Greta Thunberg dérange, et fait l’objet de critiques renouvelées depuis son discours aux Nations unies, à New York. Certains parlementaires français avaient déjà tenté de la décrédibiliser en juillet. D’autres, souvent de vieux messieurs, s’abaissent à critiquer son apparence ou sa prétendue « maladie mentale ».
Greta est surdouée, et elle comprend les enjeux de la crise climatique bien mieux que la plupart des dirigeants politiques ou économiques. J’en suis témoin, moi qui suis physicien et climatologue depuis près de quarante ans, et ai été vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
J’ai vu Greta pour la première fois à Katowice (Pologne), lors de la COP24, en décembre 2018. Elle était seule à répondre aux questions d’un animateur et du public. Elle n’a pas de fiches, mais répond sans hésiter, parfois en disant simplement : « Je ne sais pas, je n’ai que 15 ans, demandez aux experts. » Elle en sait pourtant déjà beaucoup, et dit avoir appris que « nul n’est trop petit pour faire la différence. » Greta a déjà dû expliquer à des décideurs politiques ce qu’était la courbe de Keeling, ou le cercle vicieux « réchauffement - fonte de la glace - réchauffement amplifié » : ils tombaient des nues. Je suis soufflé par la justesse de ses propos, appuyés sur une sérieuse connaissance des mécanismes à l’œuvre et des causes de la crise climatique…
Quelques jours plus tard, vers 23 heures, Greta est invitée à prendre la parole dans la salle plénière de la COP. Il n’y a plus grand monde à cette heure, mais je suis resté pour l’écouter. « En 2078, j’aurai 75 ans. Le jour de mon anniversaire, mes petits-enfants seront peut-être autour de moi, et ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps d’agir. Vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout, alors que vous êtes en train de leur voler leur futur devant leurs yeux », dit Greta. La vidéo fera le tour du monde.
Son cœur parlait
Travaillant sur les changements climatiques depuis longtemps, aux Etats-Unis, à l’Université catholique de Louvain, avec le GIEC, et ayant participé à presque toutes les COP [Conférence des parties], je n’ai jamais entendu un discours aussi fort. Entendre cette jeune fille dire les choses si simplement, si clairement, m’a profondément ému. Son cœur parlait, et elle avait raison.
Greta a lu les rapports du GIEC. Elle a compris les risques immenses que l’accumulation de nos gaz à effet de serre fait courir à l’habitabilité de la planète. Elle jongle avec les probabilités de succès associées aux différents « budgets carbone ». Elle ne confond pas le trou dans la couche d’ozone et la crise climatique… Peu de dirigeants peuvent en dire autant.
Greta parle sans complexe du syndrome d’Asperger qui l’affecte. Il lui fait sans doute voir plus clairement la contradiction entre les discours de la plupart de ces dirigeants et leurs actes. Avec une grande intelligence émotionnelle, elle exprime la peur que lui inspire ce fossé. Une peur qui est partagée par des millions de jeunes, et que je comprends parfaitement.
Les adultes qui reprochent à Greta de partager son inquiétude n’ont rien compris, et feraient mieux d’écouter cette peur, d’en prendre la mesure, et d’agir à sa hauteur.
Nous avons tant à apprendre des jeunes
Plutôt que d’accepter de se remettre en question, d’oser parler de la manière dont ils reçoivent l’interpellation des jeunes, bien des adultes se défendent en les attaquant ou en les dévalorisant. Ils tentent de faire croire que la décarbonation que Greta demande implique forcément un retour à l’âge de la pierre, au chômage et à la misère. Ils le font pour défendre leur propre situation, la croissance infinie, le statu quo fossile, ou de fausses solutions purement techniques.
Il faut dialoguer avec ces jeunes qui osent parler de leurs émotions, et cesser de les dévaloriser en croyant que nous savons tout mieux qu’eux
Encore une fois, ces pourfendeurs de Greta et des jeunes grévistes pour le climat n’ont pas lu les rapports du GIEC. Ni la partie sur le diagnostic et les projections à politiques inchangées, ni celle sur les très nombreux éléments de solution. Alors qu’une transition énergétique et écologique juste peut être source de meilleure qualité de vie pour tout le monde, si on s’y prend bien. Une approche systémique, intégrant les dix-sept Objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies peu avant l’accord de Paris, permettrait de dégager de très nombreuses synergies, comme vient encore de le montrer le récent Global Sustainable Development Report présenté à l’Organisation des Nations unies (ONU).
Greta n’est plus seule, comme au début du mouvement qu’elle a lancé. En Inde, en Ouganda, au Sénégal, en Argentine, aux Etat-Unis, en Pologne, en Russie et dans tant d’autres pays, des jeunes se sont levés. Ils se sont rendu compte du réconfort et de la force que leur apportaient le dialogue et l’action non violente collective. La puissance de l’interpellation de ces jeunes indispose certains adultes trop désireux de maintenir en place le système qui leur profite. Nous avons pourtant tant à apprendre des jeunes, alors que ce sont nos manières de penser et d’agir sans souci du long terme qui nous ont conduits au bord du précipice.
Il faut dialoguer avec ces jeunes qui osent parler de leurs émotions, et cesser de les dévaloriser en croyant que nous savons tout mieux qu’eux. Il faut mettre en place et améliorer les attitudes, les outils technologiques, économiques et politiques qui permettront de transformer la peur des jeunes en force d’espoir pour un avenir durable et juste. Ceux qui refusent cela sont déjà un petit peu morts. Je soutiens Greta, car elle soutient la vie.
Jean-Pascal van Ypersele (Professeur de climatologie à l’université catholique de Louvain, ancien vice-président du GIEC)
Jean-Pascal van Ypersele est aussi membre de l’Académie royale de Belgique.