S’il y avait encore un doute, une semaine après le déshonneur des César, les manifestantes de ce 8 mars l’ont dissipé. La tribune de Virginie Despentes est devenue slogan, Adèle Haenel icône, les César symboles du vieux monde patriarcal à abattre. « Fortes, fières, féministes, radicales et en colère », elles ont bravé la pluie pour défiler ce dimanche 8 mars dans les rues de Paris, dans une manifestation qui a, selon les organisatrices, rassemblé 60 000 personnes.
Juste avant que le cortège ne se lance, place d’Italie, Roxanne et Léa 15 ans, accompagnées d’Aïman, 17 ans et Yohann, 16 ans, brandissent fièrement leur pancarte, réalisée au lycée : « Moi aussi, j’accuse ! #Césardelahonte ». « Tout le monde connaît une femme violée, mais personne ne connaît de violeur, c’est bizarre non ? », ironise Roxanne. « On demande toujours à une victime quelle tenue elle portait, comme si on cherchait à la mettre en cause, alors que le seul coupable, c’est son violeur ! », renchérit Aïman. Tous les quatre arborent également un foulard violet, la couleur du dress code de la journée.
Un peu plus loin, Kim et Clémentine, 20 ans, défilent elles aussi avec une pancarte rédigée comme un clin d’œil au monde du cinéma, puisqu’elles se proclament « jeunes filles en feu, fières et en colère », en référence au film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu – dans lequel Adèle Haenel tient le rôle principal, en compagnie de Noémie Merlant. « On manifeste parce que l’égalité n’est pas encore complète aujourd’hui. Et surtout, parce qu’on est révoltées contre ce qu’il s’est passé aux César ! Ça raconte tellement du monde dans lequel on vit », s’indignent-elles.
Dans le flot de manifestantes qui passent, trois affiches représentant le départ tonitruant d’Adèle Haenel de la cérémonie des César, surplombées d’un « La honte ! » et d’un « Merci » fendent la foule. En dessous, Virginie et Kelly. Pourquoi sont-elles là aujourd’hui, avec ces messages en particulier ? « Ça me semble de plus en plus important de rendre visible notre mécontentement et de demander à être considérées », répond la première. « Il faut vraiment se battre pour notre visibilité, surtout quand on est une femme noire, insiste Kelly. Le contexte est compliqué pour nous, discriminant, ça ne date pas d’hier... »
On évoque alors avec elle le discours d’Aïssa Maïga, lors de cette même cérémonie des César. « Elle était fantastique ! Son texte venait du cœur ! Mais alors, le “backlash” de fou après… Elle est face à 1 500 personnes, elle compte qu’ils sont douze Noirs, elle a le courage de dire ce qu’elle dit et après soit elle est invisibilisée, soit on parle d’elle pour la critiquer. C’est pour ça que c’est si fort ce qu’elle a fait. »
Tout autour, les tenues et le maquillage violets sont légion. Des colleuses étalent des messages féministes sur les murs – « La honte doit changer de camp », « On te croit » – quand les rythmes de la batucada le disputent à ceux de la chanteuse belge Angèle, « Balance ton quoi ». On distingue la bande des Rosie la riveteuse, emblème féministe repris pour cette marche des « grandes gagnantes ».
C’est en effet ainsi qu’a été baptisée la marche de cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, en réaction aux promesses du gouvernement qui annonçait que les femmes seraient « les grandes gagnantes » de la réforme des retraites. La foule applaudit d’ailleurs les salariés de l’Opéra en lutte, sur la place de la Bastille. Et met la main au porte-monnaie, quelques mètres plus loin, pour soutenir les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles, en grève depuis sept mois.
« On se lève et on se barre », chantent les manifestantes alors qu’une grand-mère déchiffre les pancartes dénonçant les inégalités salariales pour sa petite-fille. À l’image finalement de cette manifestation où l’on croise beaucoup de jeunes, mais aussi des familles et des enfants en poussette. Si les parapluies sont de sortie, l’ambiance reste vraiment bon enfant.
Contrairement à la marche nocturne parisienne de la veille, lors de laquelle le cortège a été violemment attaqué par les forces de l’ordre. Hélène, qui s’y trouvait, garde en mémoire cette remarque goguenarde d’un policier : « Et alors, la rue, elle est à qui ? » Réponse glaçante au slogan des manifestantes de samedi soir : « Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous ! »
Ce dimanche, les participantes auront fait mentir l’arrogance de ce policier. Car elles sont bien là, et nombreuses, à l’instar de Soraya, présente également la veille. « On manifeste aujourd’hui parce qu’on n’a pas le choix. Il faut prendre la rue. Hier, c’était très galvanisant, on sent bien qu’on est à l’aube d’un énorme changement. On sent qu’on fait peur », affirme la comédienne. D’autant que le mouvement n’est pas que français. Dans la foule, on rencontre, par exemple, Claudia, Jimena et Sissi, des étudiantes d’Amérique latine qui défilent « pour soutenir les protestations de plus en plus fortes dans nos pays contre les féminicides », mais aussi « pour obtenir du respect, en tant que femmes migrantes ».
Après avoir longuement résisté aux averses, le cortège finit clairsemé, place de la République. Des militantes d’extrême droite tentent de déployer une banderole raciste, mais les antifascistes leur fondent dessus, tandis que la foule s’écrie : « Solidarité avec les femmes du monde entier ! » Un peu plus en amont, les forces de l’ordre laissent déjà passer les voitures au beau milieu des manifestantes. « Tant pis pour la pluie, moi ça m’a redonné de l’énergie de voir tant de monde ! », s’exclame Maryse, avant de s’engouffrer dans le métro. Sans heurts cette fois.
Cécile Andrzejewski