En 20 ans, les hôpitaux, les postes de médecins et d’infirmières et des dizaines de milliers de lits de soins intensifs et de réanimation ont été supprimés afin de respecter les règles des budgets d’austérité et la logique du capitalisme néolibéral : réduire la part de la protection sociale dans le PIB. Hormis l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne et le Luxembourg, les autres pays ne disposent que de 4 à 11 lits de soins intensifs pour 100.000 habitants, le Portugal et la Grèce étant les pays qui affichent les chiffres les plus bas. Dans ces deux pays, comme dans l’État espagnol, en France et au Royaume-Uni, la dernière décennie a vu se succéder des projets de suppressions de lits d’hôpitaux. Ces politiques, régulièrement dénoncées par les personnels de santé ces dernières années, ont créé une pénurie catastrophique de ressources pour faire face à la pandémie. L’Italie et la France ont déjà atteint ou dépassé leur capacité maximale dans les unités de soins intensifs. D’autres pays seront confrontés à la même situation dans les prochaines semaines. Partout, les gouvernements ont été lents à prendre des mesures pour faire face à cette pénurie en fournissant le matériel de protection nécessaire (masques, gels, etc.), les équipements essentiels (lits, respirateurs) et en recrutant d’urgence du personnel hospitalier. Même en Allemagne, des centaines de milliers de lits ont été supprimés au cours des deux dernières décennies et le rapport entre le nombre d’infirmières et de patients montre qu’il manque au moins 110.000 infirmières.
Dans le même temps, la principale obsession des gouvernements et des capitalistes en Europe a été le spectre de la récession et le maintien d’une production maximale. Lorsque des mesures d’urgence pour protéger la population ont été imposées, plusieurs gouvernements ont procédé, et procèdent encore, à des injonctions contradictoires. Contraints de décider, dans plusieurs pays, du confinement de toute la population afin de ralentir et réduire la propagation du virus, ils ont continué à pousser au maintien d’une activité économique maximale, au risque de la santé des travailleur·es, même dans des secteurs comme la production automobile, la construction, l’industrie militaire ou les chantiers navals. En outre, les travailleur·es des secteurs vitaux (production et distribution de denrées alimentaires, routes, transports publics, personnel médical et des maisons de retraite) ne disposent pas de suffisamment d’équipements de protection individuelle, et même les lignes directrices de l’UE en matière de législation sur la sécurité et la santé sont largement ignorées.
Certains pays ont promulgué des décrets interdisant les « activités non essentielles », mais toujours dans le but de maintenir l’essentiel de la production économique. La France et l’Italie ont interdit certains licenciements, mais ces mesures ont une portée limitée. Dans l’État espagnol, les travailleur·es touché·es par les fermetures devront rattraper les heures non travaillées après la réouverture des entreprises. Ces dernières semaines, on a déjà enregistré 1,5 million de licenciements, dont 500 000 en Catalogne. En Italie, la Cofindustria a exercé de fortes pressions pour que les activités se poursuivent dans la plupart des secteurs économiques, mais les travailleur·es et les syndicats combatifs ont obligé le gouvernement à réduire partiellement le nombre de secteurs autorisés à continuer à fonctionner. Désormais, même dans les zones les plus touchées, une simple déclaration aux autorités de police locales permet à de nombreuses usines et manufactures de poursuivre leurs activités. Mais la résistance des travailleurs se maintient également. En France, c’est souvent par manque de pièces ou de débouchés immédiats que la production s’est arrêtée. PSA et Renault tentent maintenant de reprendre un maximum d’activités. La ministre française du Travail elle-même a exercé une pression maximale pour que le secteur du bâtiment et des travaux publics reprenne son activité.
Des millions de travailleur·es ont été directement licencié·es ou mis·es au chômage partiel avec perte de salaire. Des contrats précaires et temporaires n’ont pas été renouvelés. Des millions d’indépendant·es qui n’ont pas le statut de salarié se sont également retrouvé·es sans activité et sans revenus. Mais, pour tout le monde, toutes les dépenses et crédits arrivent et doivent être payés. Toutes et tous les travailleur·es, quel que soit leur statut (salarié, indépendant, chômeur, temporaire, saisonnier, etc.) doivent avoir leur revenu garanti à 100 %, avec un minimum garanti pour tous et toutes en fonction du coût de la vie dans le pays. Les bénéfices et les dividendes doivent être utilisés pour financer cette garantie.
Les personnes vivant dans des conditions précaires, les sans-abri et les femmes sont les premières touchées par la propagation du Covid-19 et le confinement. Les logements précaires, les logements exigus et insalubres créent un confinement pour les pauvres qui n’a rien à voir avec celui des riches. En Italie et en France, les plus aisés ont quitté les zones les plus exposées pour s’isoler dans des zones moins exposées.
Les autorités russes ont eu recours à des mesures répressives, condamnant à de lourdes amendes pour les violations de quarantaine et renforçant le dispositif de vidéosurveillance et de contrôle de police. Simultanément, ils ont effectivement refusé d’apporter le moindre soutien aux travailleurs des petites et moyennes entreprises qui ont perdu leurs revenus ou leur emploi. De plus, trois millions de travailleur·es migrants d’Asie centrale qui ne peuvent pas rentrer chez eux et beaucoup d’entre elles et eux qui ont perdu leur emploi se sont retrouvés dans une situation très vulnérable. La propagation de l’épidémie risque de provoquer énormément de victimes, largement dues au programme brutal « d’optimisation » néolibérale de l’hôpital que le gouvernement russe a mis en œuvre au cours des années précédentes.
De même, la violence domestique et les féminicides augmentent partout dans un tel contexte.
Dans les prisons de nombreux pays, les populations et le personnel pénitentiaire se trouvent également dans des conditions de surpopulation sans équipement de protection.
Les migrants, en particulier celles et ceux qui sont bloqués entre la Grèce et la Turquie, mais aussi celles et ceux qui sont entassés dans des camps, sont encore plus exposé·es en raison de leur condition physique précaire. Dans la plupart des pays, ces populations sont laissées sans soutien de l’État et même des ONG, sans aide alimentaire et entassées dans des centres où les mesures de protection sont inapplicables. Le Portugal a décidé de régulariser temporairement les réfugiés et sans-papiers présents sur son sol, mais cela ne concerne que celles et ceux qui ont déjà une demande de régularisation confirmée par les autorités.
Plus encore que d’autres, les migrants sont confrontés à une crise sans précédent en matière de revenus, d’emploi, de logement et de faim, et les secteurs de « l’aide sociale » s’effondrent pour d’immenses et diverses catégories défavorisées de la population, autochtones ou non, migrant·es et réfugié·es compris.
En même temps, les migrants et les populations issues de l’immigration postcoloniale fournissent une part importante des salarié·es dans des secteurs essentiels comme la santé et les soins, les transports publics, la production et distribution alimentaire, le nettoyage, secteurs aussi largement féminisés.
La pandémie exacerbe la discrimination de classe, et les classes populaires, les plus précaires, sont celles qui paient et paieront le plus lourd tribut à cette pandémie, notamment en termes de décès.
Dans le même temps, plusieurs gouvernements, menés par l’Italie et la France, ont tenté de masquer leur négligence par une posture guerrière, un recours à tout l’appareil du nationalisme : mise en avant de l’armée, de l’hymne national, de l’appel à l’Union Sacrée, alors que la discrimination de classe n’a jamais été aussi forte que depuis le début de cette pandémie. De même, plusieurs gouvernements ont déclaré l’état d’urgence (Italie, France, Portugal, Espagne), avec la tentation d’utiliser cette situation pour limiter les droits sociaux et démocratiques. Ainsi, en Allemagne, la crise du Covid-19 est utilisée pour remettre en question ou annuler différents acquis du mouvement ouvrier : par exemple, en Bavière, la loi sur les heures de travail et, dans toute l’Allemagne, la loi sur le ratio du personnel pour les soins infirmiers. En France, le gouvernement autorise par décret les entreprises à déroger aux règles sur la durée du travail et l’octroi de congés ; en Espagne et au Portugal des dispositions interdisent le droit de grève dans les secteurs de la santé et des productions essentielles ou permettent de briser la grève. Le Parlement hongrois a donné à Orban les pleins pouvoirs, court-circuitant ainsi tout contrôle démocratique.
Cette pandémie n’est pas une surprise, notamment pour de nombreux scientifiques. La croissance massive de l’industrie agro-alimentaire, notamment de la viande, la déforestation ainsi que l’augmentation des bidonvilles dans les mégalopoles, les chaînes de valeur mondiales ont créé une bombe à retardement de développement et de prolifération mondiale de souches de virus nouvelles et inconnues.
Face à cette crise, l’Union européenne a fait une triste démonstration. La situation actuelle est le résultat de nombreuses années de politique d’austérité : par exemple, au cours de la dernière décennie, pas moins de 63 fois, l’UE a exigé des réductions des dépenses de santé publique dans différents pays. Loin de mettre en place une coordination sanitaire, de mettre en commun les ressources pour lutter contre la pandémie, les gouvernements ont commencé par fermer les frontières nationales avec les « pays infectés », ont refusé l’aide demandée par l’Italie et ont pris des mesures contradictoires de manière désordonnée. Pendant des semaines, l’Italie a reçu plus d’aide venant de la Chine, de la Russie et même de Cuba que venant des pays européens. Le manque de masques, de tests et de lits de soins intensifs a rendu inévitable un confinement strict dans beaucoup de pays, mais aujourd’hui encore, il n’y a pas de coopération au niveau européen pour rattraper le retard. Les seules préoccupations des sommets européens de ces dernières semaines ont été de suspendre temporairement les règles budgétaires, et le rachat massif de titres par la BCE dans le cadre du « quantitative easing » (assouplissement quantitatif) pour se sauver de la crise boursière et financière. Entre-temps, l’UE a refusé l’émission de « coronabonds », directement garantis au niveau européen, afin que des pays comme l’Italie, qui en faisait la demande, ne puisse pas bénéficier de prêts à faible taux d’intérêt. Cyniquement, la seule proposition est d’utiliser le MES (mécanisme européen de stabilité), dont l’aide est conditionnée à des mesures d’austérité, les mêmes qui ont créé la situation catastrophique actuelle. À aucun moment, la coopération en termes de soins de santé, de ressources industrielles et de personnel médical n’a été envisagée et chaque État poursuit sa propre politique de sauvegarde.
Mesures d’urgence
Les organisations et les militant·es de la Quatrième Internationale en Europe mettent en avant un programme de mesures d’urgence :
• l’injection de moyens suffisants pour la mise à disposition massive de kits de dépistage, la multiplication des lits de réanimation et des respirateurs. La généralisation gratuite à l’ensemble de la population des masques de protection et des tests biologiques appropriés est la condition de la levée du confinement. Soutien immédiat à une production démocratiquement contrôlée de ces moyens et à une recherche non commerciale de médicaments et de vaccins contre le Covid-19,
• la cessation de toutes les activités économiques qui ne sont pas essentielles à la vie quotidienne et à la protection de la santé de la population,
• la prise en charge à 100 % par les entreprises et/ou l’État des salaires des travailleur·es ayant suspendu leur activité, y compris les contrats précaires et temporaires, les travailleur·es domestiques, indépendant·es et les travailleur·es saisonnier·es, ceci sans aucune obligation de prendre des jours de congé ou de récupérer ultérieurement les heures non travaillées. Obligation pour l’État de payer les salaires des salariés dont les employeurs refusent de les verser pendant la crise. Le gouvernement devra ensuite récupérer le coût de cette intervention en infligeant une amende aux entreprises coupables de ne pas avoir payé les salaires. Pour les travailleur·es du secteur informel, pour les chômeur·es non rémunéré·es, pour les étudiant·es, pour tous ceux et toutes celles qui en ont besoin, l’État doit assurer un revenu minimum garanti permettant de vivre décemment,
• l’interdiction de tout licenciement et la réintégration des salarié·es licencié·es depuis le début de la pandémie,
• le refus de toute mesure autoritaire et exceptionnelle de suspension des droits sociaux, y compris le droit de grève,
• mise à disposition de moyens de protection (masques, gels, lunettes, gants) pour tous ceux et toutes celles poursuivant une activité, permettant leur protection et l’exercice immédiat du droit de retrait si les conditions de sécurité ne sont pas respectées,
• l’arrêt de toute expulsion de locataires, la suspension des loyers, des prêts personnels et des factures d’eau et d’énergie, la mise à disposition d’un logement convenable pour tous ceux et toutes celles qui vivent dans des conditions précaires ou sans logement, la réquisition des logements vides,
• la mise en place d’une prise en charge sociale adéquate pour les personnes en situation de handicap, les personnes âgées et tous celles et ceux qui sont socialement isolé·es par le confinement,
• la mise en place, notamment dans les pays où le confinement a été décidé, de mesures de protection d’urgence immédiates pour les femmes et les enfants victimes de violence, avec des décisions rapides d’éloigner les conjoints violents ou de fournir un logement de remplacement aux victimes,
• la garantie d’un accès en temps voulu à la contraception et à l’avortement en tant que procédure médicale vitale,
• la régularisation immédiate de tous et toutes les migrants et réfugiés sans papiers avec un accès immédiat à tous les systèmes de protection sociale, la fin de toutes les expulsions ; alors que le Covid-19 s’est déjà répandu dans les camps, la fermeture immédiate des camps de détention très surpeuplés, en particulier celui Moria à Lesbos est impérative, avec la réquisition des hôtels et appartements nécessaires avec des conditions d’hygiène et de confinements satisfaisantes. Les frontières de l’Europe doivent être ouvertes pour l’admission en toute sécurité des réfugié·es.
La situation exige également que les intérêts des classes populaires soient mis au premier plan dans une série de décisions urgentes :
• la réorganisation publique du secteur de la santé, intégrant l’ensemble du secteur privé, avec l’embauche immédiate de toutes les personnes de santé nécessaires au fonctionnement des services dans le cadre de la réouverture des lits, des services et des hôpitaux fermés ces dernières années, l’ouverture de toutes les structures de santé nécessaires et l’augmentation des salaires des personnels de santé,
• le transfert dans le domaine public de l’industrie pharmaceutique et la production des médicaments nécessaires indépendamment des droits de brevet,
• le transfert dans le domaine public des principales plateformes de médias sociaux, Facebook, What’sApp, Amazon et Zoom qui profitent massivement du confinement et collectent des données qui généreront d’énormes profits à l’avenir. Elles doivent être reprises (sans indemnité, elles ont déjà trop profité), et fonctionner comme des services publics transparents à but non lucratif,
• dans chaque pays, transfert de la propriété des services funéraires au secteur public. Les entreprises privées ne doivent pas être autorisées à tenter de profiter de la mort et du chagrin des gens pour maximiser leurs recettes,
• pour une agriculture durable et une justice alimentaire mondiale,
• la conversion immédiate des industries appropriées (voitures, avions, armes…) en productions aidant la société à gérer la crise sanitaire : ventilateurs, surveillance, lits de soins intensifs, équipements de protection. Les travailleur·es pourraient enquêter sur leur propre lieu de travail et prendre des mesures de reconversion en coopération avec les autorités sanitaires,
• l’expropriation des banques privées sans indemnisation des grands actionnaires et la socialisation du système financier sous contrôle citoyen, la suspension de tous les frais bancaires sur les comptes privés et l’octroi aux classes populaires de prêts à taux zéro pour répondre à leurs besoins immédiats,
• la suspension immédiate du paiement des dettes publiques doit permettre de mobiliser les fonds suffisants dont les pays ont besoin pour répondre aux besoins des populations pendant la pandémie. La suspension du paiement de la dette doit être combinée à un audit avec participation citoyenne afin d’identifier la partie illégitime et de l’annuler.
Malheureusement, cette pandémie et la crise mondiale sont les prémices de crises répétées produites par la mondialisation et les changements climatiques. Le capitalisme a créé un monde qui déstabilise, dépouille les sociétés humaines et exacerbe les risques de catastrophes climatiques ou sanitaires. Nous devons mettre fin à l’ancien monde des profits, des pandémies et du changement climatique, et arrêter la destruction de la vie sur notre planète.
Plus que jamais, nos vies valent plus que leurs profits !
Le 8 avril 2020
Allemagne : Internationale Sozialistische Organisation (ISO)
Autriche : Sozialistische Alternative (SOAL)
Belgique : SAP - Gauche anticapitaliste
Danemark : Socialistisk Arbejderpolitik (SAP)
État espagnol : Anticapitalistas
France : SFQI (militant·es de la IVe Internationale en France)
Grande-Bretagne : Socialist Resistance
Grèce : OKDE-Spartakos, TPT (Tendance programmatique IVe Internationale)
Irlande : Socialist Democracy
Italie : Communia Network, Sinistra Anticapitalista
Pays-Bas : SAP - Grenzeloos
Pologne : Zbigniew Marcin Kowalewski
Portugal : SPQI - collectif des militant·es de la IVe Internationale, Toupeira Vermelha
Russie : Mouvement socialiste russe (RSD)
Suède : Socialistisk Politik
Suisse : Bewegung für den Sozialismus/Mouvement pour le Socialisme (BFS/MPS), solidaritéS
Turquie : Sosyalist Demokrasi icin Yeniyol