Le Registre national des citoyens (RNC) de l’Assam vient enfin d’être publié, et bien des questions à son propos restent sans réponse. Le nombre de personnes exclues de la liste définitive [des résidents de l’Assam reconnus comme citoyens de l’Inde] s’élève à 1 906 657. Les organisations de défense des droits de l’homme devront venir en aide aux quelque 1,9 million d’exclus [n’ayant pas été en mesure de prouver leur présence ou celle de leurs aïeux sur le sol indien avant 1971, date de l’indépendance du Bangladesh voisin].
En fait, le RNC ne satisfait personne. Des partis politiques avaient proclamé que le nombre “d’immigrés clandestins du Bangladesh” [que sont accusés d’être les musulmans résidant en Assam] était compris entre 3 millions et 5 millions. [Les dirigeants de l’Assam disent vouloir ainsi stopper les flux migratoires observés à sa frontière depuis l’indépendance du Bangladesh].
Des Hindous parmi les exclus de la citoyenneté
Les dirigeants du Bharatiya Janata Party (BJP, parti nationaliste hindou) s’attendaient à un chiffre plus élevé, incluant tous les musulmans qu’ils menaçaient d’expulser vers le Bangladesh. Or bien que les noms de tous les exclus du Registre n’aient pas encore été publiés, des rapports préliminaires indiquent que parmi eux se trouvent 100 000 hindous de nationalité népalaise, un grand nombre d’hindous parlant le bengali et une minorité de Biharis [du nom d’un État indien]. Des responsables du BJP réclament donc une révision à la hausse de l’exclusion d’immigrés musulmans illégaux.
Ce qui ressort clairement de cette polémique sur les chiffres, c’est l’absence de politique. Ni le gouvernement central, ni les autorités de l’État de l’Assam n’ont annoncé ce qu’ils projettent de faire des exclus. Il est hors de question de les renvoyer au Bangladesh, car le pays ne serait pas en mesure de les recevoir. Par ailleurs, comment prouver que ces exclus sont des “Bangladeshis” quand l’Inde n’a même pas une idée précise du nombre de ses “immigrés illégaux” ?
La date charnière de l’indépendance du Bangladesh
Au fil des ans, le nombre des immigrés aurait augmenté jusqu’à avoisiner les quatre millions. Parmi eux, on compterait quelque 1,7 million de musulmans parlant le bengali. Les autres seraient des hindous parlant le népalais, l’hindi ou le bengali. Il reste à déterminer combien d’entre eux ont immigré à partir du Bangladesh après le 24 mars 1971, la date limite fixée par l’Accord de l’Assam de 1985 entre le gouvernement indien et l’AASU, qui a organisé le mouvement de l’Assam [contre l’immigration clandestine] dans les années 1979-1985. Autrement dit, la situation est toujours dans l’impasse.
Par ailleurs, les associations de défense des droits de l’homme de l’Inde péninsulaire [dont l’Assam est physiquement éloigné par le Bangladesh] ont déployé d’importants efforts pour venir en aide à ceux qui avaient été exclus de la version provisoire du RNC, dès juillet 2018. Mais la plupart d’entre elles n’ont qu’une vision partielle du problème. Elles défendent les droits des exclus, sans prendre en compte les raisons pour lesquelles la population s’inquiète de la présence des immigrés.
Les craintes de la population parlant l’assamais — 50 % des habitants de l’État — concernent la terre et l’identité. Les militants des droits de l’homme d’Inde continentale, qui se sont empressés de venir en aide aux exclus du RNC, ne semblent pas comprendre la nature du problème ou, du moins, n’en tiennent pas compte. Ils s’élèvent à juste titre contre les conditions inhumaines des camps de détention [en juin dernier, l’Assam, qui compte déjà six centres de détention, a annoncé la construction de dix centres de plus pour y enfermer les “immigrés illégaux”], mais, en ignorant les préoccupations des Assamais, ils ferment quasiment la porte à un dialogue avec la population locale.
Les droits des exclus doivent être défendus
C’est donc à l’ensemble du pays qu’il incombe de se poser un certain nombre de questions. Tout en défendant les droits des exclus, l’Inde doit réfléchir à l’avenir de l’Assam et de sa population. Il est impossible de renvoyer les exclus au Bangladesh. Avec une densité de population de 1 400 habitants au kilomètre carré, le pays est incapable d’en absorber davantage. De son côté, l’Assam ne peut être condamné pour ses échecs. Son point de vue doit être pris en considération. Le reste de l’Inde est-il prêt à accepter une partie des exclus ?
Peut-on envisager d’autres solutions, comme l’octroi d’un permis de travail sans droit de vote ? Le reste du pays peut-il se taire quand le gouvernement central tente d’introduire un élément de politique communautaire à travers un projet d’amendement de la loi sur la nationalité ? Celui-ci stipule que les membres des communautés minoritaires du Bangladesh et du Pakistan (à savoir hindoues) devraient obtenir la citoyenneté indienne dans un délai de trois ans, et les musulmans être exclus de cette mesure ? Des questions d’identité et de terres doivent-elles se muer en un problème communautaire ? Tous les défenseurs des droits de l’homme du pays doivent réagir, pas simplement ceux de l’État d’Assam ou du nord-est du pays.
Walter Fernandes
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