Peux-tu expliquer d’où vient votre syndicat ?
Boguslaw Zietek - Sierpien 80 (« Août 80 » ) est issu de la tradition des grèves de 1980, qui ont permis de construire Solidarnosc (« Solidarité »). Il a été créé au début des années 1990, car nous refusions le soutien de Solidarité aux « réformes » menées par les gouvernements qu’il a contribué à former, qui conduisaient au chômage, aux privatisations des entreprises et à leur liquidation. Nous considérons que le rôle du syndicat n’est pas de servir d’intermédiaire entre le pouvoir et les travailleurs, mais de défendre les intérêts des salariés.
Quels sont les rapports qu’entretient Août 80 avec les autres centrales syndicales ? B. Zietek - Il y a, en réalité, trois centrales syndicales qui représentent quelque chose en Pologne aujourd’hui : Solidarité, l’OPZZ et Août 80. Notre syndicat a la plus forte dynamique de développement et de mobilisation sociale. De temps en temps, nous parvenons à collaborer avec les autres centrales syndicales, mais il faut avouer que c’est rare, car Solidarité soutient l’actuel gouvernement du Parti loi et justice (PIS), alors que l’OPZZ est assez passif et ne semble pas capable de mobiliser ses membres.
Au début de l’année, Août 80 avait participé à la fondation du Comité de défense et de soutien des travailleurs réprimés (KPiorp). Quelle est sa fonction ?
B. Zietek - Ce comité rassemble des syndicalistes de diverses centrales au niveau local, mais aussi des militants de gauche de divers milieux. La création du Kpiorp se veut une réponse à la passivité des centrales syndicales, au fait qu’elles soient très bureaucratisées et qu’elles dépérissent. Le comité s’adresse aussi à ceux qui ne sont pas syndiqués. Il se donne pour but de défendre et d’aider tous les salariés victimes de la répression ou de la discrimination. Il ne s’agit pas seulement d’organiser des actions de protestation et des manifestations. Nous avons aussi mis en place une vingtaine de bureaux dans tout le pays, où les militants du comité reçoivent ceux qui ont besoin d’aide et voient, avec eux, la forme qu’elle doit prendre - aide juridique, aide matérielle, organisation des protestations locales... Août 80 considère que le mouvement syndical polonais a besoin d’une profonde transformation. L’activité syndicale ne doit pas être limitée à l’entreprise, il faut rompre avec la bureaucratie syndicale autocentrée et cherchant à ne pas être dérangée par les problèmes que les salariés lui soumettent. Le mouvement syndical doit s’engager dans tous les problèmes sociaux. Les syndicalistes doivent sortir des murs de l’entreprise et s’occuper des questions locales et nationales, telles que le chômage, l’exclusion, la discrimination - pas seulement celle que subissent les salariés, mais toutes les formes de discrimination.
Dans ce cadre, Août 80 a pris part aux manifestations pour la légalisation de l’avortement...
B. Zietek - Oui. Grâce à cette orientation, nous avons pu organiser la première manifestation importante contre la propagande xénophobe et réactionnaire du ministre de l’Éducation Giertych. Aux côtés des ouvriers, il y avait des lycéens et des étudiants protestant contre l’endoctrinement dans les écoles. Ce fut la première fois que les deux mouvements de protestation - celui des salariés et celui de la jeunesse - se rencontraient. Nous soutenons aussi les manifestations des féministes polonaises contre l’aggravation de la loi limitant l’accès à l’avortement. Notre conviction est que le mouvement syndical en Pologne - et pas seulement en Pologne - doit s’opposer à toute discrimination, à toute exclusion, à toutes les limitations des droits humains.
Ton syndicat a pris l’initiative de fonder le Parti polonais du travail (PPP). Pourquoi ?
B. Zietek - Août 80 a pris conscience qu’il n’était pas possible de régler l’ensemble des problèmes importants pour le monde du travail avec les seuls outils syndicaux, qu’une représentation politique des salariés était nécessaire. Jusque-là, les syndicats avaient des rapports clientélistes avec les partis, et ils étaient utilisés par eux pour soutenir les réformes libérales. Nous pensons que c’est aux travailleurs de se doter de leur propre représentation politique, et que c’est au mouvement syndical de la créer. C’est pour cela que le PPP a été fondé. Ce parti, fortement enraciné dans le mouvement syndical et dans Août 80, commence à regrouper aussi des jeunes qui n’ont pas de travail, des chômeurs, des exclus... Actuellement, en Pologne, entre deux et cinq millions de personnes travaillent sans être protégées par le code du travail.
Comment envisages-tu la collaboration entre Août 80 et les syndicats des autres pays ?
B. Zietek - C’est indispensable. Nous arrivons déjà à établir des contacts lors des conflits sociaux, comme lorsque SUD-PTT, en France, a récemment soutenu la grève des postiers polonais. Mais il y a plus : l’émigration massive des Polonais vers l’Europe occidentale pèse sur les salariés de ces pays-là. En Pologne, le salaire minimal est cinq à six fois inférieur à celui des autres pays de l’Union européenne. Nous craignons que cela ne conduise à abaisser le niveau des salaires ailleurs, au nom d’une « solidarité » mal comprise, car les employeurs tentent d’en tirer profit pour abaisser aussi les conditions du travail. Nous avons commencé à informer ceux qui partent travailler en Occident des droits qu’ils ont en tant que salariés, en les orientant vers les syndicats de ces pays. Cela devrait être renforcé par la coopération avec les syndicats occidentaux. Et, de même que les Polonais émigrent vers l’Ouest, en Pologne, nous allons voir l’immigration massive de l’Est. Nous avons donc besoin de coopérer avec les syndicats qui naissent dans ces pays - en Biélorussie, Ukraine, Russie - pour pouvoir défendre ensemble les intérêts des travailleurs par-delà les frontières.