Charbon, pétrole et gaz forment un cocktail délétère. Une addiction dont l’humanité ne parvient pas à se sevrer et qui l’entraîne irrémédiablement vers de graves maux. D’ici à 2030, les pays prévoient de produire beaucoup trop d’énergies fossiles, bien plus que ce qu’impliquerait le respect des objectifs de l’accord de Paris de 2015 : 53 % de plus que ce qu’il faudrait pour contenir le réchauffement à 2 0C d’ici à la fin du siècle et 120 % de trop pour le limiter à 1,5 0C. Ces estimations sont le fruit d’un travail inédit de plusieurs organismes de recherche, avec le soutien du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans un rapport publié le 20 novembre [1].
Pour la première fois, des scientifiques ont estimé le production gap, c’est-à-dire l’écart entre la production d’énergies fossiles anticipées par les Etats et les niveaux qui seraient nécessaires pour limiter le réchauffement à un seuil soutenable. Ce fossé est le plus grand en ce qui concerne le charbon : la production prévue en 2030 excède de 150 % le niveau compatible avec l’objectif de 2 0C et de 280 % l’objectif de 1,5 0C. Les prévisions de production de pétrole et de gaz en 2040 dépassent, elles, respectivement de 43 % et de 47 % les niveaux compatibles avec un réchauffement de 2 0C.
Le « production gap » représente l’écart entre la production anticipée d’énergies fossiles d’ici à 2040 (courbe rouge) et ce qu’il serait nécessaire pour respecter les objectifs de l’accord de Paris de ne pas dépasser 1,5 0C ou, d’être bien en-deçà de 2 0C de réchauffement (courbes bleues). PNUE
Note d’espoir
« Alors que de nombreux gouvernements prévoient de réduire leurs émissions, leurs plans et leurs projets d’expansion d’énergies fossiles indiquent le contraire. Cela entrave la capacité collective des pays à atteindre les objectifs climatiques mondiaux », relèvent les auteurs du rapport.
Malgré la progression des renouvelables, les énergies fossiles représentent toujours 80 % de l’énergie primaire mondiale. Elles sont responsables de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre – qui ont battu un record historique cette année – et de 90 % des seuls rejets de CO2.
Comment expliquer cette place toujours prépondérante de ces carburants du réchauffement climatique ? Selon le PNUE, les gouvernements soutiennent la production d’énergies fossiles de nombreuses façons. Ils jouent non seulement un rôle central dans la délivrance de permis d’exploration et de production, mais ils soutiennent également l’industrie fossile par des investissements directs, des exonérations fiscales ou encore le financement de la recherche et du développement.
Le rapport, qui passe en revue les plans énergétiques de dix producteurs majeurs, note des différences pour expliquer l’augmentation prévue de la production : pour certains pays, comme les Etats-Unis, la Russie ou le Canada, il s’agit de répondre à la demande extérieure, tandis que d’autres, à l’instar de l’Inde ou de la Chine, tentent de limiter voire de mettre fin à leurs importations.
Certains Etats, pourtant, cherchent à réguler la production d’énergies fossiles, en mettant en place des moratoires totaux ou partiels sur l’exploration et l’exploitation de pétrole ou de gaz (comme en France, au Danemark, en Nouvelle-Zélande ou au Costa Rica) ou en prévoyant un plan de sortie du charbon, comme en Allemagne ou en Espagne.
Autre note d’espoir : en 2019, l’électricité générée à partir du charbon est en passe de connaître une baisse de 3 %, la plus forte de l’histoire, selon une étude publiée lundi 25 novembre par Carbon Brief, un site spécialisé dans l’analyse de données sur le climat et l’énergie. Reste que, si le déclin est durable en Europe et aux Etats-Unis, la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, multiplie les projets de construction de nouvelles centrales.
Audrey Garric