« Inacceptables » pour les sénateurs, « vulgaire[s] » ou « méprisant[s] » pour d’autres élus : les propos pourraient relever de la faute politique. Mercredi 13 novembre, interrogé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale sur la flèche de Notre-Dame de Paris, le général Jean-Louis Georgelin, représentant spécial du président Macron sur le chantier de la cathédrale et futur responsable de l’établissement public devant le gérer, a insulté Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques chargé de la reconstruction de l’édifice médiéval :
« Je le lui ai déjà expliqué plusieurs fois et je le lui redirai : qu’il ferme sa gueule et nous avancerons en sagesse pour que nous puissions sereinement faire le meilleur choix pour Notre-Dame, pour Paris et pour le monde. »
Macron « souhaite que chacun retourne au travail »
L’Elysée semble pour l’heure vouloir empêcher un nouveau départ de feu qui pourrait s’avérer lourd de conséquences pour les délais de reconstruction de la cathédrale fixés à cinq ans. « Le président de la République ne souhaite pas de polémiques autour d’un enjeu aussi important que le chantier de reconstruction de Notre-Dame, indique l’Elysée, au lendemain de la bévue du général. Il souhaite que chacun retourne au travail dans le calme et le respect de chacun. » Si la création officielle de l’établissement public est prévue début décembre, rien n’est dit, en revanche, sur le traitement qui sera réservé à Jean-Louis Georgelin. Certains affirmant, dans l’entourage présidentiel, que le général aurait été « invité à faire preuve de discernement dans ses interventions publiques et à ne pas s’exprimer pour l’heure dans les médias ».
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, « tous groupes politiques confondus », a été beaucoup moins tolérante. Elle a publié, jeudi 14 novembre, un communiqué qui préconise implicitement de démettre le général de toute responsabilité dans ce dossier : « (…) Les conditions ne sont désormais plus réunies pour que le préfigurateur soit en capacité de fédérer autour de ce projet d’une ampleur sans précédent les différents acteurs chargés d’entreprendre, dans les meilleurs délais, la reconstruction de ce joyau de notre patrimoine national et de respecter les compétences dévolues à chacun d’entre eux par la loi. »
La flèche au cœur du différend
La réaction sénatoriale avait été précédée par celle du ministre de la culture et de la communication. En dépit de l’inimitié notoire entre le représentant spécial du président et Franck Riester, ce dernier a déclaré sur Twitter, sans toutefois appeler explicitement à une sanction, que « les propos du général Georgelin à l’encontre de Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques chargé de Notre-Dame, ne sont pas acceptables. Le respect est une valeur cardinale de notre société. En tant que responsables publics, nous devons être exemplaires ».
D’autres voix se sont fait entendre, telles que celles du président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, qui fustige « la vulgarité et le mépris de M. Georgelin », ou du maire PS du 4e arrondissement de Paris, Ariel Weil, qui s’avoue « bien heureux en tout cas que Philippe Villeneuve n’ait pas fermé sa gueule à la réunion publique [qu’il avait] organisée la semaine dernière à la mairie du 4e sur Notre-Dame, car ses explications, sa vision et sa parole furent très appréciées. »
Le différend entre MM. Georgelin et Villeneuve porte sur la flèche construite par Eugène Viollet-le-Duc au XIXe siècle, intégralement détruite lors de l’incendie du 15 avril. Tandis que l’ancien chef d’état-major, conformément à la ligne défendue par Emmanuel Macron, est favorable à ce que puisse s’exprimer un « geste architectural contemporain », M. Villeneuve, à l’inverse, est partisan d’une reconstruction à l’identique. Et ne s’est pas privé de le faire savoir.
Sur RTL, au mois d’octobre, il avait d’ailleurs eu une formule aussi claire qu’expéditive : « Le futur, c’est soit je restaure à l’identique, et ça sera moi, soit on fait une flèche contemporaine, et ça sera un autre. » L’architecte en chef des monuments historiques avait justifié sa position en référence à la charte de Venise établie en 1964 « qui impose que l’on restaure les monuments historiques dans le dernier état connu ».
Jean-Jacques Larrochelle et Cédric Pietralunga
• Le Monde. Publié le 15 novembre 2019 à 09h04 - Mis à jour le 15 novembre 2019 à 18h48 :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/11/15/tolle-politique-apres-le-derapage-du-representant-de-macron-sur-la-reconstruction-de-notre-dame-de-paris_6019233_3246.html
Six mois après l’incendie, le chantier colossal de Notre-Dame de Paris
La cathédrale n’est toujours pas consolidée et l’échafaudage endommagé n’a pas encore été démonté. Le budget estimé pour l’ensemble de la phase de consolidation est de 85 millions d’euros.
Le ministre de la culture et de la communication, Franck Riester, a présenté, mardi 15 octobre dans son ministère, rue de Valois, à Paris, un bilan à six mois de l’incendie survenu à Notre-Dame le lundi 15 avril. Durant la nuit, les flammes ont détruit la charpente en bois dont une partie datait de l’époque médiévale, ainsi que la flèche construite par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc au milieu du XIXe siècle. Cette dernière, en s’effondrant, a transpercé la voûte en deux endroits. Tant qu’elle n’est pas consolidée et l’échafaudage démonté, Notre-Dame « n’est pas totalement sauvée », a rappelé le ministre.
Le chantier, devant permettre l’étude et la résolution des problèmes provoqués par la conjonction du feu et de l’eau déversée par les pompiers, s’annonce colossal. Il se complique, de surcroît, en raison d’une importante présence de plomb face à laquelle les nécessaires dispositions à prendre ralentissent le rythme de travail.
La mobilisation s’est aussitôt apparentée à « un marathon qui a commencé par un sprint », pour reprendre les termes du préfet de la région Ile-de-France, Michel Cadot, cités par Franck Riester lors de son intervention.
Le chantier
Trente-neuf entreprises et quelque 80 compagnons peuvent être présents sur le site. Grâce à l’emploi de laser mètres, de capteurs et de fissuromètres, les structures de la cathédrale et de l’échafaudage (qui devait permettre de réaliser des travaux sur la flèche) font l’objet d’une surveillance assidue.
Par ailleurs, 80 % des débris (métal, bois ou pierre) projetés au sol ont été prélevés à l’aide de robots avant d’être récupérés par la police scientifique, en quête d’indices sur l’origine de l’incendie, puis par le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Des mesures de sauvegarde ont aussi été engagées, en priorité sur les éléments susceptibles de se détacher du corps de l’édifice ou pour stopper toute dégradation supplémentaire.
Les premières interventions ont surtout concerné la consolidation des pignons ouest ainsi que ceux au nord et au sud du transept (ici agrémentés de rosaces), le bâchage des voûtes hautes, le frettage (cerclage) des chimères, côté parvis, et de deux piliers à l’intérieur de la nef. Le 25 juillet, deux blocs de pierre sont tombés sur les filets tendus sous la nef. « L’ébranlement des parties adjacentes aux parties effondrées et l’effet du feu, font peser une menace sur la stabilité réelle du voûtement », indique, dans un document publié le 14 octobre, la préfecture de la région Ile-de-France.
L’équilibre d’une architecture gothique étant, pour faire simple, issu de la neutralisation d’un ensemble de forces « antagonistes », toute disparition d’un ou de plusieurs éléments structurels (ici, la charpente et la toiture) menace sa stabilité.
Un platelage (plancher) appuyé sur le haut des murs gouttereaux a été posé permettant d’étudier, autant par le LRMH que par les enquêteurs, la nature des débris qui jonchent le dessus de la voûte (extrados).
La stabilisation des parois de la nef sera effective une fois réalisée la mise sur cintre de la totalité des quatorze arcs-boutants : une partie, côté sud, le sera fin octobre, le reste (autour de la croisée du transept), « à venir », indique le document de la préfecture. A ce renforcement viendra s’ajouter la mise en place de tirants métalliques.
L’échafaudage
C’est l’un des points critiques. La suppression de l’immense échafaudage, en partie tordu par la chaleur des flammes, est nécessaire à la mise en place d’un grand parapluie qui abritera l’intérieur de l’édifice, et facilitera le travail des équipes.
Conçue comme un « tabouret », chevauchant la cathédrale, reposant sur le sol et à peine appuyé sur les quatre piles de la croisée, la gigantesque construction concourt à la tenue de l’ensemble. Son démontage, prévu à partir de fin octobre début novembre, va nécessiter un luxe de précaution. Une dizaine d’étapes sont prévues.
En résumé : montage d’un échafaudage supplémentaire après une purge des débris sur la structure existante ; dépose des premières parties supérieures et rehausse, tout autour, des échafaudages des pignons qui serviront d’appui à une poutraison destinée aux cordistes devant réaliser le démontage.
« L’objectif est, à chaque étape, de sécuriser et de renforcer la structure de l’échafaudage en vue de pallier tout risque d’effondrement », indique la préfecture. L’achèvement de cette phase est prévu entre le printemps et l’été 2020.
L’établissement public administratif
Le soir de l’incendie, la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Ile-de-France, à titre de maître d’ouvrage, s’est impliquée dans l’organisation des premières mesures d’urgence. Le lendemain, l’architecte en chef des monuments historiques (ACMH) chargé de Notre-Dame, Philippe Villeneuve, dressait un premier état des lieux. A compter du 1er décembre, la rue de Valois deviendra officiellement la tutelle d’un établissement public administratif (EPA).
C’est cette structure qui assurera désormais la maîtrise d’ouvrage du chantier. Elle sera dirigée par le général Jean-Louis Georgelin, nommé par décret du premier ministre Edouard Philippe, en date du 30 septembre, « préfigurateur de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ».
Cet ancien chef d’état-major des armées était devenu après l’incendie « représentant spécial » sur le site d’Emmanuel Macron. Un choix dicté par la volonté du président, dès le 16 avril, que la reconstruction du plus visité des monuments français « soit achevée d’ici à cinq années ». Un délai apparemment très court que Philippe Villeneuve juge toutefois réaliste. L’établissement emploiera une quarantaine de personnes.
Le projet numérique
Trois ACMH travaillent sur le chantier de Notre-Dame. Philippe Villeneuve et Rémi Fromont sont affectés à la situation d’urgence impérieuse, tandis que Pascal Prunet se consacre à la problématique de recherche en lien avec les spécialistes des différents pôles (pierre, métal bois, peinture…) du LRMH, du CNRS, du Centre de recherche et de restauration des musées de France ou du service régional de l’archéologie de la DRAC.
Objectifs : intégrer ces savoirs faire à l’élaboration du diagnostic et mettre en œuvre, à terme, grâce à une base de données, un corpus de connaissance plus large sur Notre-Dame (matériaux, modes de construction, sources d’approvisionnements).
Au sein de cette communauté, Livio de Luca, directeur de recherche en numérisation du patrimoine au CNRS, coordonne les groupes de travail sur les données numériques relatives à la cathédrale. « Les numérisations passées, présentes et futures de l’édifice sont utiles pour la restauration », souligne-t-il. Et les retombées pas seulement technologiques, mais aussi sociétales.
Dons et promesses
A ce jour, 922 millions d’euros de dons et de promesses de dons ont été reçus pour rebâtir la cathédrale, a annoncé Franck Riester. Le budget estimé pour l’ensemble de la phase de consolidation est de 85 millions d’euros ; 104 millions d’euros ont déjà été versés par les donateurs qui sont au nombre de 350 000.
« Il est bien trop tôt pour dire si le montant des dons suffira, a déclaré le ministre de la culture. L’Etat assumera ses responsabilités ; on ne va pas laisser Notre-Dame en plan. » Pour l’heure, il a engagé plus de 37 millions d’euros de crédit, ces engagements de dépense étant effectués sous le régime de l’urgence impérieuse.
Jean-Jacques Larrochelle
• Le Monde. Publié le 16 octobre 2019 à 03h15 - Mis à jour le 16 octobre 2019 à 05h56 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/16/six-mois-apres-l-incendie-le-chantier-colossal-de-notre-dame-de-paris_6015653_3224.html