A 88 ans, Raoni Metuktire, le célèbre cacique indigène kayapo de l’Amazonie brésilienne, vient d’achever une dernière tournée en Europe où il a rencontré le président français, participé aux journées d’été de La République en marche, et est intervenu à la cinquième édition du festival d’écomobilisation Climax [1].
Vous avez laissé entendre que ce déplacement était votre dernier voyage. Est-ce exact ?
Raoni Metuktire – Oui, je vais arrêter. J’ai des problèmes de santé. Quand je marche ici, j’ai mal aux genoux, je dois prendre des médicaments. Je suis un peu trop vieux maintenant : mes petits-enfants vont continuer. J’ai des neveux qui sont toujours avec moi, ils vont continuer eux aussi à lutter pour notre peuple.
En Occident, on vous perçoit comme le chef de tous les peuples d’Amazonie. Comment vivez-vous cette charge ?
Petit, mon père me racontait des histoires entre les peuples indigènes et les Blancs. J’entendais toujours qu’il y avait des guerres entre mes ancêtres et le peuple blanc. J’ai grandi différemment. Aujourd’hui, je pense qu’on devrait faire un travail de paix avec l’homme blanc. Je ne veux plus que les Blancs se battent contre les Indiens, je ne veux plus de conflits. Voilà pourquoi je fais ce travail. Il y a d’autres leaders indigènes brésiliens qui œuvrent de la même manière, comme Davi Kopenawa ou Ailton Krenak.
Récemment, vous avez appelé à la destitution du président brésilien Jair Bolsonaro. Pourquoi ?
Parce qu’avant d’arriver au pouvoir, Jair Bolsonaro disait que les Indiens n’avaient pas besoin de terres et qu’ils n’avaient pas besoin d’exister en tant qu’Indiens. On a besoin d’un président qui sache parler à tous les peuples, un président de paix.
Jair Bolsonaro a dit aussi à la télévision qu’il fallait récupérer l’or de la terre des Indiens, extraire le bois et occuper leurs sols. Nous, on continuera à défendre nos terres. J’aimerais bien que ce soit Bolsonaro en personne qui vienne sur nos terres pour voir ce qu’il se passe !
Dans le nord du Brésil, des groupes d’indigènes prennent les armes pour résister aux chercheurs d’or et aux coupeurs de bois. Est-ce une solution pour protéger vos terres ?
Je pense que c’est une solution de prendre les armes [pour se défendre]. Il faut que l’on agisse nous-mêmes en retirant les Blancs de nos territoires et en faisant en sorte qu’ils n’y reviennent pas. C’est légitime. La loi brésilienne d’ailleurs autorise [la légitime défense], elle va dans notre sens. C’est comme si quelqu’un rentrait chez vous !
C’est cette violation des droits des peuples autochtones qui motive votre combat ?
J’ai besoin de protéger mon peuple et protéger ma terre, parce que la déforestation avance de plus en plus vers notre territoire. J’ai parlé avec le président français pour qu’il appuie le projet de renforcer la délimitation de notre territoire avec l’idée de mettre en place une sorte d’arc de protection afin que les Blancs identifient cette limite et ne la franchissent pas. Nous voulons qu’une route soit créée pour que cette délimitation soit vraiment visible.
Avez-vous reçu des assurances de l’Etat français ?
Le président Macron va appuyer notre projet avec des financements qui seront envoyés à l’Institut Raoni au Brésil (ONG créée en 2001 et présidée par Raoni) pour mener ce travail de délimitation. Cette somme devrait être d’un million d’euros.
Vous avez effectué une tournée européenne au printemps durant laquelle vous aviez déjà rencontré Emmanuel Macron et d’autres chefs d’Etat. Que vous ont-ils promis ?
Ils nous ont promis un soutien, avec des aides financières pour que l’on puisse protéger notre communauté et renforcer la démarcation de notre territoire, dans le parc national du Xingu. Normalement, on devait recevoir cette somme un mois plus tard. On l’attend encore.
Les gens du gouvernement français ont parlé avec moi. En fonction d’autres documents administratifs dont on a besoin, le versement prendra plus de temps et devrait mettre six mois, m’a-t-on dit. Mais je ne suis pas d’accord, c’est trop long ! Je suis fatigué de toutes ces promesses qui n’aboutissent pas.
Vous avez rencontré d’autres caciques à Climax. Est-il possible de rassembler les luttes indigènes ?
Tous les leaders indigènes du Brésil sont très mécontents de la façon dont Jair Bolsonaro s’exprime. Mon idée est de former un groupe avec plusieurs chefs indigènes pour envoyer un message fort au président brésilien et à la communauté internationale. Nous devons faire un manifeste avec tous les leaders indigènes brésiliens afin de le remettre Jair Bolsonaro et voir s’il respectera nos demandes.
Vous avez obtenu en 1993, de haute lutte, la démarcation de vos terres. Votre combat contre le barrage Belo Monte sur le fleuve Xingu n’a en revanche pas abouti. Les travaux devraient s’achever en 2020. Comment jugez-vous cet échec ?
Je n’ai jamais accepté ce barrage. Ce sont des Indiens qui habitent près de l’ouvrage qui l’ont accepté. Pourquoi ? Parce que les promoteurs ont promis des compensations financières. Pour ceux qui ont accepté, on a aujourd’hui l’impression que l’agent qu’ils ont reçu ne les a pas aidés. Certains travaillent désormais à couper le bois, d’autres cherchent de l’or. Les Indiens ont laissé les Blancs entrer. Ce barrage n’aurait jamais dû être construit.
Votre territoire est-il affecté en ce moment par les feux de forêts ?
Pas encore, mais les gens sont préoccupés que les feux arrivent jusque là-bas.
Travaillez-vous avec d’autres communautés autochtones ?
Compte tenu du peu de ressources financières que nous avons, nous pouvons uniquement nous concentrer sur notre territoire. Mais dès que nous recevrons l’argent, nous travaillerons avec d’autres communautés, c’est une certitude.
Le taux de suicide des jeunes indiens est seize fois supérieur aux non-Indiens, les assassinats de caciques se multiplient… Qu’est-ce qui est le plus important à vos yeux : obtenir plus de droits, plus d’argent ou plus de terres ?
La façon de vivre de l’Indien aujourd’hui est très différente de celle que j’ai eue. L’argent est arrivé dans nos communautés. Et pour vivre dans votre monde, l’Indien a besoin d’argent. Cette façon d’acheter des choses est arrivée jusqu’à nous, une nouvelle nécessité s’est créée à cause de cela. Avant, la femme et l’homme travaillaient ensemble, ils accomplissaient leurs tâches et n’avaient aucun besoin d’argent. Aujourd’hui, ce sont les relations financières qui priment.
Propos recueillis par Nicolas Bourcier , Sabah Rahmani et Claire Mayer