À l’institut Rega de recherche interdisciplinaire en science de la santé, de l’Université de Louvain (KU Leuven), le laboratoire du professeur Johan Neyts se prépare à analyser rapidement 15.000 molécules médicales potentielles en provenance des États-Unis. Un vivier moléculaire pour de futurs médicaments au sein duquel le virologue espère identifier l’un ou l’autre composé susceptible de soigner les patients atteints du coronavirus Covid-19. Ou du moins d’en atténuer les effets respiratoires. Le choix de son laboratoire par la Fondation Bill et Melinda Gates, qui finance cette opération pour tester rapidement ce trésor thérapeutique, n’est pas un hasard. Rencontre.
Christian Du Brulle : Avec le Covid-19, vous travaillez sur un médicament potentiel. On parle aussi de la mise au point d’un vaccin. Est-ce utile quand on sait que les virus mutent ?
Johan Neyts : Contrairement à d’autres virus par exemple les virus influenzae, impliqués dans la grippe saisonnière, et qui mutent rapidement, les coronavirus sont une famille de virus plutôt stables. Développer un vaccin contre le coronavirus est donc quelque chose d’intéressant à long terme. Il existe d’autres virus contre lesquels des vaccins efficaces et stables ont été développés. Je pense par exemple à la rougeole, dont le vaccin à quasiment 50 ans. Ou encore au vaccin contre la fièvre jaune qui a été mis au point il y a plus de 80 ans et qui est toujours administré aujourd’hui. La première étape est de développer un médicament antiviral pour les patients. Un médicament susceptible d’agir sur divers types de coronavirus. Le vaccin spécifique viendra ensuite, quand on le connaîtra mieux.
Si ce coronavirus est tellement stable, pourquoi ne pas avoir alors mis au point un vaccin dans le passé, puisque ce n’est pas la première crise au coronavirus que l’humanité rencontre ?
C’est une question politique, stratégique, économique… En 2003, avec la crise du SRAS (le syndrome respiratoire aigu sévère, également causé par un coronavirus), on avait effectivement une belle opportunité de développer des recherches pour la mise au point d’un tel médicament efficace pour soigner ces patients et constituer des stocks. Mais on n’en a rien fait. Cela a été une opportunité gâchée.
« Si de tels médicaments avaient été développés à l’époque, la crise actuelle aurait sans doute pu être enrayée rapidement et ne pas devenir un gâchis sanitaire et économique. »
Si de tels médicaments avaient été développés à l’époque, la crise actuelle aurait sans doute pu être enrayée rapidement et ne pas devenir un gâchis sanitaire et économique comme celui qui se développe actuellement. Vous savez, la famille des coronavirus est assez réduite. On en connaît six ou sept actuellement. Mettre au point un tel médicament aurait sans doute coûté à l’époque 200 à 300 millions d’euros. Des chiffres ridicules par rapport à l’impact économique de la crise qui se développe autour de nous.
Vous êtes également frappé par l’ampleur de la crise économique qui se développe en lien avec cette pandémie ?
Bien entendu. Je suis également le président de la Société internationale de recherche sur les antiviraux (International Society for Antiviral Research/ISAR). Nous avons notre congrès annuel programmé à la fin du mois, à Seattle, aux États-Unis. Nous nous interrogeons sur la pertinence de le maintenir en l’état…
Quand cette pandémie prendra-t-elle fin ?
Difficile à dire. On espère qu’avec le retour de l’été, dans l’hémisphère nord, le virus disparaîtra de lui-même, comme ce fut le cas dans le passé avec d’autres coronavirus. Mais rien n’est certain, à ce stade.
La crise actuelle est-elle bien gérée ?
« On espère qu’avec le retour de l’été, dans l’hémisphère nord, le virus disparaîtra de lui-même. Mais rien n’est certain, à ce stade. »
À mes yeux, en Belgique comme en Europe, les bonnes mesures sanitaires ont été prises. Mais nous avons eu deux mois pour nous préparer, contrairement à la Chine qui a dû prendre des mesures dans l’urgence, lors de l’émergence de l’épidémie. Cela a été une surprise totale pour eux.
Le dépistage à grande échelle, en Belgique, vous semble-t-il utile ?
On ne va pas tester un million de personnes en Belgique pour le Covid-19. Cela n’a pas de sens. Par contre la dissémination de kits de tests dans les hôpitaux du pays est une bonne chose. Encore faut-il que le personnel soit formé et informé des procédures et que le matériel de laboratoire suive, en aval.
Pourquoi cette collaboration avec la Fondation Gates et cette opération de screening moléculaire à grande échelle ?
Notre institut a une longue tradition de recherche en matière de virus et de molécules antivirales. Quant à notre laboratoire, il est actif dans deux domaines bien précis. Le développement d’antiviraux, mais également le développement de nouvelles technologies de production de vaccins. Nous travaillons à la mise au point de nouvelles méthodes de fabrication de vaccins qui ne passent plus par l’incubation dans des oeufs. Nous nous intéressons aussi aux vaccins qui peuvent être conservés en dehors de la chaîne du froid. Une piste intéressante pour la vaccination dans des régions où cette chaîne continue ne peut pas être garantie. Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, ces deux axes sont mobilisés au sein de mon laboratoire.
Par ailleurs, nous disposons aussi de ressources technologiques entièrement automatisées qui nous permettent de tester à grande vitesse et sans interruption de grandes quantités de molécules. Un laboratoire assez unique au monde. Voilà sans doute ce qui explique pourquoi nous avons retenu l’attention de la Fondation Bill et Melinda Gates pour cette collaboration.
D’où viennent ces molécules que vous allez analyser ?
Elles ont été collectionnées par l’Institut Scripps, en Californie. Il s’agit de molécules susceptibles de devenir des médicaments pour de multiples pathologies. À ces 15.000 molécules, nous allons également ajouter 3.500 molécules issues de nos propres banques de données, celles du « Center for drug design and developpment », de la KU Leuven.
Quel est l’objectif de cette opération à court terme ?
Nous voulons identifier des molécules qui sont peut-être déjà utilisées dans certains médicaments ou d’autres non encore exploitées et qui pourraient avoir un effet sur la santé des patients touchés par le Covid-19. Ceci dit, il ne s’agira pas de mettre au point à très court terme un nouveau médicament antiviral. Mais bien d’identifier les molécules d’intérêt, pour ensuite pouvoir les tester sur des souris. Je pense qu’une fois que nous aurons lancé les analyses sur ce total de 18.500 molécules, nous devrions avoir des premiers résultats intéressants dans les deux semaines. Une fois que ces premiers résultats seront confirmés, certaines molécules pourraient être testées sur des êtres vivants. Au final, nous espérons qu’au minimum ces molécules d’intérêt pourront quelque peu soulager les symptômes respiratoires des patients. À plus long terme, nous espérons aussi pouvoir mettre au point un antiviral efficace contre cette famille de virus.
L’Institut Rega avait déjà été à la base d’une découverte de ce genre dans le passé, non ?
« C’est à la KU Leuven que certaines molécules antivirales permettant de lutter contre le VIH ont été identifiées. »
En 2003, alors que l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu) faisait rage dans le monde, l’équipe de mon collègue Marc Van Ranst avait déjà pu montrer que la Chloroquine, un médicament habituellement utilisé contre le paludisme, pouvait soulager certains symptômes respiratoires chez les patients atteints de ce syndrome, en agissant comme antiviral. Une étude sur l’utilisation de ce médicament sur des patients en Chine, à Wuhan, est d’ailleurs actuellement en cours. Par communiqué de presse, les autorités chinoises semblent indiquer que cela livre des résultats intéressants. Mais je n’ai pas encore vu de publication scientifique sur cet essai clinique. Et un autre médicament, américain, utilisé dans le cadre de la lutte contre l’Ebola, semble également avoir un impact sur le coronavirus.
Avant cela, rappelons aussi que c’est à la KU Leuven que certaines molécules antivirales permettant de lutter contre le VIH ont été identifiées. Des molécules qui aujourd’hui permettent de soigner 20 millions de personnes dans le monde.
Christian Du Brulle