Après plusieurs mois de contestation, la confiance est rompue entre la population et la police. Désormais, les rumeurs et fake news se multiplient dès qu’un cadavre de jeune manifestant prodémocratie est retrouvé.
Christie a été retrouvée au petit matin du 22 septembre, entièrement nue. Son corps flottait dans la mer près de la digue de Tseung Kwan O, dans l’est de Hongkong. La brunette avait 15 ans et manifestait en faveur de la démocratie. La police a conclu à un suicide.
Mais pour une partie de la population, c’est le mensonge de trop. Deux mois après le décès, la version officielle ne parvient toujours pas à contenir une déferlante de rumeurs révélatrice de l’ampleur des infox dans une société hongkongaise irrémédiablement polarisée.
L’affaire commence le 21 septembre. Ce jour-là, la police reçoit le signalement d’une dame. Sa fille de 15 ans a disparu à Tiu Ken Leng depuis deux jours. Quand le corps sans vie est repêché, l’affaire est classée ainsi : « découverte d’un cadavre ».
Le public n’en est informé que le 11 octobre. Il apprendra ce jour-là que la dépouille de Chan Yin Lam, aussi appelée Christie, a été incinérée la veille. « Des investigations ont été lancées, divers aspects appréhendés et la famille a été tenue informée », indique par mail la police.
Selon elle, « l’enquête est toujours en cours et jusqu’à présent aucun élément suspicieux n’est apparu ». Mais le doute persiste car la confiance dans les autorités est rompue.
« Cafards »
« Elle était très bonne nageuse. Elle pouvait sauter du plongeoir à 5 mètres. Et elle faisait aussi de la plongée. C’est impossible qu’elle se soit suicidée, surtout dans la mer ! » commente une étudiante de 19 ans qui n’en démord pas : « On nous ment. On ne peut même pas imaginer ce que la police fait vraiment. Est-ce qu’on va être les prochains ? » s’inquiète-t-elle depuis les locaux de l’Institut du design où était aussi scolarisée Christie.
Quelle est la cause de sa mort ? Le rapport d’autopsie a-t-il été envoyé à la justice ? Pourquoi l’école a-t-elle attendu des heures avant de rendre publics des enregistrements de vidéosurveillance tronqués ?
Depuis des semaines, ces questions hantent les réseaux sociaux et les couloirs de l’école, fermée après avoir été vandalisée.
« Je ne fais plus confiance à la police, elle détient tous les pouvoirs, accuse un étudiant de 21 ans. C’est déprimant pour les jeunes. Les avocats n’ont pas accès aux personnes arrêtées, les juges ne peuvent rien faire pour nous, personne ne peut nous protéger. On est tous seuls, on ne peut faire confiance qu’à nous-mêmes. »
Jusqu’à présent, certains partaient manifester en laissant un testament. La hausse des suicides et des cadavres (respectivement 34 et 311 supplémentaires entre juin et septembre par rapport à 2018) vient alimenter les suspicions. Désormais, certains crient leur nom et ce message au moment de leur interpellation : « Je ne veux pas me tuer. S’il m’arrive quelque chose, ça ne sera pas un suicide. »
Les autorités ont tenté à plusieurs reprises d’apaiser les esprits. « Restez calmes et regardez les faits », a ainsi exhorté la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, selon qui « ces derniers mois, beaucoup d’allégations malveillantes et sans fondement ont visé des policiers ».
Mais après près de six mois de crise politique, les divisions sont trop ancrées et les réseaux sociaux sont désormais prédominants dans la fabrication de l’opinion.
Du côté des partisans de Pékin, la propagande est bien organisée.
Fin août, Twitter et Facebook ont accusé Pékin de soutenir une campagne sur les réseaux sociaux visant à jeter le discrédit sur les manifestants prodémocratie, les traitant de « cafards à écraser ». Près d’un millier de comptes avaient alors été suspendus, Twitter précisant avoir fermé 200 000 autres profils avant qu’ils ne soient actifs sur le réseau.
Message
Du côté des manifestants, la propagation des informations, vérifiées ou non, semble plus organique. Elles ne sont pas nécessairement destinées à informer le public mais circulent essentiellement sur des groupes fermés. Elles servent plus à confirmer un positionnement politique qu’à servir la propagande du mouvement.
En parallèle, chaque semaine le gouvernement se fend d’un communiqué pour démentir des rumeurs sur des meurtres perpétrés par la police lors des arrestations violentes du 31 août dans le métro, l’instauration d’un couvre-feu, l’implication de la police dans la chute qui a provoqué le décès d’un étudiant, la présence de caméras faciales dans les isoloirs, etc.
Les autorités ont par ailleurs obtenu de la justice l’interdiction de poster sur Internet tout message incitant à la violence ou révélant des données personnelles de policiers.
Comme l’a expliqué Masato Kajimoto, du centre de journalisme de l’Université de Hongkong, lors d’une conférence au Foreign Correspondent Club, « les infox sont un symptôme d’une société polarisée, non la cause de la polarisation elle-même ».
Selon le chercheur, la situation actuelle est complètement différente de celle d’avant que ne débute le mouvement prodémocratie pour préserver l’autonomie de Hongkong. « On a déjà atteint ce niveau à partir duquel quoi que vous entendiez venant du camp opposé, vous n’écoutez pas et pensez que c’est de la conspiration totale. » Une inquiétante fin de non-recevoir.
Anne-Sophie Labadie correspondante à Hongkong