Plus désastreux que n’importe quel incendie, le président Jair Bolsonaro continue d’entacher l’image du Brésil. Il met en péril les intérêts commerciaux du pays et génère de l’insécurité économique, sapant l’avenir de l’emploi et son propre gouvernement, sujet aux caprices d’un chef qui n’a aucune notion ni de ses fonctions ni de leurs limites.
Les dégâts sont là. Dénoncer la fausse photo qui accompagnait le message posté par le président français ou contester sa métaphore erronée de l’Amazonie comme “poumon de notre planète” n’y change rien.
Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. #ActForTheAmazon pic.twitter.com/Og2SHvpR1P
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 22, 2019
On ne peut pas remettre en cause le lien qui existe entre les incendies visibles sur les images satellites de la Nasa – et l’indéniable augmentation du nombre de feux de forêt cette année – et les coups de boutoir portés [par le président Jair Bolsonaro] aux mesures en faveur de la protection de l’environnement.
On ne peut pas effacer du jour au lendemain le scandaleux limogeage du directeur de l’Institut national des recherches spatiales et d’étude du climat [qui avait publié tout récemment un rapport accablant sur la déforestation, images satellites à l’appui].
On ne peut pas gommer les paroles ni les actes du président et de son ministre de l’Environnement. On ne peut, pour finir, oublier les menaces de faire sortir le pays de l’accord de Paris, même si elles n’ont pas été mises à exécution.
Un président ignorant des enjeux économiques mondiaux
Personne n’a donné plus d’arguments aux défenseurs du protectionnisme agricole européen que le président Bolsonaro. Au beau milieu du nouveau scandale lié aux incendies en Amazonie, le ministre [chef de cabinet de la présidence] Onyx Lorenzoni a dénoncé les intérêts économiques de ceux qui concurrencent l’agro-industrie brésilienne.
Bien sûr, ces intérêts existent, et ils sont portés dans l’Union européenne par des discours en faveur de la protection de l’environnement et d’une alimentation saine : rien de tout cela n’est bien nouveau.
La seule chose vraiment inédite dans cette histoire, c’est qu’un président brésilien soit à ce point incapable de comprendre le jeu économique international et ignore l’importance capitale, pour le Brésil, des exportations de produits issus de l’agriculture.
Entre janvier et juillet 2019, l’agro-industrie [brésilienne] a contribué au commerce extérieur à hauteur de 56,61 milliards de dollars [50,96 milliards d’euros] et a présenté un solde positif de 48,48 milliards de dollars [43,64 milliards d’euros]. Ce résultat a permis de compenser le déficit d’autres secteurs et de garantir au pays un excédent commercial global de 28,37 milliards de dollars [25,54 milliards d’euros].
À quoi bon une Constitution ?
Le président Jair Bolsonaro gère les intérêts brésiliens comme s’il ignorait tout cela ou comme si, connaissant les chiffres, il était incapable de les comprendre. Nulle surprise au bout du compte, puisque sa méconnaissance de l’économie brésilienne, de la grande politique, de la diplomatie et des institutions a été souvent mise en évidence.
Après vingt-huit ans passés à la Chambre des députés, il semble avoir une connaissance limitée de la Constitution et du processus législatif, au point d’essayer de substituer des décrets aux lois et de modifier les règles en matière d’adoption de mesures provisoires [qui ont force de loi en cas d’urgence].
L’annulation d’une de ces mesures provisoires par la Cour suprême fédérale a été assortie d’un commentaire d’un magistrat institution, Celso de Mello, pour qui Jair Bolsonaro “minimise dangereusement” l’importance de la Constitution et “dégrade l’autorité du Parlement brésilien”. “Ce juge de la Cour suprême m’a taillé un costard”, s’est plaint Bolsonaro, après avoir pris le commentaire pour une attaque personnelle.
La personnalisation de la politique
Tous ces éléments – le piétinement des règles, l’ignorance économique, la méconnaissance des intérêts commerciaux du pays, la réduction de la politique à sa dimension personnelle, le volontarisme et le détournement des mesures administratives – sont reliés.
Le président trouve que ceci ou bien cela, et prend alors ses décisions, ou bien – dans le meilleur des cas – fait des déclarations maladroites et désastreuses. Il ne consulte aucun conseiller, méprise le savoir des experts et préfère s’entourer de ceux qui vont toujours dans son sens et applaudissent à chacune de ses paroles.
Il pense qu’être à la tête du gouvernement l’autorise à donner et à défaire des ordres selon ses inclinations, ses croyances personnelles et ses impulsions. Il fait fi de l’organisation et de la hiérarchie, en quoi il semble avoir retenu bien peu de chose de son passage dans l’armée.
En déclarant que les chefs de la police fédérale étaient subordonnés à sa personne, il a désavoué le ministre de la Justice et foulé aux pieds l’organigramme du gouvernement.
Des ministres soumis aux caprices du chef
“Organigramme” est un mot de cinq syllabes. C’est un mot un peu barbare, mais fondamental pour toute entité bureaucratique, comme une entreprise moderne, un grand club de football, un orchestre, une armée ou encore un gouvernement occidental. Et Bolsonaro continuera très probablement à ignorer ce mot tant que ses ministres lui seront soumis et se plieront aux caprices et rebuffades du chef.
Les concurrents et les pays étrangers opposés à un accord commercial avec le Brésil seront contents. Il y a encore, dans l’Union européenne, des résistances au pacte de libre-échange avec le Mercosur [signé le 28 juin, mais qui devra être ratifié par les Parlements des pays membres de l’UE]. Revenir sur cet accord serait compliqué, mais Bolsonaro y contribue fortement.
Querelles de gauchistes !
Après tout, si les choses tournent mal, il pourra toujours accuser la gauche ou les ONG. Même s’il ne les a pas explicitement accusées, le président continue d’insinuer que es ONG seraient responsables des récents incendies en Amazonie.
Sans preuves lui non plus, Hitler avait attribué aux communistes l’incendie du Parlement allemand en février 1933. Peu après, des parlementaires communistes avaient été mis en prison, et leur parti déclaré hors la loi.
Querelles de gauchistes, diraient Bolsonaro et son ministre des Affaires étrangères. Le nazisme, selon eux, fut un mouvement de gauche. C’est ce qu’ils ont conclu après avoir visité le musée de l’Holocauste, en Israël. Il doit bien y en avoir pour être du même avis.
Rolf Kuntz
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