèrent les sols, acidifièrent les cours d’eau et réduisirent la biodiversité.
En 1525, lors de la « Guerre des Paysans » allemands les révoltés dirent ceci : « Nos seigneurs se sont appropriés les bois, et si l’homme pauvre a besoin de quelque chose, il faut qu’il l’achète pour un prix double. Notre avis est que tous les bois (…) doivent redevenir la propriété de la commune entière, et qu’il doit être à peu près libre à quiconque de la commune (…) d’y prendre du bois sans le payer. Il doit seulement en instruire une commission élue à cette fin par la commune : par là sera empêchée l’exploitation ».(2)
Il est vraiment remarquable que de simples paysans opposés à la privatisation des terres - il y a cinq siècles !- aient proposé l’élection de commissions locales pour garantir la gestion durable des ressources naturelles, dans le cadre de la propriété commune de la forêt ! On ne peut s’empêcher de songer au projet de décret forestier du ministre wallon José Happart – qui, avec son interdiction de circuler en-dehors des chemins balisés, s’inscrit clairement dans la continuité de la politique séculaire de restriction d’accès aux ressources forestières. Face à l’argument « écologique » avancé, l’alternative des paysans allemands garde en fait toute sa pertinence : la forêt devrait redevenir un bien commun à gérer démocratiquement.
(1) Au cours de la « guerre des demoiselles » dans l’Ariège, jusqu’à 1500 insurgés –menèrent pendant 20 ans une guérilla contre le Code forestier de 1827 - qui interdisait le glanage du bois mort, les coupes, le pâturage, la chasse, la pêche et la cueillette. En Prusse, vers 1840, les condamnations pour vol de bois (en fait le ramassage du bois mort) représentaient les 5/6es des « affaires criminelles » jugées par les tribunaux.
(2) Cité par Karl Kautsky in « La Question Agraire », Paris (1900), page 25.
Dernière minute : les candidats soutenus par l’extrême-droite raciste ont été nettement battus lors de l’élection interne au « Sierra Club », aux USA (voir notre article dans le JDM N°…)