Marche du 1er novembre 2019 à Alger. Photo : Lyès H. El Watan.
Après une nuit inoubliable marquée par des manifestations joyeuses malgré les arrestations, Alger s’est réveillé ce matin plus fort que jamais, avec les renforts de manifestants venus des quatre coins de l’Algérie. A 11h00, des milliers de personnes ont déjà entamé la manifestation hebdomadaire qui coïncide cette fois-ci avec une date très symbolique, le 65e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération. Mais la marche, la vraie, a commencé plus tard.
13h50 à la rue Hassiba Benbouali. Une foule immense prend le chemin de la Grande poste en scandant « Etat civil, non militaire », « El Istiklal (indépendance) » et « pas d’élection avec les gangs ». L’énorme cortège de manifestant, constitué d’hommes et de femmes de tout âge, n’a pas été interrompu pendant plus de 40 minutes. « Je me demande si Alger peut contenir tout ce beau monde », se demande, souriante, une dame voilée, emmitouflée dans un drapeau.
[Vidéo non reproduite ici.]
15h00. Un flux humain, semblable à celui de la rue Hassiba, déferle sur Place Maurice Audin. La foule géante, compacte, belle et colorée, avançait très lentement. Et pour cause, les véhicules de polices qui ont rétréci le passage. Là aussi, les slogans hostiles au pouvoir, visant plus particulièrement le chef d’état-major de l’armée, Gaid Salah et le chef de l’Etat par intérim Bensalah, sont présents en force.
Le drapeau amazigh fait son retour à Alger
Quelques dizaines de mètres plus loin, les familles des détenus d’opinion occupent le trottoir jouxtant le portail de l’université Benyoucef Benkhedda. Les portraits du moudjahid Bouregaa, Tabbou, Boumala, Benlarbi sont partout. De nombreuses femmes, notamment les mères des détenus du drapeau amazigh, qui ont tenu à faire le déplacement à Alger, brandissent les photos de leurs fils incarcérés à la prison d’El Harrach depuis des mois. Sur les lieux, on constate notamment le retour des drapeaux amazighs brandies fièrement, en signe de défi, au milieu des youyous et des cris d’« Imazighen ».
Sur les pancartes, les manifestants ont redoublé d’ingéniosité aujourd’hui, anniversaire de la guerre de libération algérienne. « Libérez les détenus d’opinion, injustement incarcérés », « Pourvoir au peuple, assemblée constituante souveraine et révocable », « les élections d’un pouvoir corrompu est un piège à cons », « Je ne vote pas, je suis un élément du hirak », peut-on lire. Ils ont écrit aussi : « juge de la République, la légitimité émane du peuple », « celui qui ne bouge pas, ne sent pas ses chaînes » et « le peuple veut la chute du système ». D’autres manifestants ont hissé des écriteaux et des caricatures très virulents, ciblant en particulier Gaid Salah, les chaines de télévision algériennes ainsi que les magistrats.
La marche de 37 vendredi de la révolution pacifique a été marquée par la présence en force des portraits des martyrs de la guerre d’indépendance de l’Algérie. Ali la pointe, l’un de ces valeureux martyrs, a été ressuscité aujourd’hui à travers les cris « Ba3ouha ya Ali, (Ali, ils ont vendu le pays), lancés par des milliers de marcheurs.
FAROUK DJOUADI
• EL WATAN. 01 NOVEMBRE 2019 À 18 H 32 MIN :
https://www.elwatan.com/edition/actualite/marche-du-1er-novembre-a-alger-lincroyable-force-de-la-revolution-pacifique-01-11-2019
36e Mardi du Hirak étudiant : Une mobilisation sans faille
Alger, 29 octobre. 36e acte du hirak des étudiants. Il est un peu plus de 10h. Un soleil éclatant darde ses rayons sur la place des Martyrs. La place se remplit petit à petit de manifestants matinaux. La police est également présente en force.
La foule s’élargit rapidement. Elle s’agglutine devant l’une des deux bouches du métro de Sahate Echouhada. De prime abord, on constate qu’il y a plus de monde que les derniers mardis. Sans doute l’effet Novembre qui promet pour ce vendredi une mobilisation exceptionnelle.
10h30. Le cortège scande solennellement Qassaman avant de s’ébranler. Ambiance des grands jours. La marée humaine enchaîne par un émouvant « Taya El Djazaïr ! » Patriotisme à fleur de peau. Exacerbé justement par la date fatidique et ô combien symbolique du 1er Novembre. La foule répète : « Allah Akbar, rah djay Novambar ! » (Dieu est grand, Novembre arrive). Une variante de ce même refrain ajoutait cette formule : « Allah Akbar, echaâb yeteharar ! » (Dieu est grand, le peuple se libérera). Il commence à faire chaud. Sur les premières pancartes brandies, ces mots : « Tayhia El Djazair horra moustaquilla » (Vive l’Algérie libre et indépendante) ; « Djazair horra dimocratia » (Algérie libre et démocratique) ; « Libérez les détenus, libérez l’Algérie »…
Dans la procession, il y a toujours un noyau dur d’étudiants irréductibles mais, comme de tradition, énormément de citoyens de différents horizons. Peut-être même un peu plus hier. Parmi eux, nombre de retraités. Beaucoup de femmes. Certaines sont venues avec leurs enfants, comme cette dame dont le fils, haut comme trois pommes, drapé d’une bannière Jaune et Noir rappelant la tunique de l’USMH, arbore fièrement cet écriteau : « Dégage Gaïd Salah ! Toi, aussi bien que Bensalah. Pas de vote cette année. Etat civil, pas militaire ! » A l’approche de Bab Azzoune, ce nouveau slogan féroce fuse de la bouche des contestataires : « Fiqou ya echiyatine, Gaïd Salah tehha el Poutine ! » (Réveillez-vous lèche-bottes, Gaïd Salah s’est incliné devant Poutine).
« Ellaâb H’mida we recham H’mida »
Sur une pancarte, le nom du chef de l’Etat par intérim est décliné en « Abd El Cadre » Bensalah. Allusion à l’allégeance que l’ancien président du Sénat exprimait de façon démonstrative au Président déchu, même lorsqu’il était réduit à l’état de « cadre » photographique trimballé de cérémonie en cérémonie. L’auteur de cette pique écrivait donc : « Abd El Cadre Bensalah ne représente pas les hommes libres. Rendez-vous le 1er novembre ! » Bachir, venu comme tous les mardis et vendredis de Ath Mansour (wilaya de Bouira), a concocté ce message qui ne manque pas, lui non plus, de mordant : « Les prétendus hostiles à la main de l’étranger quémandent le secours de Poutine de l’étranger ».
Ce 36e mardi, on pouvait entendre aussi ce leitmotiv devenu l’un des chants les plus prisés du répertoire militant du hirak : « Dégage Gaïd Salah, had el âme makache el vote ! » (Pas de vote cette année). Les manifestants répétaient encore, sur un air de Mawtini : « Baouha el khawana, bahouha ! » (Ils ont vendu la patrie). Autre hymne qui sortait des tripes, celui où les marcheurs adressent cette complainte rageuse à Ali La Pointe : « Ya Ali Ammar, bladi fi danger.
Nkemlou fiha la Bataille d’Alger. Makache marche arrière, eddoula fourrière. El yed fel yed neddou l’istiqlal » (Ali Ammar mon pays est en danger. Nous allons continuer la Bataille d’Alger. Pas de marche arrière, le gouvernement est à la peine. Main dans la main on arrachera l’indépendance). Sur les pancartes brandies, les messages sont clairs : « Bye-Bye système, pas de vote cette année ! » écrit un citoyen. Une dame a ces mots acerbes : « Vous avez pillé le pays. Les élections ? Ellaâb h’mida we recham h’mida. Faqou ! Dégage ! » Dans le lot, on pouvait lire également, pêle-mêle : « Ni dialogue ni élections avec toutes ces pressions » ; « Un pouvoir illégitime ne peut produire que des actes illégitimes » ; « Rien n’arrête les Algériens ! Nul n’a le droit de décider à la place du peuple. Silmiya, toujours silmiya ! »
La libération des détenus est, comme toujours, au cœur des revendications exprimées : « Urgent ! Libération de tous les détenus d’opinion », proclame un citoyen à travers sa pancarte. Des portraits à l’effigie Yasmine Dahmani, véritable icône des manifs du mardi, sont hissés en exigeant la libération immédiate de l’étudiante. Oussama, manifestant originaire de Khenchela, a imprimé les portraits de plusieurs détenus pour leur signifier son soutien : Lakhdar Bouregaâ, Hakim Addad, Djalal Mokrani, Messaoud Leftissi, Fodil Boumala, Ahcène Kadi…
« Presse libre, justice indépendante »
A l’orée du square Port-Saïd où un dispositif policier sur les dents attend la vague humaine, la foule crie : « Sahafa horra, adala moustaquilla ! » (Presse libre, justice indépendante). Lu sur une pancarte : « Le peuple veut une justice indépendante et son activation ». Nesrine, une jeune manifestante toujours très inspirée, s’est fendue d’un message où elle accable les magistrats en leur signifiant : « L’Histoire ne pardonnera pas aux juges qui ont ordonné l’incarcération de militants pour leurs opinions ».
A hauteur du TNA, un homme fulmine : « Le prochain Président ne sera pas désigné par eux. On enlèvera toute cette racaille ! » La foule scande de plus belle : « Makache intikhabate ya el issabate ! » (pas d’élections avec les gangs). L’accès à la rue Abane et au tribunal de Sidi M’hamed, où devait être rendu le verdict concernant six détenus d’opinion, est bloqué par des camions de police. La procession entonne : « Harrirou el mouataqaline ! » (Libérez les détenus) ; « Attalgou ouledna, oueddou ouled el Gaïd ! » (Relâchez nos enfants et prenez ceux de Gaïd Salah).
En pénétrant la rue Larbi Ben M’hidi, la foule prend à nouveau Bensalah à partie : « Ya Bensalah ya djabane, had echaâb la youhane ! » (Bensalah, tu es un lâche, ce peuple ne se fait pas humilier). La marée humaine répète dans la foulée : « Hé Ho, leblad bladna, w’endirou raina makache el vote » (Ce pays est le nôtre, on fera ce qui nous plaît, pas de vote). Sous la statue équestre de l’Emir, on entend : « Les généraux à la poubelle, wel Djazair teddi l’istiqlal ! » (et l’Algérie accédera à l’indépendance) ; « Eddouna gaâ lel habss, echaâb marahouche habess ! » (Jetez-nous tous en prison, le peuple ne s’arrêtera pas), « Attalgou el massadjine, ma baouche el cocaine ! » (Relâchez les détenus, ce ne sont pas des vendeurs de cocaïne).
« Ramenez Poutine, ramenez les Américains, on ne s’arrêtera pas ! »
A un moment donné, au milieu de la rue Larbi Ben M’hidi, un nouveau slogan plein de détermination en remettait une couche au sujet de la malheureuse escapade de Bensalah à Sotchi : « Djibou Poutine, Djibou el Marikane, maranache habssine ! » (Ramenez Poutine, ramenez les Américains, on ne s’arrêtera pas).
Dans le même registre de la défiance, la foule assène : « Dirouna les menottes, makache el vote ! » (Mettez-nous les menottes, pas de vote). Ali La Pointe est de nouveau invoqué avec cette variante : « Ya Ali Ammar, bladi fi danger, Awal Novambar la Bataille d’Alger » (Ali Ammar, mon pays est en danger, 1er Novembre, la Bataille d’Alger). Le cortège traverse l’avenue Pasteur aux cris de « Echaâb yourid el istiqlal ! » (Le peuple veut l’indépendance). Des youyous stridents accompagnent les clameurs.
Des femmes lancent des bouteilles d’eau des balcons. Le cortège tourne par la Fac centrale et s’engage sur la rue Sergent Addoun. Nous croisons Soufiane Djilali entouré de militants de Jil Jadid. Ils sont venus soutenir les étudiants.
Le cortège enchaîne par le boulevard Amirouche. En passant devant le ministère de l’Agriculture, les étudiants et leurs renforts lancent : « Win rahi el filaha, win rahi ? » (Où est l’agriculture). Puis, se tournant vers le bâtiment d’en face à l’enseigne d’une banque publique, la foule s’écrie : « Klitou lebled ya esseraquine ! » La folle procession avance vers la rue Mustapha Ferroukhi avant d’entrer triomphalement à la place Audin, quadrillée par la police.
Là, un autre cortège arrive en sens inverse.
Ce sont des proches des détenus et des citoyens venus exprimer leur soutien aux prisonniers d’opinion pendant l’audience qui devait avoir lieu au tribunal de Sidi M’hamed.
Mais aucun verdict ne sera rendu, la grève des magistrats en ayant décidé autrement. Les deux cortèges fusionnent et poursuivent la manif’ jusqu’à la rue Abdelkrim Khettabi. 13h10. Deux jeunes leaders du hirak étudiant hissés sur les épaules de leurs camarades invitent la foule à scander Qassaman avant de clore cette 36e joute du mouvement des campus. Une belle répétition avant le vendredi 1er novembre…
MUSTAPHA BENFODIL
• EL WATAN. 30 OCTOBRE 2019 À 10 H 17 MIN :
https://www.elwatan.com/edition/actualite/36e-mardi-du-hirak-etudiant-une-mobilisation-sans-faille-30-10-2019