WASHINGTON CORRESPONDANTE
Corine Lesnes
Article paru dans le Monde, édition du 03.03.07.
LE MONDE | 02.03.07 | 15h03 • Mis à jour le 02.03.07 | 15h04
Rarement dégel aura été si rapide. Il y a moins de trois ans, l’administration Bush refusait jusqu’à l’idée de négociations bilatérales avec les officiels nord-coréens, qu’elle ne trouvait fréquentables que dans le cadre des pourparlers à six pays (Etats-Unis, deux Corées, Japon, Russie, Chine) que Pékin a commencé à héberger à partir de 2003. Jeudi 1er mars, une délégation nord-coréenne est arrivée à San Francisco, sur le chemin de New York, où doit se tenir, lundi 5 mars, la première réunion du « groupe de travail américano-nord-coréen » sur la normalisation entre les deux pays. Selon l’Associated Press, les membres de la délégation ont été passablement surpris de voir autant de photographes les attendre à l’aéroport.
Pendant son séjour à San Francisco, le négociateur nord-coréen, le vice-ministre des affaires étrangères, Kim Kye-gwan, doit rencontrer des experts américains des questions de non-prolifération, à l’instar de tout dignitaire étranger qui, en visite aux Etats-Unis, fait le tour des think tanks (cercles de réflexion).
La formation du groupe de travail était l’une des conditions prévues par l’accord conclu le 13 février à Pékin par les « Six » en vertu duquel Pyongyang s’est engagé à commencer à démanteler son programme nucléaire au plutonium de la centrale de Yongbyon avant le 14 avril, en échange de 50 000 tonnes de fioul et de compensations politiques. L’objectif est de parvenir à une normalisation des relations bilatérales.
A l’approche de ces entretiens, la partie américaine a émis des signaux positifs. Le département du Trésor a fait savoir qu’un accord était proche pour permettre à Pyongyang de récupérer une partie des avoirs gelés par la banque Banco Delta Asia de Macao sous pression de Washington.
Sur un autre des sujets de contentieux, le programme secret d’enrichissement d’uranium, les Américains ont paru moins sûrs d’eux. Comme dans le cas irakien, il s’est tout à coup trouvé que l’une des pierres angulaires des accusations américaines était moins solide qu’annoncé. Devant le Congrès, le principal responsable du renseignement pour la Corée du Nord à la direction nationale du renseignement (DNI), Joseph DeTrani, a admis mardi des incertitudes. « Nous pensons toujours que le programme existe - mais notre certitude est à un niveau moyen », a-t-il dit.
En 2002, l’administration Bush avait fait de ce programme supposé le motif de la rupture de l’accord-cadre de 1994, ce qui avait interrompu les livraisons de fioul à Pyongyang et lancé Kim Jong-il dans une course en avant pour se doter d’une arme de dissuasion (au plutonium). Pyongyang avait rejoint « l’axe du mal ». La CIA avait publié une fiche dans laquelle elle affirmait qu’il existait « des signes clairs de la construction d’installations pour des centrifugeuses » et que la Corée du Nord serait en mesure de produire assez d’uranium pour alimenter « deux bombes par an au moins à partir de 2005 ».
Les Nord-Coréens avaient démenti, mais le négociateur américain James Kelly les avait confrontés, le 4 octobre 2002, avec des « preuves » : les renseignements obtenus auprès du Pakistan, qui faisaient état de l’achat de vingt centrifugeuses par Pyongyang au réseau de l’ingénieur pakistanais A.Q. Khan. Selon la version américaine, les officiels coréens avaient alors admis l’existence de ce programme. Ceux-ci démentent.
« Il y a un désaccord entre ce que les Nord-Coréens pensent qu’ils ont dit et ce que les officiels américains pensent qu’ils ont entendu », selon le résumé fait par Siegfried Hecker, le responsable du Center for International Security and Cooperation de l’université Stanford, l’un des interlocuteurs de la délégation nord-coréenne à San Francisco.
Interrogé mercredi au Congrès, le négociateur américain Christopher Hill a indiqué être déterminé à lever le mystère et à savoir « ce que sont devenus les tubes » d’aluminium que Pyongyang est aussi soupçonné d’avoir cherché à se procurer.
Les démocrates ont demandé des explications. « Placer certains pays dans un axe du mal et découvrir ensuite qu’il y avait des lacunes majeures dans nos renseignements sur l’Irak, et maintenant sur un autre pays, n’inspire aucune confiance », a déclaré le sénateur Richard Durbin. Pour le sénateur Jack Reed, de la commission de la défense, les Coréens ont eu le temps de quadrupler leur arsenal depuis 2002.
Washington paraît prêt à un dégel partiel des fonds nord-coréens à Macao
MACAO ENVOYÉ SPÉCIAL
Philippe Pons
Article paru dans le Monde, édition du 02.03.07.
LE MONDE | 01.03.07 | 14h12 • Mis à jour le 01.03.07 | 14h12
Dans le grand marchandage entre les Etats-Unis et la Corée du Nord en vue de la dénucléarisation de celle-ci, intervenu le 13 février à Pékin dans le cadre de pourparlers multilatéraux, un verrou doit sauter avant que les négociateurs entrent dans le vif du sujet : le déblocage de comptes bancaires nord-coréens à la Banco Delta Asia (BDA) de Macao.
Alors que les Américains et les Coréens du Nord doivent engager prochainement à Washington des pourparlers en vue de normaliser leurs relations, un dégel partiel des comptes à la BDA paraît acquis, selon des sources proches du dossier à Macao. Christopher Hill, le négociateur américain aux pourparlers à six (Etats-Unis, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie), s’était engagé, au nom de son gouvernement, à régler cette affaire dans les trente jours suivant la signature de l’accord.
En visite à Hongkong et à Macao, lundi 26 et mardi 27 février, le secrétaire adjoint au Trésor américain, Daniel Glaser, a annoncé que l’enquête sur les comptes nord-coréens touchait à sa fin et qu’il « était en mesure de donner une solution à l’affaire », sans toutefois préciser d’échéance. Au total, 24 millions de dollars (18,2 millions d’euros) ont été gelés. De 8 millions à 13 millions de dollars devraient être débloqués après vérification qu’il s’agit bien de fonds d’origine licite, dont 6 millions appartiennent à Taedong Credit Bank, banque commerciale à capital étranger et nord-coréen dont le siège est à Pyongyang.
Petite banque familiale, la BDA a été accusée, en septembre 2005, par les Etats-Unis, de blanchiment d’argent et de mise en circulation de faux dollars pour le compte de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). A la suite de cette mise à l’index par Washington, la BDA s’est retrouvée en quelques jours au bord de la faillite en raison du retrait massif de leurs avoirs par les épargnants. Après avoir été placée sous tutelle par les autorités financières de Macao, la BDA a gelé une cinquantaine de comptes bancaires nord-coréens. Et Pyongyang a refusé de revenir à la table des négociations à six tant que les sanctions n’auraient pas été levées. Washington paraît prêt aujourd’hui à donner partiellement satisfaction à Pyongyang pour que le processus de négociations sur l’arrêt de ses activités nucléaires puisse être engagé.
EFFET DÉVASTATEUR
La mise à l’index de la BDA a eu un effet dévastateur pour la RPDC, « allant au-delà des attentes » de Washington, estiment les auteurs d’un récent rapport au Congrès sur le faux-monnayage auquel se livrerait Pyongyang. Les accusations du Trésor ont dissuadé la plupart des banques de la région d’avoir des opérations avec la RPDC de peur d’être placées sur une « liste noire ».
Au cours des dix-huit derniers mois, l’obstruction de ses canaux financiers a paralysé les échanges extérieurs de la RPDC.
Selon Daniel Glaser, « l’enquête a confirmé et renforcé les préoccupations que nous avions exprimées en septembre 2005 ». Mais le Trésor n’a pas rendu publiques les preuves des malversations de la BDA. Les autorités financières de Macao ne paraissent guère convaincues par les conclusions de l’enquête américaine. « La question de la véracité ou non des accusations portées contre la DBA est secondaire. L’affaire est avant tout politique », estime une source bancaire occidentale à Hongkong.
Le dégel des comptes devrait être progressif, car les Américains entendent conserver un « levier » dans les négociations sur le nucléaire. La BDA pourrait être lavée des accusations portées contre elle au nom de la « bonne foi », ignorant l’existence des activités illégales de la RPDC. Alors qu’une partie des comptes serait dégelée, une autre continuerait à faire l’objet d’une enquête.
La Corée du Nord pourrait ne jamais avoir possédé d’uranium enrichi
LEMONDE.FR | 01.03.07 | 14h52 • Mis à jour le 01.03.07 | 14h58
Les autorités américaines ne seraient plus si sûres que la Corée du Nord possède un programme d’enrichissement d’uranium, comme elles l’ont soutenu depuis près de cinq ans. C’est ce que rapportent, jeudi 1er mars, le New York Times et le Washington Post, qui font état de l’audition par le Congrès du responsable des renseignements américains en Corée du Nord, Joseph DeTrani.
Si, selon M. DeTrani, il existe bien une « forte chance » que la Corée du Nord possède du matériel qui pourrait être utilisé dans « la production en masse » d’uranium, la possibilité qu’un tel programme existe réellement serait « moyenne », rapportent les quotidiens américains. Ces déclarations font suite à celle du négociateur américain Christopher Hill, qui avait annoncé lors d’une conférence, la semaine dernière, être incertain que la Corée du Nord ait jamais possédé la technologie nécessaire pour créer un programme d’enrichissement d’uranium.
ÉTRANGES SIMILITUDES AVEC LES ACCUSATION CONTRE SADDAM HUSSEIN
Les deux articles notent que l’apparition de ces nouveaux éléments pourraient, en partie, être expliquée par l’assouplissement des relations avec la Corée du Nord depuis la signature d’un accord, le 13 janvier. Pyongyang s’était alors engagé à fermer son principal réacteur nucléaire et à permettre le retour des inspecteurs en contrepartie d’une aide énergétique.
« Si [l’administration] a pris l’ambition de la Corée du Nord pour une réalité, c’est important », a noté le sénateur démocrate Jack Reed, membre de la commission des forces armées, cité par le New York Times. Le Washington Post rapporte, quant à lui, la publication, la semaine dernière, d’un rapport de David Albright, président de l’Institut pour la science et la sécurité internationale (ISSI) et ancien inspecteur de l’ONU. Dans celui-ci, M. Albright rapprochait les renseignements américains sur le programme nord-coréen de ceux rendus publics peu avant l’invasion de l’Irak, selon lesquels Saddam Hussein aurait été en possession d’armes de destruction massive.
En 2002, l’administration Bush avait affirmé que Pyongyang poursuivait un programme clandestin d’enrichissement d’uranium et demandé son arrêt immédiat. A la suite de ces accusations, Pyongyang avait expulsé les inspecteurs et remis en route sa centrale, rompant par la même occasion l’accord de non-prolifération nucléaire de 1994. Depuis, la Corée du Nord a toujours nié mener de telles activités, tout en admettant qu’un programme nucléaire, à base de plutonium, existait bel et bien dans la ville de Yongbyon. Des responsables nord-coréens ont récemment affirmé à des experts américains que la bombe utilisée lors de l’essai nucléaire, le 9 octobre, était faite à partir de plutonium.