Nous, militantes féministes, nous nous exprimons aujourd’hui avec force face à celles et ceux qui instrumentalisent la lutte pour l’émancipation des femmes pour mieux stigmatiser, humilier ou discriminer les femmes qui portent un voile.
Nous dénonçons les arguments fallacieux prononcés, le vendredi 11 octobre 2019, par l’élu du Rassemblement National Julien Odoul en plein Conseil Régional, pour demander à ce qu’une accompagnatrice scolaire, présente dans le public, retire son voile au nom, a-t-il osé dire, des principes laïques et républicains. Il en ignore manifestement la signification. Car ces principes, ceux de l’État de droit, garantissent l’égalité d’accès de toute personne en tant que citoyen·ne à l’espace public y compris aux bâtiments publics. Dans un avis de 2013, le Conseil d’État a établi que les accompagnatrices voilées ne sont pas soumises aux exigences de neutralité religieuse, ce qu’a reconfirmé récemment la loi Blanquer.
Si le ministre de l’éducation a rappelé cette loi, il a aussi cru bon d’ajouter que « le voile n’est pas souhaitable dans la société ». Ces propos, précisément, ne sont pas conformes au principe de laïcité qui établit l’obligation de neutralité de la puissance publique ! Ils participent à nourrir la stigmatisation des musulman·es. Ils encouragent de fait l’exclusion des femmes voilées de la vie scolaire… alors même que de nombreuses sorties scolaires ne seraient pas possibles sans l’engagement des mères, voilées ou non, qui s’impliquent dans la scolarité et l’épanouissement de leur enfant. Avant tout, nous exprimons toute notre sympathie et notre solidarité à cette femme face à cette épreuve.
À l’occasion de cette agression, de multiples propos visent à jeter le soupçon sur les personnes d’appartenance religieuse musulmane, à nourrir la division et la haine envers elles : ils sont intolérables. D’autant plus intolérables que la stigmatisation des femmes voilées se fait sous couvert de la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes !
En tant que féministes, nous sommes vigilantes au sujet du contrôle permanent qui est exercé sur nos corps, nos tenues vestimentaires ou sur notre présence dans l’espace public. Nous pensons que la voie de l’émancipation est favorisée par des discussions, ensemble et à égalité, sur notre propre compréhension des oppressions, pour permettre à chacune de construire son propre chemin, pour nous donner la force, créer un espace de solidarité et de bienveillance réciproque. Nous nous opposons à ceux qui humilient publiquement les femmes, leur font honte, les empêchent de travailler, de se syndiquer ou de devenir bénévoles, les désocialisent, les précarisent ou veulent les dévoiler de force. On ne défend pas la cause de l’émancipation des femmes en les empêchant d’assister aux conseils régionaux, de travailler à des postes visibles (hôtesses d’accueil, vendeuses…), de se syndiquer, d’aller à la plage ou de participer à la vie scolaire.
Bientôt, le port du voile, mais aussi certains signes physiques ou certaines pratiques culturelles risquent de plus en plus d’être « signalées » comme des « signaux faibles de radicalisation » ce qui ne peut que favoriser le développement de la suspicion et de la division. La première conséquence en sera l’exclusion, la discrimination à la libre circulation, à l’emploi (avec l’orientation des femmes vers les postes invisibles payés une misère dans le secteur du nettoyage ou des soins à la personne), les agressions et les licenciements.
Dans ce contexte, le débat tel qu’il s’engage aujourd’hui sur la laïcité fait diversion des problèmes liés à la montée des inégalités, au démantèlement de la protection sociale, à la crise écologique, etc. Nous ne sommes pas dupes et nous ne serons pas complices ! Nous continuons de nous organiser pour aider, soutenir, accompagner toutes les femmes, voilées ou non voilées, pour lutter contre toutes les discriminations, les violences et les inégalités, et contre tous les racismes.
Signataires :
Ana Azaria, Femmes Egalité ;
Fatima Benomar, #NousToutes ;
Alix Béranger, La barbe ;
Chris Blache, Genre et ville ;
Catherine Bloch London, sociologue ;
Claire Charlès, Les effronté-es ;
Annick Coupé, Attac ;
Caroline De Haas, #NousToutes
Christine Delphy, sociologue ;
Jules Falquet, sociologue ;
Emma, dessinatrice ;
Geneviève Garrigos, défenseure des droits humains ;
Cécile Gondard Lalanne, Union syndicale Solidaires ;
Murielle Guilbert, Union syndicale Solidaires ;
Esther Jeffers, économiste ;
Huayra LLanque, Attac ;
Gaëlle Martinez, Solidaires Fonction Publique ;
Christiane Marty, Fondation Copernic ;
Catherine Samary, Collectif des féministes pour l’égalité ;
Véronique Séhier, Le Planning familial ;
Cécile Tavan, Les effronté-es ;
Attika Trabelsi, militante féministe antiraciste ;
Céline Verzeletti, syndicaliste CGT ;
Sophie Zafari, FSU.