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D’abord l’état d’urgence
La nuit qui suit l’attentat du 13 novembre 2015, l’état d’urgence est décrété pour 12 jours en conseil des ministres, conformément à la loi du 3 avril 1955. L’exécutif détient alors seul le pouvoir. Cela se traduit par le déploiement d’une surveillance accrue dans les lieux publics, les transports, les sites industriels et sur l’ensemble des citoyenEs. Les contrôles aux frontières sont rétablis. La liberté de circulation est suspendue : interdiction de séjour dans certains lieux, assignations à résidence, perquisitions administratives de jour comme de nuit, interdictions administratives de réunions et de manifestations, fermetures de lieux de cultes et de salles de spectacles.
C’est l’union sacrée au sommet de l’État : le 20 novembre, le Sénat vote à l’unanimité la prolongation de l’état d’urgence pour 3 mois et l’Assemblée nationale l’adopte avec 551 voix (6 voix contre et 1 abstention). Promulguée le jour-même cette loi conforte les restrictions déjà en place et durcit les possibilités d’assignations et de dissolutions d’associations.
Les résultats en termes de prévention d’actes de terrorisme sont pourtant quasi-nuls. Amnesty international recense, le 3 février 2016, « 3342 perquisitions, dont 4 qui ont donné lieu à des enquêtes préliminaires pour infractions liées au terrorisme et 21 autres pour motifs, aux contours flous, d’apologie du terrorisme ». Au même moment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dénonce déjà « un détournement de l’état d’urgence sans lien avec la lutte contre le terrorisme pour entraver les manifestations d’écologistes, de syndicalistes, et pour lutter contre l’immigration clandestine, des mesures qui pour l’essentiel sont de nature à stigmatiser une population et une appartenance religieuse ». Malgré l’opposition totale de nombreux syndicats, notamment le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, d’associations comme le GISTI ou la LDH et de partis politiques dont le NPA, qui appellent plusieurs fois à manifester, l’état d’urgence, de plus en plus liberticide, sera prolongé 6 fois jusqu’en octobre 2017.
Société de la suspicion et fabrication du bouc-émissaire
Via une communication guerrière et anxiogène relayée avec complaisance par des médias aux ordres, le gouvernement va entretenir un climat de peur et de défiance. Un numéro vert d’alerte sur les suspicions de radicalisation, « stop djihadisme », est immédiatement mis en place mais, victime de son succès (!) il est vite supprimé : 22 000 appels reçus, mais seuls 22 déclarés pertinents par le ministère de l’Intérieur… La loi du 22 mars 2016, concernant la « sécurité dans les transports en commun » vise pêle-mêle « la lutte contre les incivilités et la fraude, les atteintes à la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme ». Les agents ont le droit de fouiller les bagages, de palper les personnes « suspectes », et pourront être armés. Les acteurs sociaux, comme le ministère de l’Éducation nationale, l’administration pénitentiaire, les services sociaux, ou les associations de parents d’élèves, sont incités fortement à participer à la logique anti-terroriste.
Pire, face à une opinion inquiète, Hollande et Valls vont lancer un projet de réforme de la Constitution. Avec deux articles nouveaux : l’inscription de l’état d’urgence dans la constitution (article 36-1, juste après l’état de siège !) ce qui permettrait au président de pouvoir prolonger seul l’état d’urgence sans l’avis du Parlement, ainsi que la possibilité de la déchéance de nationalité pour les auteurs d’actes terroristes. Pour ne pas créer de personnes en statut d’apatride, ce qu’interdit le droit international, cette déchéance de nationalité française ne concernera que les personnes ayant deux nationalités. Entreprise qui n’aboutira pas, le texte étant enterré en mars 2016, mais cette épisode sinistre a provoqué un débat passionnel et nauséabond, contribuant à faire l’amalgame entre étrangerEs, musulmanEs, ou supposéEs tels, et terroristes, et à développer le racisme, en particulier l’islamophobie. Une installation plus massiveme encore les idées du FN et de ses satellites dans une période où la politique antisociale précarise de larges franges de la population.
Présomption de culpabilité pour les unEs, de légitime défense pour les autres
La loi du 8 mars 2016 assouplit les règles d’usage des armes. Les sanctions contre les comportements suspects ou menaçants des manifestantEs sont renforcés. Comme la possibilité d’assignation à résidence, ou d’interdiction d’aller manifester. C’est la présomption de culpabilité qui se développe…
La loi du 3 juin 2016 va renforcer les possibilités de perquisition de nuit au domicile des personnes, renforcer la surveillance généralisée par la mise en œuvre des « IMSI catcher », qui permettent de capter l’ensemble des communications de personnes qui habitent près d’une personne fichée S. La même loi crée une peine de perpétuité réelle pour les auteurs d’actes terroristes, le délit de consultation habituelle de sites terroristes, autorise la neutralisation de terroristes qui viennent de commettre un acte ou une tentative terroriste, ou qui se préparent à en commettre un. Elle étend les ZPS (zone de prévention et de sécurité) pour quasiment tous les grands évènements sportifs et festifs. Celle du 21 juillet 2016 renforce la possibilité des préfets d’interdire les manifestations, durcit toutes les peines de prison, et renforce les possibilités de fermeture des lieux de culte musulmans.75 fois les préfets ont déclaré des ZPS pour empêcher les manifestants de se regrouper, 19 lieux de culte musulmans ont été fermés.
La loi de sécurité publique du 28 février 2017 aligne les possibilités de tirs des policiers sur celles des militaires et institue la présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre. Un an plus tard, l’IGPN reconnaît une réelle augmentation de l’usage de leurs armes par les policiers (400 tirs) et du nombre de manifestants blessés (14). La loi de finances supprime des milliers de postes de fonctionnaires mais dote le ministère de l’intérieur de 600 millions d’euros supplémentaires pour créer 5000 postes de policiers et de gendarmes et 1000 de douaniers. Ainsi que pour l’achat d’armes à « faible létalité » (!), 1700 LBD, ou d’armes de guerre comme les 240 fusils d’assaut HKG 38 pour la BAC. Le territoire est quadrillé : 4 nouvelles antennes du GIGN et 3 du RAID sont créées et le nombre de BRI double. La police se militarise et l’armée fait du maintien de l’ordre, notamment par la garde des monuments publics. Tous ont la possibilité de tirer si leur vie ou celle de quelqu’un d’autre est menacée, ou pour défendre un territoire. La loi renforce les sanctions pour faits de rébellion et de refus d’obtempérer.
Les « lois scélérates » de Macron
Si l’état d’urgence n’a pas été inscrit dans la constitution, Macron obtient, avec la loi du 30 octobre 2017, la fin du dispositif d’exception en réponse à une situation exceptionnelle, en banalisant l’arbitraire dans la loi ordinaire. Cette loi intègre les principales dispositions de l’état d’urgence : fouille de voitures, perquisitions devenues « visites à domicile », assignations à résidence, ZPS devenues « périmètres de sécurité », interdictions de manifestations. Elle étend les possibilités des contrôles dans les zones frontalières, ces zones de non-droit, elles-mêmes étendues. Ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la lutte contre le terrorisme et tout à voir avec la chasse aux migrantEs et à leurs soutiens, la remise en cause des libertés individuelles et la volonté de briser nos résistances collectives.
La loi du 30 juillet 2018, dite relative à la protection du secret des affaires et contre la divulgation des informations stratégiques, et celle du 22 décembre 2018, sur la manipulation de l’information, visent clairement la pénalisation de journalistes quand ils effectuent un travail indépendant d’investigation sur les politiques gouvernementales et leurs conséquences, dont les violences policières.
Enfin, la loi du 10 avril 2019, dite loi « anticasseurs », est celle qui a atteint, à ce jour, le summum de l’arbitraire. Elle légalise la « présomption de comportement constituant une menace grave pour l’ordre public », ce qui permettra d’interdire durablement à une personne de manifester, celle-ci sera de plus inscrite au fichier des personnes recherchées. Elle permet aussi de « punir collectivement, pénalement et pécuniairement » pour les destructions de biens. En outre, « toute personne au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent de l’être, risque une condamnation maximum d’un an de prison et 15 000 euros d’amende ». Voiler tout ou une partie de son visage devient un délit. Des peines complémentaires peuvent être prononcées si la manifestation est illicite, avec arrestation et comparution immédiate. Conclusion de Charles de Courson, député UDI : « C’est Vichy ».
Cette logique liberticide et autoritaire, déjà discriminante contre les jeunes des banlieues, les migrantEs, les musulmanEs, les militants écologistes ou les syndicalistes conduit aujourd’hui à la violente et massive répression des Gilets Jaunes. Car, comme le dit Lallement, alors préfet de Paris, « la main de Clemenceau n’a jamais tremblé quand il s’agissait de défendre la France ». Les Gilets jaunes vont être accusés par Macron d’être manipulés par « la fachosphère, la gauchosphère, la russosphère (?) », puis « d’organiser des rendez-vous d’émeutiers sans foi ni loi qui veulent détruire la France ». Accusés de terrorisme donc. À juste titre, Vanessa Codaccioni dénonce « la dépolitisation de l’activisme par son assimilation au terrorisme ou à la criminalité de droit commun ». Pour Castaner, « c’est une logique de guerre ». Oui, de guerre de classe !
Roseline Vachetta