Croyant me démontrer l’importance somme toute secondaire de la question environnementale, un militant de gauche me disait récemment : « De toute manière, les OGM n’ont jamais tué personne ». Erreur ! Entre 1989 et 1991, 38 personnes aux Etats-Unis ont été tuées par un additif alimentaire, le tryptophane, produit par des bactéries modifiées génétiquement. L’affaire n’a jamais été complètement éclaircie. Sitôt confronté à la nouvelle des morts suspectes, le fabricant japonais Showa Denko fit détruire les cultures de bactéries GM. Il n’y eut pas de poursuites et la presse resta assez discrète. Le lobby biotech était en pleine ascension…
Avant d’être tripotée par les généticiens, Bacillus liquefaciens – la bactérie - n’avait jamais causé la mort de quiconque. Sa manipulation fut effectuée au seul nom d’une rentabilité accrue : l’OGM produit davantage de tryptophane. L’effet léthal de celui-ci ayant été établi sans aucun doute, le produit fut retiré du marché séance tenante. L’enquête conclut à la responsabilité de Showa Denko : une étape de filtration avait été négligée, de sorte que le composant toxique se retrouvait dans le produit final. N’empêche que ce composant n’était pas élaboré par la bactérie « naturelle ». N’empêche aussi qu’on ne s’est plus risqué à faire produire du tryptophane par des bactéries GM…
En termes de santé publique, le grand risque que les OGM font peser est celui de nouvelles allergies pouvant aller jusqu’à la mort (choc anaphylactique), spécialement chez les enfants. Ce risque est accru du fait de l’importance considérable prise par les cultures industrielles d’OGM en champs. Les OGM dits « Bt », en particulier, sont source d’inquiétude. Ils sont porteurs d’un gène provenant d’une autre bactérie, Bacillus thurigensis, laquelle sécrète un composé insecticide - d’où le sigle « Bt » adjoint aux noms du maïs, du soja, de la tomate ou du coton ainsi modifiés. Or, personne ne connaît exactement les effets sanitaires des produits « Bt »… pour la simple raison qu’ils n’ont pas dû être étudiés avant d’être mis sur le marché.
Cet aspect de l’affaire est assez énorme. Comme on le sait, la pression politique en faveur des OGM trouve son origine aux Etats-Unis où Reagan, pour faire plaisir à Monsanto, décréta un jour que les OGM d’une certaine variété de plante ou d’animal étaient « équivalents en substance » aux non-OGM de la même variété. Autrement dit : une tomate « Bt » est la même chose qu’une tomate tout court. Implication pratique de cette absurdité scientifique : alors qu’une nouvel insecticide doit passer toute une série d’étapes et de tests coûteux avant d’être mis sur le marché, une tomate insecticide peut être vendue aux consommateurs sans autre forme de procès.
Les partisans des OGM répliquent que Bacillus thurigensis est utilisée depuis longtemps par les agriculteurs biologiques. Certes. Mais, dans cet usage, les quantités de poison répandues sont forcément limitées, et le risque de dissémination du gène insecticide n’existe pas. Un autre argument des apprentis-sorciers biotech est que les plantes « Bt » permettent de réduire les épandages d’insecticides produits par l’industrie chimique, donc d’améliorer la santé. Mais rien n’est moins sûr. Des études indépendantes menées aux Etats-Unis récemment mettent en évidence une augmentation des épandages. Ce n’est pas étonnant : d’une part, les insectes prédateurs d’insectes « nuisibles » sont aussi victimes du Bt. D’autre part, la capacité d’adaptation des insectes étant très élevée, des biologistes estiment que Bacillus thurigensis et son fameux gène Bt perdront très rapidement leur efficacité insecticide. A ce moment-là, les agriculteurs biologiques seront les dindons de la farce et la santé publique découvrira sans doute qu’elle doit faire face à quelques nouveaux problèmes (1). Mais l’industrie se sera remplie les poches et la collectivité paiera la note…
(1) Lire JP. BERLAN « La guerre au vivant », Ed. Agone.