Un évènement « naturel » et « imprévisible », nous disent-ils
Évidemment, nous sommes tous saisis par la pandémie. On s’entend dire par les gouvernements qu’il faut se solidariser, se laver les mains et rester à la maison, ce qui est sans doute vrai, mais, petit problème, sans jamais dire un mot sur les causes. Alors là, il faut aborder ce sujet. Écartons d’emblée les « théories conspirationnistes » : le coronavirus n’a pas été concocté dans un laboratoire secret en Chine ou à Washington ! Il y a bien là un phénomène médical qui nous échappe. Est-ce à dire qu’on peut parler d’un drame « naturel » ? Dans le passé y compris le passé proche, toutes les grandes catastrophes ont conjugué des actions venant des forces de la nature avec des interventions humaines. Le tsunami au Japon qui a conduit au terrible accident nucléaire que l’on connaît n’aurait pas détruit toute une région si les centrales nucléaires avaient été érigées d’une manière davantage sécuritaire. Un très grand nombre de personnes parmi les milliers qui sont mortes en Haïti à la suite du tremblement de terre de 2010 auraient été épargnées si Port-au-Prince n’était pas constitué d’une série de bidonvilles sans protection. Est-ce un hasard si l’ouragan Katrina à Nouvelle-Orléans a surtout détruit les quartiers populaires peuplés d’Africains-Américains, et où les infrastructures étaient totalement déficientes ?
Juste une mauvaise pandémie ?
En matière médicale, l’épidémie de SRAS il y a quelques années avait été reliée à la malgestion du commerce alimentaire en Chine, ce qui est en fait revenu par la bande avec le coronavirus. Des études commencent à sortir sur la « vraie » histoire qui inclut, entre autres, la destruction des habitats où étaient concentrés des animaux (les chauves-souris ou les civettes) qui ont par la suite fui vers les environnements urbains. On pourrait ajouter à cela le rôle indubitable des immenses flux de populations et de produits propulsés par le néolibéralisme globalisé, ce qui fait que les fraises que nous consommons et que l’ordinateur que nous utilisons ont été produits et transportés aux quatre coins du monde, sans réel souci de protéger la santé et la sécurité des gens.
Qui va payer ?
Au Québec et au Canada, on a quand même un système de santé publique qui tient, même s’il a été très affaibli ces dernières années par l’austéritarisme imposé par les longues années de pouvoir du PLQ et maintenant perpétuées sous diverses formes par la CAQ. Face à la pandémie, le gouvernement Legault a annoncé diverses mesures qui sont un peu rassurantes. En réalité, il y a plein d’inconnues, d’hésitations, de non-dits. Nos amis qui sont des professionnels de la santé nous disent qu’il y a une grande part d’improvisation derrière une apparence d’organisation. On a une idée très vague des conséquences économiques, des milliards de dollars que cela va coûter emportant en fumée des salaires et des revenus pour des millions de personnes. On s‘interroge aussi sur la situation économique des gens qui ne sont pas dans le secteur public ou protégés jusqu’à un certain point par des conventions collectives. Qu’est-ce qui va arriver aux précaires, aux travailleurs et travailleusues autonomes (les gens du taxi par exemple ? Qui va aider (et comment) les plus précaires, les sans-abri, les réfugiés, les communautés autochtones ? Les politiques néolibérales devront être mises de côté pour une longue période : peut-on penser que Legault ou Trudeau vont faire ce tournant, à moins que la pression populaire ne les oblige ?
Certes, c’est pire ailleurs. Selon Mike Davis, cela pourrait être très grave aux États-Unis, juste à côté de nous.
L’épidémie a mis en évidence le fossé entre les classes sociales dans le domaine des soins de santé : les personnes bénéficiant d’un bon plan de santé et pouvant également travailler ou enseigner à domicile sont confortablement isolées. Pendant ce temps, des millions de salarié·e·s des services à bas salaire, de travailleurs du secteur agricole, de travailleurs précaires, de chômeurs et de sans-abri seront jetés dans la gueule du loup. Les personnes non assurées devront toujours payer les médecins ou les hôpitaux pour subir un test. La facture médicale des familles va s’envoler en même temps que des millions de travailleurs vont perdre leur emploi et l’assurance maladie fournie par leur employeur. En réalité, la mondialisation capitaliste semble biologiquement non viable en l’absence d’une infrastructure de santé publique véritablement internationale. Mais une telle infrastructure n’existera jamais tant que les mouvements populaires ne briseront pas le pouvoir des Big Pharma et des soins de santé à but lucratif. (Mike Davis, « Le monstre est à la porte », publié sur le site de la Plateforme altermondialiste (alter.quebec).
Aussi, il faut savoir que situation dramatique que l’on connaît maintenant pourrait être 1000 fois pire si elle s’étend dans la « planète des bidonvilles » à Gaza, Mumbai, Rio de Janeiro, Kinshasa, Le Cap. Des centaines de millions de personnes sont entassées dans des habitats précaires, sans infrastructures, et où les services sociaux sont inaccessibles.
On entend déjà les médias et les intellectuels mercenaires au Québec dire qu’il faudra « se resserrer la ceinture », ce qui veut dire, en clair, que les profs et les 300 000 autres personnes du secteur public au Québec devront mettre de côté leurs justes revendications. Les gouvernements de la droite « non complexée » comme aux États-Unis et en Italie disent déjà qu’il faudra une « thérapie de choc » pour que les couches moyennes et populaires encaissent le coup. D’autres s’apprêtent à ériger des murs plus hauts, des barrières plus meurtrières pour « protéger » la forteresse Europe ou la forteresse Amérique du Nord.
Les causes systémiques qui résultent de la catastrophe actuelle ne sont même pas sur la table : l’évasion fiscale à une échelle qu’on ne parvient pas à soupçonner, les coupes sombres imposées au secteur public (en particulier dans la santé) depuis des décennies, la malgestion couplée à une corruption généralisée, etc. Aussi, on voit déjà des mouvements dire non à la nouvelle braderie qui s’en vient, notamment en Italie, où des grèves ont éclaté dans les usines où on renvoie les travailleurs et travailleuses à la maison sans compensation. À Manille (Philippines), les gens des bidonvilles disent non à leur enfermement qui pourrait vouloir dire leur mort. À Paris, des centaines de gilets jaunes ont bravé le gouvernement pourri qui est bien content de voir disparaître les manifestations.
OK ici, on s’est fait à l’idée qu’on va rester tranquilles pour deux semaines. Mais après ?
On le sait, il n’y aura pas de chemin facile pour se sortir de ce marécage. L’intuition nous dit qu’il faut un changement de système, une « grande transition », justement. Le peinturage en vert des élites corporatives, le discours moraliste des gouvernants, la désinformation par les médias réussissent de moins en moins à tromper les gens, notamment les jeunes. C’est un grand rendez-vous qui se prépare pour la fin de 2020 et le printemps 2021, avec une grève climatique mondiale.
Des résistances à l’utopie en passant par la stratégie
En gros comme on le sait, on se retrouve, d’une part, devant une offensive généralisée de la droite et d’autre part, devant un mouvement social exubérant, tenace, politisé. Cette contradiction traverse un très grand nombre de fronts de luttes, au Québec, aux États-Unis, en France, en Catalogne, en Algérie, au Liban, au Soudan, au Chili, en Haïti, en Bolivie, en Chine. Un peu partout, une galaxie de mouvements et de résistances est porteuse d’une transition démocratique, sociale et écologique, avec un fort contenu anticapitaliste et anti-impérialiste. C’est riche, c’est diversifié, cela a de la profondeur, c’est résistant devant les assauts de plus en plus violents des dispositifs du pouvoir.
Le diagnostic, en gros, a été complété. On connaît l’ennemi, ses jeux plus ou moins subtils, sa violence réelle et symbolique, son réseau complexe d’institutions et d’appareils où il déploie chaque heure, chaque minute, une immense bataille des idées pour répéter le mot d’ordre de Madame Thatcher : « There is no alternative »… Et alors, le débat change un peu de terrain en passant à l’émergence des alternatives, tant à travers les résistances quotidiennes que dans les projets intellectuels et politiques qui sont mis partout sur la table. Isabelle Garo, notre camarade philosophe-militante de France, l’explique bien :
Les mobilisations sociales en tout genre se multiplient à travers le monde, face à la violence croissante des politiques néolibérales. Elles sont porteuses de formes diverses de protestation, d’organisation et de réflexion collectives. Face aux capacités destructrices du capitalisme contemporain, il ne saurait être question de se contenter d’enclaves provisoires ou d’utopies minoritaires. C’est la politisation de toutes ses contradictions qui définit en propre ce qu’on peut nommer une politique communiste. Et au nombre de ces contradictions, il faut ranger toutes les formes de domination et d’oppression, qui se combinent avec l’exploitation sans pour autant s’y résumer. Comment élaborer enfin, démocratiquement, une rationalité historique qui n’a jamais eu de précédent ? Tâche impossible ? Elle est surtout, à notre époque, impossible à différer plus longtemps. Il reste à inventer des modes de coopération qui soient aussi des modes politiques de lutte et de conquête du pouvoir, repensant à neuf le sujet politique – à la fois divers et coordonné – de la transformation radicale (Communisme et stratégie, Amsterdam, Paris, 2019).
LGT, on continue
Dans les prochaines semaines, en retraite involontaire, le collectif de LGT va prendre le temps de revoir ce qui peut être fait. En gros, le travail de dingue qui a été effectué ces derniers mois a produit une gigantesque « récolte » de propositions, de textes, d’interventions. Nous sommes assis sur un trésor que nous n’allons pas abandonner !
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