Les Algériens qui accentuent les manifestations pour faire barrage au scrutin présidentiel d’aujourd’hui, 12 décembre, se montrent déterminés à poursuivre cette révolution pacifique jusqu’à la réalisation de l’idéal rêvé : l’instauration d’une nouvelle Algérie démocratique. Une aspiration qui ne se réalisera pas, selon eux, avec une « mascarade électorale » imposée pour reconstituer un système en faillite qui risque d’entraîner dans son sillage l’Etat et le pays. Dans l’esprit du hirak qui se poursuit malgré la répression, la désinformation et la propagande, le nouveau cap est déjà fixé. C’est le vendredi 13. Ou peut-être le jour même de l’élection.
Les manifestations organisées hier à Alger et dans de nombreuses villes du pays sont déjà un prélude d’un nouveau départ pour cette révolution pacifique. Les milliers de partisans du mouvement populaire veulent déjà faire du jour de l’annonce des résultats de cette joute électorale qui se déroulera à huis clos le début de la disqualification de ce processus imposé contre la volonté populaire. Ils veulent aussi annoncer leur rejet de celui qui sortira des urnes de l’illégitimité. De nombreux appels à poursuivre la lutte sont déjà lancés.
A commencer par le groupe des 19 personnalités et intellectuels qui ont rendu publique, avant-hier, une déclaration adressée aux Algériens. En effet, les signataires, dont Ali Yahia Abdennour, Taleb Ibrahimi, Ali Benmohamed, Abdelaziz Rahabi, Mustapha Bouchachi, Noureddine Benissad, Arezki Ferrad, Hadi Hassani, Nacer Djabi et Abdelghani Badi, invitent « les partisans du hirak à considérer le rendez-vous du 12 décembre comme une étape parmi d’autres qu’il faut traverser avec succès pour préserver leurs pacifisme après cette date ».
D’autres appels invitent également les Algériens à sortir massivement ce vendredi pour exprimer le refus de l’élection et de ses résultats. C’est le cas du Pacte de l’alternative démocratique (PAD) qui, tout en appelant au rejet du scrutin d’aujourd’hui, exhorte aussi le mouvement populaire à rester mobilisé pour déjouer tous les plans du régime en place.
Les Algériens, prédit pour sa part le président du RCD, Mohcine Belabbas, lors de son passage, mardi soir, sur le plateau de Berbère TV, « ne vont pas rentrer chez eux après le 12 décembre ». « Les Algériens ont compris que plus on avance dans le temps, plus il faut aller vers d’autres actions de pression sur le pouvoir en place (…) Ils sont en train de dire au pouvoir en place qu’ils ne s’arrêteront pas après ce scrutin. Le peuple algérien est conscient qu’il est nécessaire de tout reconstruire, car on a eu un faux départ dès 1962 », souligne-t-il.
En tout cas, la résistance du mouvement citoyen à tous les coups de boutoir du régime, durant 10 mois, confirme qu’il s’inscrit dans la durée. La crise politique ne se règle pas avec un coup de force contre la volonté populaire.
Madjid Makedhi
EL WATAN 12 décembre 2019 à 10 h 20 min :
https://www.elwatan.com/edition/actualite/le-mouvement-populaire-sinscrit-deja-dans-lapres-12-decembre-le-hirak-determine-a-maintenir-la-mobilisation-12-12-2019
Un 11 décembre mouvementé à Alger : « Nous sommes là, nous existons, nous sommes le peuple ! »
Alger, 11 décembre 2019. 10h15. Belcourt. La marche prévue au départ de la place du 11 Décembre, en contrebas du marché de Laâqiba, s’est ébranlée depuis un petit moment, drainant des milliers de citoyens de toute condition. Les manifestants foncent en direction du Champ de Manœuvres en répétant en boucle un chant qui a très vite pris : « Oh ya îssaba, djabouna 5 diyaba, qolna makache el vote, aliha nehya we n’mout ! » (Oh îssaba, on nous a ramené 5 loups, on a dit pas de vote, pour notre cause nous vivrons et nous sommes prêts à mourir).
La foule entonne également : « Echaâb yourid el istiqlal ! » (Le peuple veut l’indépendance), « Makache intikhabate maâ el îssabate ! » (Pas de vote avec les gangs). A un moment rugit ce cri en écho aux dizaines de chouhada tombés le 11 décembre 1960 sous les feux de la répression coloniale : « Belouizdad echouhada ! »
Le cortège traverse le grand boulevard sans heurt. Tout paraît normal. En s’approchant de la place du 1er Mai, un imposant dispositif de police est déployé peu avant le ministère de la Jeunesse et des Sports. Des camions bleus sont alignés sur la chaussée pour bloquer l’accès aux manifestants. Une haie de policiers antiémeute, en casque bleu et matraque, fond sur les marcheurs pour les empêcher de gagner la rue Hassiba Ben Bouali.
Une partie d’entre eux réussit à franchir habilement la première barrière de police. Des cris fusent : « Silmiya, silmiya ! » (Pacifique). Une autre haie d’hommes en bleu se forme à hauteur du MJS. Le cortège récupère néanmoins une bonne partie de ses troupes sur la place du 1er Mai. Un autre dispositif hermétique se redéploie et des engins de la police barrent le haut de la rue Hassiba Ben Bouali. Pour contourner le check-point, les protestataires s’engouffrent dans la ruelle située juste derrière le commissariat en hurlant : « Dirouna les menottes, makache el vote ! » (Mettez-nous les menottes pas de vote). Des jeunes hurlent : « Houriya ! » (Liberté).
Les manifestants rejoignent Hassiba via une autre ruelle. D’autres engins de la police s’empressent de quadriller la grand-rue. Le cortège se reforme et avance de quelques dizaines de mètres avant d’être stoppé net par un nouveau cordon de casques bleus. La foule reste immobilisée un petit moment. Certains manifestants empruntent les escaliers qui débouchent sur la place Hoche, mais le gros des marcheurs reste sur la rue Hassiba. Les frondeurs martèlent : « L’istiqlal, l’istiqlal ! » (L’indépendance).
« 11 décembre 2019 : indépendance des Algériens »
La marée humaine réussit à forcer le barrage de police et poursuit son avancée, mais guère pour longtemps. Car voilà une autre digue d’hommes en uniforme, encore plus imposante, dressée à hauteur de la place de la Liberté de la presse. La foule se masse à l’intersection Hassiba-Victor Hugo et reste bloquée là. Impossible d’avancer. « Echaâb yourid l’istiqlal ! », « Makache intikhabate maâ el issabate ! » (Pas de vote avec les gangs), crie-t-on à tue-tête…
Les références au 11 Décembre sont nombreuses sur les pancartes : « Indépendance : le 11 Décembre 1960 de l’Algérie ; le 11 décembre 2019 des Algériens », « Le 11 décembre 2019, continuité du 11 Décembre 1960 », « 11 Décembre 1960- 11 décembre 2019 : même combat d’un peuple uni et fier de sa révolution pacifique, déterminé à aller jusqu’au bout pour arracher son indépendance. Gloire à nos chers martyrs ! »
Un citoyen s’insurge : « 57 ans d’injustice, barakat ! » Un autre a une pensée émue pour les prisonniers du hirak : « Les détenus d’opinion sont en grève de la faim ». Un petit garçon a lui aussi son bout de carton avec ce message touchant : « Ne me laissez pas grandir avec les gangs ». Le rejet de l’élection est une fois de plus clairement exprimé : « Le peuple libre veut arrêter cette mascarade et reporter les élections », proclame un boycotteur actif.
Un autre opposant à la présidentielle écrit pour sa part : « Les élections du 12/12, c’est de la corruption politique ». Une femme s’est fendue de son côté de ce tendre cri du cœur : « Nous sommes là, nous existons, nous sommes le peuple ! »
Quand la police s’amuse à saucissonner les cortèges
Le statu quo dure environ une demi-heure avant que les manifestants se résolvent à emprunter le pentu boulevard Victor Hugo qui offrait l’avantage de ne pas être quadrillé par la police. Et voici la déferlante humaine qui déboule sur la rue Didouche comme les vendredis du hirak. La plupart des magasins ont baissé rideau par précaution.
La foule s’étale sur la chaussée aux cris de « Makache intikhabate maâ el îssabate ! », « Oh ya îssaba, djabouna 5 diyaba, qolna makache el vote, aliha nehya we n’mout ! » La procession passe par la place Audin occupée par la police avant de déboucher à la Fac centrale puis sur la rue Abdelkrim Khettabi, aux abords de la Grande-Poste. Une nouvelle fois, la police va s’amuser à saucissonner les cortèges. Des cordons se forment et se déforment à chaque fois pour empêcher les manifestants de se regrouper.
12h05. Les forces antiémeute s’emploient à repousser violemment la foule massée à l’orée de la rue Kettabi. Cris. Confusion. Bousculades. Bastonnades. Mustapha, étudiant en droit muni d’un appareil photo, est écœuré. « La police agit aveuglément, n’hésitant pas à violenter des vieilles, des femmes, des enfants… Je n’avais même plus le cœur à prendre des photos. J’étais dégoûté par tant de violence gratuite. J’ai même repris la cigarette », témoigne-t-il, scandalisé, en tirant sur sa clope avant de l’écraser.
Un peu plus tard, nous croisons un citoyen qui a été blessé justement lors de ces mêmes violences policières, la jambe droite langée par des bandages. Il marche difficilement, soutenu par des épaules amies.
Vote satirique dans un bidet de toilettes
12h25. Une colonne de policiers antiémeute lourdement harnachés fond sur la foule en provenance de la place Audin. Ils foncent dans le tas, décidés à disperser la manif à tout prix. Mais les marcheurs résistent. « Ma tekhaf’ch ! » (N’aie pas peur), lâche une femme. « Pouvoir assassin ! » crient les protestataires.
12h41. Min Djibalina retentit en chœur. Chair de poule. Un jeune lance : « Dirou wech edirou makache el vote ! » (Quoi que vous fassiez, il n’y aura pas de vote). Bientôt, la foule massée près de la Fac centrale est tenaillée par deux cordons de police de plus en plus rapprochés. Une autre escouade accourt par la rue du 19 Mai 1956, avant de former une haie hermétique à hauteur de l’entrée principale de la Fac centrale. Mais cela n’empêche pas les manifestants d’affluer de toutes parts. Ils continuent à lancer leurs clameurs irrévérencieuses dans une ambiance festive.
Rue Arezki Hamani (ex-Charras), un groupe de citoyens s’est même amusé à organiser une parodie d’élection devant une benne à ordures. Ils invitent des électeurs tout aussi loufoques à glisser leur bulletin dans un… bidet de toilettes sur lequel est marqué : « 12/12/2019 : on vote ici ».
Les passants se prêtent volontiers au jeu. L’un des préposés à ce vote satirique prend la presse à témoin : « Hé, les journalistes, notre élection est transparente n’est-ce pas ? » s’esclaffe-t-il. « C’est tout ce qu’ils méritent », assène un vieux monsieur avant de jeter son bulletin dans les toilettes sous les hourras du public. L’un des animateurs de cette opération cocasse, digne d’une performance artistique, appelle les « votants » à accélérer la cadence : « On a un dépouillement à faire, grouillez-vous ! » A la fin de l’opération, le numéro se conclut par un autodafé des bulletins, qui sont brûlés dans le bidet. Un nuage de fumée monte comme pour singer l’écran de fumée du 12/12…
Mustapha Benfodil
El Watan, 12 décembre 2019 à 10 h 18 min :
https://www.elwatan.com/edition/actualite/624376-12-12-2019
En Algérie, abstention record à l’élection présidentielle contestée
Des milliers de personnes sont descendues jeudi dans les rues d’Alger et d’autres villes du pays aux cris de « Pas de vote ! Nous voulons la liberté ! » pour dénoncer la tenue de l’élection.
Plus de six Algériens sur dix ont boudé les urnes jeudi 12 décembre, une abstention record, lors de la présidentielle fermement rejetée par le mouvement populaire de contestation ayant emporté en avril le président Abdelaziz Bouteflika, dont ils étaient appelés à élire le successeur.
Seuls 39,93 % des inscrits ont voté jeudi, selon les chiffres annoncés en fin de soirée à la télévision nationale par Mohamed Charfi, président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). Selon M. Charfi, le taux de participation au niveau national s’établit à 41,41 % et celui des Algériens de l’étranger à 8,69 %, a-t-il ensuite expliqué.
Ce taux est le plus faible de toutes les présidentielles pluralistes de l’histoire de l’Algérie. Il est inférieur de plus de 10 points à celui du précédent scrutin – le plus faible jusqu’ici –, qui en 2014 avait vu la 4e victoire de M. Bouteflika.
Election rejetée par le Hirak
Le Hirak, le « mouvement » de contestation populaire massif et inédit du régime qui a contraint M. Bouteflika à la démission, rejetait catégoriquement la tenue de cette élection, vue comme un moyen de se régénérer pour le « système » au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1962. Ce mouvement exige la fin de ce « système » et le départ de tous les anciens soutiens ou collaborateurs des vingt ans de présidence Bouteflika. Ce que sont les cinq candidats : Abdelaziz Belaïd, Ali Benflis, Abdelkader Bengrina, Azzedine Mihoubi et Abdelmajid Tebboune.
Après une première tentative d’élection avortée en juillet, le haut commandement de l’armée, pilier du régime, ouvertement aux commandes depuis le départ de M. Bouteflika, a tenu coûte que coûte à organiser ce scrutin pour sortir rapidement de l’actuelle crise politico-institutionnelle, qui a aggravé la situation économique. Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, assurait depuis des semaines que la participation serait « massive ».
« Pas de vote ! »
Aucune projection de résultat n’a été publiée, mais le camp d’Abdelmadjid Tebboune, ancien bref premier ministre de M. Bouteflika en 2017, a revendiqué dans la soirée la victoire au 1er tour. « Selon les premiers éléments en notre possession (…), Abdelmadjid Tebboune a remporté la présidentielle avec un score de 64 % » des votants, a déclaré Abdelatif Belkaim, directeur adjoint de la communication du candidat. L’ANIE annoncera les résultats du 1er tour vendredi à 15 heures, a indiqué son président. Un éventuel second tour se déroulera entre le 31 décembre et le 9 janvier, selon l’ANIE.
Morne dans de nombreux bureaux de vote, la journée a été marquée à Alger par une démonstration de force du Hirak qui a bravé un très fort déploiement policier pour défiler en masse. Une foule estimée à plusieurs dizaines de milliers de personnes est parvenue à envahir les rues du centre de la capitale, malgré les interventions systématiques et souvent brutales de la police à chaque tentative de rassemblement. « Makache l’vote » (pas de vote !), a scandé la foule qui s’est séparée en fin d’après-midi, avant que la police ne disperse à coups de matraque la centaine de protestataires restants, selon une journaliste de l’AFP. Dans la journée, un petit groupe de manifestants est parvenu à s’introduire dans un centre électoral du centre-ville, entraînant une brève suspension du vote pour les évacuer.
Affrontements
Mercredi, des personnalités proches du « Hirak » avaient mis en garde sur le contexte de « vives tensions » et rendu le pouvoir « responsable de tout dérapage éventuel ». Elles avaient exhorté les contestataires à « demeurer pacifiques » en refusant de « répondre aux provocations » et en veillant à « ne pas empêcher l’exercice par d’autres citoyens de leur droit à s’exprimer librement » – un mot d’ordre respecté à Alger.
Globalement, le vote s’est également déroulé normalement à travers le pays sauf dans la région traditionnellement frondeuse et majoritairement berbérophone de Kabylie, théâtre de graves incidents.
Le scrutin a été interrompu, parfois à peine ouvert, dans les trois principales localités de la région : un centre de vote a été saccagé, une antenne de l’ANIE a été incendiée et les forces de l’ordre ont dû repousser à coup de grenades lacrymogènes des manifestants tentant de pénétrer au siège de la wilaya (la préfecture) de Tizi-Ouzou (90 km à l’est d’Alger). Des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants, qui ont fait plusieurs blessés dans les deux rangs, s’y sont poursuivis dans la soirée, a indiqué à l’AFP un élu local.
A Tichy, près de Béjaïa (180 km à l’est de la capitale), des affrontements ont opposé dans la soirée des manifestants à des gendarmes, a indiqué à l’AFP Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme.
Selon une source sécuritaire, ayant requis l’anonymat, les gendarmes ont dû employer la force pour repousser des manifestants ayant pénétré dans la gendarmerie et ces heurts ont fait six blessés dans les rangs des forces de l’ordre.
AFP
Cinq candidats briguent le siège de la présidence : Une élection sous tension
L’élection présidentielle prévue aujourd’hui se déroulera dans un contexte très particulier puisque l’échéance est rejetée par beaucoup d’Algériens depuis plusieurs semaines déjà.
Et la contestation s’est accentuée ces derniers jours avec l’approche de l’échéance. Hier encore, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, dont la capitale. Dans l’immigration, des rassemblements sont organisés au niveau des consulats depuis l’entame, samedi dernier, de l’opération de vote de la communauté algérienne à l’étranger.
Une situation plutôt tendue qui fait naître des craintes chez beaucoup d’Algériens par rapport à la journée d’aujourd’hui. D’où tous les appels au calme et au maintien du caractère pacifique des manifestations, lancés par nombre de personnalités et de partis politiques.
Le sentiment de défiance de beaucoup d’Algériens et de la totalité des partis politiques de l’opposition vient du fait que le pouvoir en place a refusé, dès le départ, de faire des concessions par rapport à nombre de revendications, comme pour ce qui est du départ du chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, et de son Premier ministre, Nourredine Bedoui – ce dernier nommé d’ailleurs par Abdelaziz Bouteflika juste avant sa démission.
Ceci, alors que certaines formations politiques – celles regroupés principalement au sein du Pacte de l’alternative démocratique (PAD) – plaident carrément pour un processus constituant. Ainsi, en plus du maintien de ces deux « symboles » de l’ancien système, la manière avec laquelle a été constitué le panel du dialogue, présidé par Karim Younès, et par la suite l’Autorité nationale indépendantes des élections (ANIE), confiée à l’ancien ministre de la Justice Mohamed Chorfi, ainsi que leurs composantes, ont creusé davantage le fossé.
Deux présidentielles déjà annulées
Il est sans rappeler qu’après l’annulation de la présidentielle du 18 avril, qui allait, si ce n’était la mobilisation citoyenne, consacrer le 5e mandat de Bouteflika – ce dernier ayant démissionné le 2 avril après six semaines de manifestations – le pouvoir en place avait tenté d’organiser une première fois une présidentielle dont la date avait été fixé au 4 juillet. Mais cette dernière a été annulée faute de candidat, le Conseil constitutionnel ayant invalidé les dossiers de deux inconnus. Un processus voué à l’échec dès son lancement puisque la « conférence nationale » qu’avait tenté d’organiser Bensalah a été un échec.
Devant mettre en place l’instance des élections, la rencontre, programmée le 22 avril, avait été boudée par la quasi-totalité des partis politiques, y compris ceux de l’ex-alliance présidentielle. Même le chef de l’Etat par intérim avait fait finalement l’impasse. C’est ce qui a fait que le rendez-vous a été tout simplement annulé.
Mais alors que les uns et les autres s’attendaient à la mise en place d’une transition ou d’un processus constituant, chacun selon ses objectifs, d’autant plus que l’intérim de Bensalah devait prendre fin le 9 juillet, le Conseil constitutionnel décidait de proroger son mandat « jusqu’à l’élection d’un président de la République ». Finalement, le pouvoir en place n’entend pas faire la moindre concession par rapport aux revendications populaires.
Installation du Panel de Younès et de l’ANIE de Chorfi
Durant le mois d’août, le panel de dialogue et de médiation, dont le coordinateur est Karim Younes, est installé. Les partis de l’opposition refusent de recevoir ses membres. Mais cela ne l’empêche en rien d’établir un rapport dans lequel il adopte la feuille de route du pouvoir en place, mais aussi son calendrier. La remise du rapport s’est faite le 8 septembre, cinq jours après que le chef de l’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd Salah, ait « suggéré » la convocation du corps électoral pour le 15 septembre.
C’est ce qui s’est fait. D’où cette date du 12 décembre pour la tenue de la présidentielle. Et c’est ce même jour (15 septembre) que Mohamed Charfi a été « élu » président de l’Autorité nationale indépendante des élections.
Entre-temps, la contestation se poursuit et la mobilisation devient même de plus en plus importante, après la baisse constatée durant l’été. Mais le processus poursuit son court.
Début novembre, l’ANIE valide cinq dossiers de candidature sur 23 déposés. Il s’agit du président du front El Moustakbel, Abdelaziz Belaïd, du président de Talaie El Hourriyet, Ali Benflis, du président du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina, de l’ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et du secrétaire général par intérim du Rassemblement national démocratique (RND), Azzedine Mihoubi.
Et au fur et à mesure que l’élection approche, les rassemblements de rejets de l’élection se font de plus en plus nombreux, notamment en marge des meetings organisés par les candidats. En face, les organisations inféodées au pouvoir en place tentent d’organiser des marches « pro-élection » au niveau de certaines villes du pays.
Le 30 novembre dernier, l’UGTA a organisé une manifestation à Alger pour dénoncer la résolution sur l’Algérie adoptée par le Parlement européen, mais aussi soutenir le processus électoral. La marche ne draine pas les grandes foules, comparativement avec celles des mardis et des vendredis, mais elle est largement médiatisée, tout comme bien évidemment les autres rassemblements de soutien à la présidentielle. Ce qui n’empêchera pas le président de l’ANIE, Mohamed Charfi, d’affirmer, le 6 décembre dernier, que « les manifestants pro-élection sont plus nombreux que ceux qui s’y opposent ».
C’est dans ce tumulte politique que se tiendra, aujourd’hui, l’élection présidentielle. Qu’en sera-t-il, alors que beaucoup d’Algériens promettent de sortir manifester en ce jour ? Il est clair que cette présidentielle ne se déroulera pas dans un contexte normal, même si différents officiels affirment le contraire. D’où la multiplication des appels de personnalités et de partis politiques pour le maintien du caractère pacifique du hirak.
La journée d’aujourd’hui sera certainement longue et tendue…
ABDELGHANI AICHOUN
EL WATAN. 12 DÉCEMBRE 2019 À 10 H 30 MIN :
https://www.elwatan.com/a-la-une/cinq-candidats-briguent-le-siege-de-la-presidence-une-election-sous-tension-12-12-2019