C’est avec des sanglots dans la voix que Hadja Rabiatou Serah Diallo, secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), a annoncé au peuple guinéen le résultat des négociations entre syndicats, patronat et gouvernement.
Concernant le pouvoir d’achat, une baisse du prix de tous les produits pétroliers est prévue - y compris du pétrole lampant qui permet à un grand nombre de foyers guinéens sans électricité de bénéficier de la lumière -, la baisse du prix du riz, l’augmentation des pensions de retraite et des traitements des fonctionnaires. L’accord porte aussi sur l’arrêt du pillage des ressources naturelles du pays, avec le gel pour un an de toutes les exportations de denrées alimentaires, des produits de la mer et des forêts, le rapatriement du chiffre d’affaires des sociétés minières et autres opérateurs guinéens, la modification des conseils d’administration avec le retrait du poste de président aux gouverneurs, l’indépendance de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) vis-à-vis de la présidence de la République.
Au niveau politique, la négociation a abouti à la décision de nommer un « Premier ministre qui doit être un haut cadre civil, compétent, intègre et qui ne soit, ni de près ni de loin, impliqué dans des malver¬sations », et à la poursuite des enquêtes pour corruption et détournement des fonds publics avec les inculpations de Mamadou Sylla et Fodé Soumah. Rappelons que la grève a éclaté quand Lansana Conté a été libérer lui-même ces deux individus accusés d’avoir détourné 16 millions de francs guinéens (Fg) à la BCRG et d’en devoir une dizaine de milliards aux impôts et à la douane.
Enfin, il est mentionné la libération de tous les syndicalistes emprisonnés et l’arrêt de toute répression dans les lieux de travail pour faits de grève. Ce résultat est un coup porté à la politique de Lansana Conté, qui a pris le pouvoir en avril 1984 à la tête d’un quarteron de militaires. Il perpétua la dictature initiée par Sékou Touré, qui, s’il fut le seul dirigeant africain à appeler à voter « non » au référendum organisé par de Gaulle en 1958, ouvrant son pays à une indépendance immédiate, n’en fut pas moins un redoutable tyran. Le pouvoir de Lansana Conté s’organise autour d’un petit noyau - de généraux fidèles, de membres de sa famille et de quelques hommes d’affaires, comme Mamadou Sylla - pillant allégrement le pays et s’appuyant sur les forces armées, enfant chéri du pays. Ce système fonctionne à coup de répression féroce et d’élections truquées, comme ce fut le cas pour les présidentielles de 1993, 1998 et enfin de 2003.
La France coopère à la répression
La France, mais aussi les États-Unis, a toujours soutenu ce régime, gage de stabilité dans un environnement régional éprouvé dans les années 1980 par les guerres civiles toutes proches du Liberia et de la Sierra Leone, et, aujourd’hui, par la scission de fait de la Côte d’Ivoire. Les forces répressives de l’armée, de la gendarmerie ou de la police, n’ont eu cesse de pratiquer emprisonnement, racket et torture contre la population qui, à l’occasion de la grève générale, a payé un lourd tribut avec 70 morts et des centaines de blessés. Cela n’empêche nullement la France de déployer neuf coopérants militaires pour structurer et former l’appareil répressif en déclarant hypocritement : « Les formations dispensées visent le renforcement de la capacité opérationnelle des unités avec le souci général du respect des règles d’éthique et de déontologie. [1] »
On peut juger de la déontologie et de l’éthique de ces formations par ce témoignage : « Des militaires sortis d’une camionnette remplie de militaires ont tiré des rafales dans toutes les directions, semant la terreur et la panique dans tout le voisinage. Toutes les portes des cases et des maisons ont été défoncées et l’intérieur mis à sac. Après cette sale besogne, ces hommes sans foi ni loi nous arrêtèrent puis nous frappèrent devant nos enfants, nos épouses et nos voisins avant de nous jeter dans leurs camionnettes déjà bourrées d’autres malheureux. Au camp Soundiata Keïta, ils nous agenouillèrent sur le goudron rocailleux pour être soumis à des traitements inhumains : se déplacer sur les genoux, puis ramper à plat ventre. Au cas où l’une de ces consignes n’était pas rapidement exécutée, nous recevions des coups de crosses et de bottes. [...] Plus tard, nous nous sommes retrouvés dans les locaux de la gendarmerie départementale pour subir un autre calvaire [...]. Nous étions 22 et chacun de nous, tendu par les agents de sécurité, a reçu vingt coups de cravache, avant d’être jeté dans le violon où nous sommes restés jusqu’à 18 heures. Quand il s’est agi de nous libérer, nous avons reçu encore chacun 30 coups de cravache et avons dû payer chacun 20 000 Fg [2]. »
Un coup sévère à la dictature de Lansana Conté a pu être donné grâce à l’unité du peuple guinéen autour des syndicats, seules structures qui ont une couverture nationale et représentent l’ensemble des ethnies, contrairement aux principaux partis d’opposition qui sont chacun identifiés à une région du pays. C’est peut-être là une formidable leçon, la possibilité de faire vaciller une des plus vieilles et féroces dictatures en menant une bataille politique sur le terrain social et non ethnique.
Tout aussi remarquable est l’axe choisi de défense des richesses du pays. C’est un coup porté à la corruption mais aussi aux multinationales qui pillent sans vergogne, notamment la bauxite, minerai essentiel dans la fabrication de l’aluminium.
La nouvelle situation donne une marge de manœuvre étroite au nouveau Premier ministre qui devrait être nommé dans les prochains jours, coincé entre l’exigence de Lansana Conté et de l’armée de ne rien changer, et celles d’un peuple mobilisé et conscient de sa force. Dans cette future épreuve de force, il est de notre devoir militant de manifester notre solidarité avec les organisations syndicales et la population guinéenne.
Notes
1. Mission de coopération militaire et de défense, in Ambassade de France en Guinée.
2. Témoignage de l’intersyndicale et des organisations de la société civile de Kankan in .