Le personnel médical de l’hôpital d’Arqeirbat, désespéré, s’adresse à Antonio Guterres de l’ONU
Le personnel médical de l’hôpital d’Aqeirbat, dans la campagne près d’Idlib en Syrie, a organisé le 6 février une manifestation-témoignage désespérée afin d’attirer l’attention sur la destruction d’unités de soins et d’hôpitaux [1]. Le personnel portait des banderoles [voir photo ci-contre] invitant António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, à se rendre à Idlib et à « voir par lui-même » la liste de plus en plus longue d’installations médicales détruites ou gravement endommagées par le régime d’Assad et ses alliés. Quelques heures auparavant, l’Association des médecins indépendants, une ONG médicale qui fournit des services de santé à des centaines de milliers de personnes dans les régions d’Idlib et d’Alep, a signalé que des tirs d’artillerie avaient visé son centre de soins de santé primaires à Anadan [petite ville à 12 km au nord d’Alep].
La destruction systématique du système de santé à Idlib fait partie d’une offensive plus large du régime Assad et de ses alliés, la Russie et l’Iran, pour reprendre le contrôle militaire de la zone autour d’Idlib, la dernière poche de territoire détenue par l’opposition. Plus d’un demi-million de personnes ont fui la région au cours des deux derniers mois.
Motaz, un ancien responsable de programme d’une ONG médicale syrienne, a déclaré à Middle East Solidarity que les agences des Nations unies, dont le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), sont devenues « des partenaires d’Assad et de la machine à tuer russe en Syrie », en fournissant des informations sur la localisation des installations médicales directement aux forces russes dans le cadre d’un prétendu « mécanisme de désescalade ».
Ce mécanisme a poussé les ONG syriennes du secteur de la santé à partager les coordonnées des installations médicales avec les « Forces de la coalition, le gouvernement de la Turquie, la Fédération de Russie, ainsi que les présidents du Groupe international de soutien [2] en Syrie (acronyme anglais ISSG, dont la coprésidence assumée par le gouvernement des Etats-Unis et la Fédération de Russie) ». Il a été demandé aux ONG humanitaires de confirmer des informations détaillées sur les missions humanitaires mobiles et fixes telles que « la localisation, les coordonnées (Système de positionnement global-GPS), la latitude (longitude en degrés), la fonction du bâtiment (bureau, logement, école, entrepôt, hôpital… etc., l’adresse exacte du bâtiment et son emplacement ».
Bien que l’objectif de ce programme soit apparemment d’aider les combattants à éviter d’attaquer les hôpitaux, M. Motaz nous a dit que l’exercice de partage d’informations a en fait augmenté la menace pour les établissements sanitaires.
« Les ONG syriennes travaillant depuis la ville de Gaziantep en Turquie et participant aux différentes réunions des structures humanitaires ont cru aux affirmations d’OCHA concernant la “protection” des humanitaires et de leurs installations. Les ONG médicales, par exemple, ont partagé non seulement les coordonnées géographiques de leurs activités mais aussi les “emplacements” de leurs installations médicales », a-t-il expliqué.
« Bien que le partage des coordonnées avec l’OCHA soit “volontaire”, les ONG se sont senties poussées à les partager avec l’OCHA. » Certains craignaient que le fait de ne pas le faire n’entraîne des réductions de financement, tandis que d’autres pensaient que le fait de fournir ces informations permettrait de protéger leur personnel, leurs patients et leurs installations. »
Pourtant, le « mécanisme de désescalade » n’a pas fonctionné. Le New York Times (29 et 31 décembre 2019) a repéré des dizaines d’exemples d’hôpitaux et de cliniques figurant sur la liste de l’ONU des lieux ne devant pas être frappés, qui sont pourtant endommagés ou détruits par des attaques russes ou syriennes, depuis avril 2019 [3].
Pour Motaz, l’ONU doit assumer la responsabilité d’avoir fourni ces informations aux alliés d’un régime déterminé [celui de Bachar el-Assad] à anéantir toute opposition, y compris les services de santé qui ne sont pas sous son propre contrôle. « Avec l’OCHA qui partage les coordonnées géographiques avec la Fédération de Russie, la mission de neutralisation de ces installations en fonction devient plus facile, moins longue et moins coûteuse. En effet, le ciblage de ces installations revient en fait à cocher des cases plutôt que de dépenser du temps pour identifier l’emplacement de ces installations. Les agences de l’ONU, que ce soit directement ou indirectement, sont dès lors devenues un partenaire du régime Assad et de la Russie pour accroître les souffrances du peuple syrien. »
Depuis plusieurs années, des millions de personnes vivant dans les régions de Syrie tenues par l’opposition dépendent de l’aide qui arrive par les frontières avec la Turquie et l’Irak. Ces opérations « transfrontalières » ont été rendues possibles par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies [résolution présentée en décembre 2019 par l’Allemagne, la Belgique et le Koweït]. Aujourd’hui, la Russie et la Chine font pression pour fermer cette filière vitale en refusant de prolonger la résolution au-delà de juin 2020 [4]. Les agences de l’ONU et les autres donateurs d’aide seront alors contraints de faire transiter les fonds de secours par Damas, en travaillant ainsi avec des organisations étroitement liées au régime, comme le Croissant-Rouge arabe syrien.
« La destruction des installations médicales dans les zones d’opposition a des dimensions à la fois politiques et militaires », a expliqué M. Motaz. « D’une part, le régime Assad veut reprendre le contrôle total du territoire syrien. D’autre part, le régime cherche à devenir le seul fournisseur de services en Syrie et à éliminer toute institution établie par l’opposition. »
Après Idlib, la prochaine étape de la campagne brutale du régime Assad devrait viser les campagnes d’Alep. Les installations médicales y sont désormais très vulnérables, selon M. Motaz. « Elles ont été alignées comme des cibles faciles pour les bombardements syriens et russes car l’OCHA a déjà partagé leurs coordonnées géographiques avec la Fédération de Russie. »
MENA Solidarity Network