Pour la gratuité des transports en commun
Nous vivons dans une société capitaliste néolibérale qui veut faire entrer toutes les relations humaines, tous les humains, dans le marché, capable de transformer une pratique de solidarité, l’auto-stop, en entreprise rentable, du type Blablacar.
Contre la marchandisation, imaginer un autre monde
Pour les capitalistes, il s’agit d’étendre la sphère du profit. C’est aussi une offensive idéologique : faire payer tout ce qu’on utilise, tout service rendu. Nous devons combattre l’idée que le marché capitaliste est indépassable, la perception de la richesse, de la valeur des biens produits « obnubilée » par la représentation marchande. Il faut lutter pied à pied contre les évidences des libéraux, l’idée que tout se paie, l’idéologie de la concurrence impitoyable, du profit maximum… qui finissent par donner l’impression que ce qui n’est pas payant est sans valeur.
Pour des gratuités choisies
Il faut retrouver la capacité d’imaginer un autre monde, de donner à voir comment on peut construire une société émancipée où chacune, chacun agit selon ses moyens, ses facultés, ses capacités, et chacune, chacun dispose selon ses besoins. La promotion d’une gratuité construite de biens et services essentiels est un des moyens de cette lutte, parce qu’elle permet de montrer concrètement comment il est possible d’avancer vers une société répondant aux besoins de la population, et non plus du profit.
Décider par exemple que touTEs disposent gratuitement de l’éducation, d’un système de santé efficace, d’accès à la culture, de transports en commun, de quantités déterminées démocratiquement d’eau potable, d’accès internet, d’électricité, d’énergie, etc., attaque effectivement le règne de la marchandisation, à partir des besoins de la population.
Le défi de la gratuité des transports en commun
Aujourd’hui c’est une des gratuités qui avancent : en France, une trentaine de villes ont adopté la gratuité des transports en commun ; partout, des débats sur son instauration, aux motivations multiples. À nous de créer des collectifs de mobilisation qui posent la question des enjeux sociaux, environnementaux et sanitaires de la gratuité des transports en commun.
La population urbaine représente depuis 2000 plus de 50 % de la population mondiale ; elle sera 65 % en 2025, et dépassera 80 % dans de nombreux pays. En France, la croissance urbaine a été de 23 % au cours des trois dernières décennies, conjuguant une extension de la superficie des villes à une densification de peuplement. Actuellement, 95 % des FrançaisEs vivent sous l’influence urbaine, même s’ils ne vivent pas touTEs dans les grandes villes, ce qui pose le problème à défricher des modalités de gratuité à mettre en œuvre en dehors des agglomérations.
Il faut des mesures radicales pour répondre aux exigences de cette évolution qui augmente les problèmes de pollution et d’émission de gaz à effet de serre, et éloigne toujours plus loin des centres-villes les classes populaires.
Les échecs de la tarification sociale
Nous devons défendre une démarche politique pour la gratuité contre les tenants de la tarification sociale destinée à celles et ceux les plus en difficulté financière, chômeurEs, titulaires du RSA, personnes âgées... Cette forme institutionnalisée de charité n’est pas efficace pour les personnes concernées, comme le montre l’exemple de Dunkerque (voir ci-contre), ou celui du RSA qui n’est pas réclamé par toutes les personnes y ayant droit (entre 30 % et 60 % selon les formes de RSA ).
Pour l’égalité
Aujourd’hui, les habitantEs des quartiers les plus éloignés des centres qui sont obligés de prendre des transports en commun facilitent la circulation des voitures, consomment moins d’énergie et polluent moins. Eux paient leur voyage, alors que celles et ceux qui utilisent la voirie, intégralement payée par les impôts, le font gratuitement. La vraie réduction des inégalités sociales c’est que chacune et chacun, quel que soit le niveau de ses revenus, circule librement grâce à la gratuité.
Mais toutes les gratuités n’ont pas la même signification ni les mêmes effets : la façon dont la gratuité est mise en place est aussi importante que l’accès libre : l’accès libre à quoi, pour quoi faire, qui répond à quels besoins ?
Des transports en commun adaptés aux besoins
Certains élus de droite instaurent la gratuité, pour rentabiliser les bus existants, revitaliser les centres-villes. Mais la gratuité des transports en commun sur les lignes et horaires pour le travail et l’étude, si elle permet un gain de pouvoir d’achat pour les usagerEs, n’a pas la même fonction que la gratuité de transports organisés pour pouvoir vivre, c’est-à-dire travailler et étudier bien sûr, mais aussi se distraire, avoir toutes sortes d’activités. De même que la gratuité des transports en commun dans l’objectif de se passer de voitures dans les villes.
Pour une rupture des modes de transport
Si on veut que les villes cessent d’être des pièges à chaleur, avec des niveaux de pollution qui causent des milliers de décès chaque année, il faut diminuer considérablement la part des voitures individuelles dans les transports. Elles consomment, par voyageur et par kilomètre parcouru, deux fois plus que les bus et 20 fois plus que les trains/trams. Sans parler de l’augmentation du poids des véhicules comme les SUV ! Un bus transporte jusqu’à 60 personnes en utilisant la même surface que 2 ou 3 voitures occupées par 1 à 1,5 personne ; et n’occupe que peu d’espace de stationnement, alors qu’il faut plus de 10 mètres carrés par voiture.
Pour instaurer une réduction de la circulation des voitures, il faut donc associer à la gratuité des contraintes pour les voitures, une amélioration du réseau, des fréquences, une extension des horaires, des mesures favorisant la marche et le vélo, pour que se modifient en profondeur les comportements de l’ensemble des habitantEs. Il s’agit de rendre l’usage des voitures individuelles marginal pour rendre la ville aux habitantEs, en donnant en même temps des possibilités de déplacements efficaces et économes. C’est la seule possibilité pour que les villes et métropoles soient des lieux de vie sociale, d’échange, de partage.
Quel financement ?
Actuellement, la totalité des investissements, achats de bus, trams, entretien des matériels, construction des voies en site propre, des stations, etc., est payée par les impôts. Pour le fonctionnement, les salaires des travailleurEs des sociétés auxquelles la concession a été donnée, le bénéfice des ces sociétés privées, la surveillance, la billetterie, il y a trois sources de financement. En moyenne les impôts représentent 40 %, la taxe versement transport (payée par les entreprises de plus de 11 salariéEs) également 40 % et le montant des billets payés par les utilisateurEs pèse environ 20 % (de 25 à 10 % selon les villes). La billetterie n’est donc qu’une ressource annexe du financement.
Ces calculs n’intègrent pas les frais induits par la circulation automobile, qui sont estimés à 1 600 euros par an et par voiture, payés par les budgets des communes, de l’État, de la santé.
Un rapport du Sénat estimait il y a 10 ans le montant des recettes de la billetterie à 5 milliards d’euros pour toute la France. Une goutte d’eau dans les dépenses publiques.
La gratuité, le retour des transports en régie publique ne sont donc rien d’autre que des choix politiques qui peuvent être faits à l’échelle d’une agglomération. Agissons pour qu’ils soient en première ligne des débats dans toutes les villes !
Patrick Le Moal
Transports publics gratuits, ça bouge en France !
Les deuxièmes Rencontres des villes en gratuité des transports publics, qui se sont déroulées les 10 et 11 septembre à Châteauroux (où s’est tenue la troisième Coordination nationale), sont l’occasion de faire le point sur l’avancée de cette revendication que le NPA défend depuis plusieurs années.
Depuis 2 ans on observe une nette avancée de cette idée, déjà à l’œuvre dans une trentaine de villes. Après Aubagne, l’arrivée de transports gratuits à Dunkerque, Calais, mais aussi à l’étranger, à Tallin (Estonie) ou au Luxembourg, a crédibilisé cette solution à une échelle de masse. Les annonces d’expérimentations en Allemagne, à Paris, à Clermont-Ferrand, etc., donnent de l’écho à la gratuité des transports comme un sujet sérieux et une véritable voie alternative. Les municipalités où la gratuité existe reconnaissent qu’un retour en arrière serait un suicide politique au vu de la satisfaction populaire, comme à Châteauroux ou à Aubagne, pourtant à droite.
Pression des mobilisations
L’appel lancé par la Coordination pèse dans les organisations pour débattre et intégrer cette proposition dans les revendications centrales de la rentrée. Au début de l’année, la direction du PCF s’est positionnée en faveur de ce mot d’ordre, malgré les réticences de beaucoup de ses maires et élus. C’est vrai aussi de Génération·s en Isère. Dans la CGT, des secrétaires départementaux ont signé l’appel. Le débat existe désormais chez EÉLV, comme le précisait son représentant à Lyon lors du Forum « Fêtons la gratuité » organisé par Paul Ariès en janvier.
Évidemment le contexte a accéléré les choses : les mobilisations pour le climat, la santé, les mouvements sociaux (Gilets jaunes, salaires, etc.) poussent les forces politiques à avancer des mesures concrètes qui, pour l’instant, n’arrivent pas vraiment. Chez des Gilets jaunes, mais aussi dans certains collectifs climat, la revendication de gratuité des transports a été intégrée.
Contre-feux
On peut observer diverses réactions. Des élus en France ont pris eux-mêmes l’initiative de lancer des études pour, en fait, démontrer que la gratuité des transports n’est pas possible (Île-de-France, Paris). C’est également le cas dans cinq villes en Allemagne. Ailleurs, comme à Calais, la municipalité a annoncé le passage en gratuité suite au mouvement des Gilets jaunes. À Grenoble, le SMTC (Syndicat mixte des transports en commun) a réalisé une étude d’impact qui doit bientôt sortir. Fin septembre, le résultat d’une étude sénatoriale devrait être présenté.
Du côté des acteurs historiques comme la FNAUT (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) et Groupement des autorités responsables de transport (GART) ou de chercheurs comme FrédériC Héran, le contre-feu a été lancé avec plusieurs études qui répètent en boucle les mêmes arguments hostiles à la gratuité.
Rapport de forces
Un élément du débat est à prendre en compte sérieusement : il s’agit de l’offensive du Medef et du gouvernement pour attaquer les services publics de transport et réformer le VT (versement transport). Ce VT, qui n’existe qu’en France, est une taxe essentielle payée par les entreprises de plus de 11 salariéEs. Il représente 47 % du financement du service public de transport (33 % collectivités, 20 % usagerEs).
Leur volonté est de transformer le VT en VM (versement mobilité) et d’utiliser cet argent pour financer la « transition écologique » et subventionner les constructeurs privés, pour les véhicules électriques notamment.
Les débats à Châteauroux ont montré une réelle avancée des partisans de la gratuité qui embarrasse ses détracteurs, mais le combat fait rage et ne fera pas l’économie d’un nouveau rapport de forces pour imposer au patronat ce nouveau droit, par la défense et l’augmentation massive du VT. Les émissions polluantes du secteur des transports (30 % environ) nous rappellent tous les jours l’urgence d’imposer cette bonne solution.
Michel S.
Lancement d’un « appel national pour la gratuité des transports publics locaux »
Crédit Photo : DR
Des collectifs qui militent pour la gratuité des transports dans plusieurs villes ont commencé à se regrouper en 2016, dans une coordination nationale, ont élaboré des revendications communes, une affiche nationale, un autocollant, mis en place un site national (reseau-gratuite-transports.org) et décidé le lancement d’un appel national. Ce dernier a été rendu public à Châteauroux mardi 10 septembre [1].
L’urgence de la gratuité
L’objectif de cet appel est de stimuler dans toutes les villes, notamment à l’occasion des élections municipales, le débat sur la gratuité des transports en commun locaux. Plus de 150 personnalités associatives (Attac, Fondation Copernic…), syndicales (UNL, syndicats nationaux Solidaires, syndicats régionaux et locaux CGT, FSU, Solidaires, syndicats étudiants…) et politiques (NPA, LO, Communistes unitaires, Écologie populaire et sociale, Ensemble !, responsables nationaux élus du PCF et de la LFI, élus locaux d’autres formations politiques, comme EÉLV, Génération·s, Mouvement citoyen lyonnais...) se sont engagées « à promouvoir la gratuité des transports en commun dans toutes les villes et à peser sur les exécutifs à tous les niveaux, du local au national, afin qu’elle devienne l’un des leviers efficace pour des avancées environnementales, sanitaires et sociales répondant aux défis du moment ».
L’appel détaille les urgences qui justifient cette mesure : urgenceclimatique vu le rôle de la voiture dans les émissions de CO2, urgence sanitaire vu les 42 000 décès prématurés chaque année du fait de la pollution aux particules fines, et urgence sociale vu le coût des transports dans le budget des ménages, notamment les plus modestes. Il se conclut par la nécessité, pour garantir à toutes et tous l’accès libre aux transports en commun, de « développer des transports publics accessibles et de qualité : denses, fréquents, rapides, gratuits, définis par et pour les habitantEs ».
Constituer un mouvement d’opinion
Cet appel est important, car l’unité qui commence à se dessiner en faveur de la gratuité des transports va aider à lever les réticences qui existent encore sur cette question. L’enjeu est aujourd’hui que cet appel soit largement signé, débattu dans toutes les villes afin que la question des transports et de leur gratuité soit au centre des débats locaux dans les mois qui viennent.
Si la signature d’éluEs et de responsables a un rôle, il est décisif que se constitue un mouvement d’opinion qui se mobilise sur cet objectif. C’est bien lorsque les habitantEs s’empareront de ce sujet, qui joue un rôle si important dans leur vie quotidienne, que la question deviendra incontournable. C’est l’affaire de toutes et tous que les transports soient adaptés aux besoins de l’ensemble des activités (travail, études, mais aussi loisirs), et gratuits pour permettre la libre circulation. Des collectifs se créent dans plusieurs villes ces dernières semaines (Lyon, Toulouse, Lorient…) pour organiser cette mobilisation, pour renforcer l’action commune : qu’ils se multiplient !
Michel et Patrick
C’est possible, ça marche : l’exemple de Dunkerque
Dunkerque est la plus grande agglomération en France (environ 200 000 habitantEs) ayant instauré la gratuité des transports en commun.
Crédit Photo : NPA
Dans cette ville conçue, après la Seconde Guerre mondiale pour la voiture, où les parkings constituaient un quart de la surface du centre, où deux tiers des déplacements se faisaient en véhicules individuels, le choix a été fait d’une rupture radicale dans les modes de déplacement de toute l’agglomération.
Il y a donc eu, conjointement à l’instauration de la gratuité, une amélioration du réseau de bus, une modification des espaces publics, une politique favorisant le vélo, avec la volonté de transformer en profondeur les habitudes de mobilité de touTEs les habitantEs.
La gratuité a d’abord été expérimentée les week-ends à partir de 2015, puis instaurée en totalité depuis septembre 2018, financée grâce à l’annulation d’un grand projet inutile, et à l’augmentation de la taxe versement transport (VT) payée par les entreprises de plus de 11 salariéEs.
Effets spectaculaires
Moins d’un an après, les effets sont spectaculaires. Concernant l’utilisation des transports en commun, le dimanche c’est + 200 %, + 300 % lors des événements festifs. En semaine, la progression est régulière, et a atteint + 80 % en juin dernier.
UnE utilisateurE sur deux prend le bus plus souvent du fait de la gratuité ; 48 % des nouveaux et nouvelles utilisaient auparavant leur voiture ; 10 % ont même vendu leur seconde voiture. Les parkings du centre-ville se vident.
Tout indique que celles et ceux qui avaient droit à des tarifications sociales ne les prenaient pas obligatoirement du fait de la stigmatisation que cela représente de « quémander » un avantage social. Ils et elles utilisent aujourd’hui massivement les transports : 33 % de nouveaux publics, notamment les habitantEs les plus pauvres, se redéplacent aujourd’hui, montrant par là que la tarification sociale n’est pas une solution pour arriver à l’égalité de toutes et tous dans les déplacements.
Modes de vie changés
L’enquête faite auprès des habitantEs bat en brèche toutes sortes de préjugés. Non, la gratuité ne se fait pas contre les modes doux de déplacement, la marche et le vélo : l’usage du vélo dans la ville a augmenté de 30 %, et 20 % des usagerEs marchent plus qu’auparavant (pour l’essentiel les anciens automobilistes).
Non, la gratuité n’augmente pas l’insécurité au motif que ce qui est gratuit n’aurait pas de valeur pour les usagerEs ; au contraire, elle diminue les incivilités (– 65 %) !
Par ailleurs, la gratuité redonne du « pouvoir d’achat » aux habitantEs, qui en ont bien besoin !
Ce qui n’est pas quantifiable est tout aussi important. Les jeunes ont une plus grande autonomie, la liberté d’accès aux transports améliore la lutte contre l’isolement des personnes âgées, car s’est créée une nouvelle convivialité, de nouveaux lieux de vie sociale, de vie collective. Le centre-ville se redynamise.
Les adversaires de la gratuité argumentaient en disant que toutes les villes où elle avait été mise en place étaient de petite taille, inférieures ou égales à 100 000 habitantEs. La réussite des premiers mois de gratuité à Dunkerque va les obliger à chercher autre chose !
Michel et Patrick