Le lieu est hautement symbolique. Le 15 novembre dernier, sur la place de l’Indépendance, à Bamako, le drapeau français a été brûlé. Cela n’a été le fait que de quelques-uns, mais, lors de cette manifestation organisée par l’opposition au président Ibrahim Boubacar Keïta,, les partisans de l’incrimination de la France dans les plus grands malheurs du Mali n’ont pas manqué l’occasion de se faire entendre.
Les initiateurs de la manifestation n’ont pas condamné ces actions dans les jours qui ont suivi. “Les messages des leaders présents n’étaient pas des messages de haine contre la France. Nous n’adhérons évidemment pas à cette position. Mais, aujourd’hui, il faut comprendre que cette population est perdue à cause de la mauvaise gouvernance. Notre problème n’est donc pas la France”, explique Moussa Seye Diallo, du principal parti d’opposition, l’URD [Union pour la République et la démocratie]. “Mais, quand vous lancez un appel, tout le monde vient, avec ses intentions, ses émotions et ses réflexions. Aujourd’hui, certains n’arrivent pas à comprendre ce qui se passe dans les zones de conflit. Bien qu’il y ait une présence des forces étrangères, avec en tête de proue la France, les massacres continuent et se multiplient”, ajoute-il.
Même son de cloche chez Fare An ka Wuli [un autre parti d’opposition, dirigé par l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé], où l’on précise que la manifestation n’avait pas pour but d’attaquer qui que ce soit, même si l’on estime la réaction de ces Maliens compréhensible. “L’opinion et les ressentiments des uns et des autres quant à la position de la France ne nous engagent pas”, précise Bréhima Sidibé, secrétaire général adjoint du parti.
Exaspération face à la situation sécuritaire
Avant d’en arriver là, il y avait eu des prémices. Ce sentiment antifrançais avait déjà été observé à travers le pays. Que ce soit lors des manifestations récentes à Sévaré [en octobre, plusieurs milliers de personnes ont défilé contre l’insécurité dans cette ville du centre du Mali] ou, dès 2018, lors de la mobilisation du mouvement “On a tout compris” [mouvement citoyen qui dénonçait une “complicité” de la France dans la crise malienne], le sentiment “antifrançais” croît ces derniers temps.
“Il s’explique par une exaspération face à la détérioration de la situation sécuritaire. Autant, en 2013, l’arrivée de l’opération Serval, avec la campagne militaire franco-africaine qui s’est ensuivie, a été perçue comme salvatrice, autant, la persistance de la menace sécuritaire des années après reste incompréhensible pour certains Maliens”, fait remarquer Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité en Afrique. Il trouve d’ailleurs “normal” que la population s’en prenne aux acteurs militaires, et donc à la France, considérée comme une puissance capable d’aider le Mali à faire face aux terroristes si elle jouait franc-jeu.
Jeu trouble de la France ?
Ce n’est pas seulement au Mali que les Français sont mis à l’index, mais un peu partout en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso ou au Niger. Ce que ne comprend pas Joël Meyer, selon lequel, au contraire, la position de la France face au fléau terroriste qui meurtrit le Sahel a toujours été parfaitement claire. “Quelle “ambiguïté’, de la France et de la communauté internationale peut-on dénoncer alors qu’aux côtés de leurs camarades maliens, tant de soldats français et étrangers, tout particulièrement africains, se sont sacrifiés sur ce sol pour défendre le pays ?”, questionne le diplomate français, qui avoue par ailleurs entendre l’impatience d’une partie de l’opinion malienne.
Pour le diplomate, la lutte contre le fléau terroriste s’inscrit nécessairement dans un temps long. “Croyez bien encore une fois que nous préférerions épargner la vie de nos militaires, mais la France tient ses engagements de solidarité”, rappelle-t-il.
Pour beaucoup, le nord du Mali, plus précisément la région de Kidal, serait le symbole du “jeu trouble” auquel s’adonnerait la France au Mali. Les Maliens auraient toujours en travers de la gorge cette proximité des forces françaises avec les rebelles [indépendantistes] touareg à Kidal [dans le nord du Mali].
“Un désengagement serait un aveu d’échec”
“Cela est difficile pour un pays qui se dit ami du Mali d’interdire l’entrée dans une partie du territoire national malien aux troupes maliennes [en 2013, l’armée française était accusée d’avoir empêché l’armée malienne d’entrer dans Kidal, tenue par les mouvements indépendantistes]. Cela ne peut pas se justifier, ce qui rend la position de la France de plus en plus indéfendable, même du point de vue de certaines personnes dans l’opinion publique”, relève le professeur N’diaye, ancien ministre et figure de l’opposition.
“S’agissant de Kidal, le président Emmanuel Macron a récemment rappelé que la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Mali n’étaient pas négociables”, lui répond l’ambassadeur Joël Meyer, pour lequel ces principes ont été solennellement consacrés par l’accord [de paix] signé en 2015 entre le gouvernement et d’anciens rebelles du Nord, qui ont ainsi fait le choix de retourner dans le giron de l’État malien plutôt que de poursuivre leur funeste entreprise déstabilisatrice. “La France n’a d’autre intérêt au Nord que l’application de cet accord”, soutient-il très fermement.
Pour ceux qui se questionnent sur un éventuel désengagement de la France du Mali, vu les appels incessants émanant d’une partie de l’opinion nationale, il n’en serait rien. “Un tel désengagement, c’est d’abord admettre que les millions d’euros qui ont été investis au Mali et dans le Sahel n’auront pas servi à grand-chose. Ce serait un aveu d’échec”, affirme Baba Dakono. “D’autre part, la position portée par une frange de la population n’est certainement pas celle qui est portée par les décideurs au niveau national, qui ont établi le plan de coopération militaire avec la France “, précise le chercheur.
Un point de vue qui cadre parfaitement avec celui du représentant de la diplomatie française au Mali, qui réaffirme l’attachement de son pays au “caractère souverain des décisions des autorités maliennes pour ce qui concerne leur pays”, avant d’appeler les Maliens à “distinguer la réalité de la désinformation et à faire la part entre les faits et les rumeurs”. Il avertit : “Ne nous trompons pas d’ennemi.”
Germain Kenouvi
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