CHITWAN ENVOYÉE SPÉCIALE
En pleine campagne, au bout d’un chemin à peine carrossable, la colline boisée est piquetée de bunkers. La rivière qui passe à son pied est quasiment à sec. Des jeunes filles aux treillis bariolés, les cheveux mouillés, reviennent du village voisin où elles ont pris leur douche à la pompe. Des jeunes gens aussi en treillis et sandales de caoutchouc, livres et cahiers sous le bras, se dirigent vers l’école du camp. Rasoli est un camp qui abrite 1 300 combattants maoïstes de la troisième division de l’Armée de libération du peuple (ALP).
Placé sous le contrôle de l’ONU, le cantonnement des combattants de l’ALP et de leurs armes a été exigé par l’Alliance des sept partis politiques qui en ont fait une condition à la participation des maoïstes au gouvernement lors de la conclusion de l’accord de paix, le 7 novembre 2006.
Pressés de participer à un gouvernement dont ils sont encore exclus, les maoïstes ont immédiatement commencé à rassembler leurs hommes avec leurs armes dans 28 camps - 7 principaux avec chacun 3 subsidiaires. Selon l’ONU, l’enregistrement des armes ainsi que la première phase d’enregistrement des combattants de l’ALP se sont terminés samedi 17 février. Dans une deuxième phase, l’ONU examinera de plus près qui sont ces combattants, depuis quand ils sont avec l’ALP, d’où ils viennent, etc.
La précipitation maoïste a toutefois eu pour conséquence que les camps sont loin d’être équipés. « La situation est misérable, il est très difficile d’obtenir de quoi nourrir nos soldats, il n’y a pas d’eau, pas d’électricité », affirme Abiral, porte-parole de la troisième division de l’ALP, cantonnée près de Bharatpur. « Nous avons déjà dépensé à crédit auprès des commerçants locaux 3 700 000 roupies (40 000 euros) pour la nourriture et 10 millions (108 000 euros) pour l’installation des camps de la division », poursuit Aribal, sans préciser si les commerçants se satisfont de l’arrangement. Ceux-ci ne disent rien tant il est clair que les maoïstes font encore peur. Théoriquement, le gouvernement est responsable de l’entretien des camps mais visiblement l’argent déjà donné ne suffit pas.
A 19 ans, Ravi a déjà trois ans d’ALP derrière lui. Sans l’avouer directement - discipline oblige -, il est un peu déçu d’être cantonné ici. « Nous étions supposés servir le peuple népalais. L’année dernière, nous ignorions que ceci allait arriver », dit-il.
REJOINDRE L’ARMÉE
Ancien commissaire politique, membre de l’ALP depuis sa création en 1996, Aribal se veut réaliste : « L’ALP est une armée politique. Nous avons été obligés de prendre les armes, maintenant nous les abandonnons pour faire réussir le processus de paix mais notre but reste le même, libérer le peuple népalais de l’oppression », dit cet homme d’une quarantaine d’années, en treillis et casquette marquée de l’étoile rouge. Si le processus de paix ne réussit pas ? « Nos forces armées savent se défendre », affirme Aribal, qui précise que, sous surveillance de l’ONU, il fait procéder régulièrement au nettoyage des armes consignées dans des containers munis de systèmes d’alarme onusiens mais dont les maoïstes gardent la clé.
Aribal, comme tous les jeunes interrogés, espère à terme rejoindre la future armée nationale qui devra intégrer les forces de l’ALP. « L’unification des forces sera possible car l’armée aura une nouvelle structure », indique-t-il, avant de préciser : « La plupart des généraux aujourd’hui en poste devront partir car ce sont des criminels qui ont combattu le peuple, contrairement à nos camarades de l’ALP. » La perspective de rejoindre l’armée a été un argument massif utilisé par les maoïstes lors de leur grande campagne de recrutement à l’automne.
Avant que sa mère ne le reprenne à la maison, Raveen, 15 ans, avait rejoint, en compagnie de quelque 25 camarades, les maoïstes en octobre 2006. « J’ai dit que j’avais 18 ans et je me suis entraîné avec eux pendant un mois », raconte Raveen, qui arbore une veste, des chaussures, un foulard donné par les maoïstes. « J’étais heureux dans le camp », dit cet adolescent qui avait aussi essayé d’intégrer l’armée népalaise.
Les maoïstes, qui ont célébré le 13 février leurs dix ans de lutte, s’impatientent visiblement devant les lenteurs du processus de paix. « L’indécision (du gouvernement) est notre principale inquiétude », affirme dans son bureau du Parlement Khim Lal Devkota, un des députés nommés du Parti communiste népalais (maoïste). Avocat de profession, M. Devkota, qui a passé de nombreuses années dans la clandestinité, déplore aussi l’état de l’administration « corrompue, sans aucun sens du travail, ingouvernable ». Il l’oppose à l’administration maoïste, aujourd’hui officiellement dissoute, qui régnait selon lui « dans 80 % du Népal ». « Nous avons déjà gouverné un Etat parallèle », dit-il, soulignant implicitement que les maoïstes seraient à même d’agir immédiatement pour faire avancer les choses si l’Alliance des sept partis politiques les laissait faire.
AU PARLEMENT INTÉRIMAIRE
Ancienne de l’ALP, Amrita Thapa, 34 ans, elle aussi députée, s’inquiète de la présence au sein du Parlement de « fidèles du roi, de violeurs des droits de l’homme ». Les 330 membres du Parlement intérimaire, dont la principale responsabilité est l’organisation des élections à l’Assemblée constituante, ont été nommés par leurs partis respectifs.
Avec 83 députés, les maoïstes forment le deuxième groupe parlementaire derrière le parti du Congrès, du premier ministre Girija Prasad Koirala. « Avant la Constitution intérimaire, les choses bougeaient vite, mais maintenant il y a beaucoup de confusion et les doutes s’accroissent », indique Amrita Thapa, qui se fait expliquer par un habitué le fonctionnement pratique du Parlement.
Sortis de la clandestinité il y a à peine quatre mois, les maoïstes ont vite pris leurs marques à Katmandou, même si leur chef Pushpa Kamal Dahal, « Prachanda » (le Féroce) de son nom de guerre, continue de s’entourer de beaucoup de sécurité et d’être protégé par une garde personnelle. Dans la tourmente politicienne, il a toutefois perdu de sa mystique.