Pertes d’appétit, troubles du sommeil, obsession de l’hygiène, dépression... Les habitants sont atteints de maux exacerbés par des mois d’isolement social et d’instabilité politique dans un territoire à très forte densité.
Hôpital de Tseung Kwan O, chambre commune du service de pédiatrie : une mère au chevet de son enfant se lave les mains à grande eau. Frénétiquement, irrationnellement, tous les quarts d’heure.
La scène, antérieure au Covid-19, en est presque banale tant sont répandus les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) chez des Hongkongais traumatisés par le Sras (2002-2003).
Des boutons d’ascenseurs stérilisés régulièrement au port du masque à la moindre toux, les stigmates sont omniprésents. Ils sont aujourd’hui exacerbés par des mois d’isolement social et d’instabilité politique.
Les manifestations antigouvernementales ébranlent depuis juin le centre financier et ses 7,5 millions d’habitants. Selon un sondage de l’Université de Hongkong publié en janvier, un adulte sur trois souffre de syndromes de stress post-traumatique (contre 2% en 2015), et 11% de dépression
(contre 2% pendant l’occupation du centre financier en 2014).
Or, au même moment de ce constat frappait déjà à 900 km de là, en Chine continentale, une pneumonie atypique.
Dès janvier, la région administrative spéciale a donc basculé dans l’anxiété du virus et des milliers d’employés dans le télétravail https://www.liberation.fr/planete/2020/03/04/entre- coronavirus-et-manifs-l-economie-hongkongaise-mal-en-point_1780374
Ils partagent depuis quotidien et logements souvent exigus avec leurs enfants – privés d’école et d’espaces de jeux collectifs – voire avec leurs parents.
L’hyperdensité de la ville ajoute à l’angoisse. Moins d’un quart du petit territoire de 110 000 hectares est bâti. Or cette concentration, déjà préjudiciable pour la santé mentale en temps normal, est aujourd’hui un facteur aggravant car elle est synonyme d’une propagation potentiellement foudroyante du virus.
Or, parmi les plus démunis, les trois quarts ne peuvent se fournir en désinfectants ni en masques. Le stress est donc très fort.
La ligne d’assistance téléphonique ouverte par le gouvernement local en janvier pour la santé mentale a reçu plus de 25 000 appels, tandis que plusieurs groupes de bénévoles soutiennent psychologiquement les gens en détresse.
La moitié des messages reçus par la Croix-Rouge concernent le Covid-19, l’autre moitié le stress des manifestations, explique Eliza Cheung. Selon cette psychologue clinicienne, le confinement peut être une « expérience traumatisante », où « tout est suspendu ».
Certains confinés dans des centres de quarantaine ou à l’hôpital « se sentent piégés, ce qui accentue la peur de la mort », explique-t-elle.
D’autres développent des symptômes de stress post-traumatiques ou un déni de réalité, nourrissent des sentiments de peur, colère ou frustration accrus par les pertes financières ou d’emploi. Des troubles de l’adaptation ou des réactions de deuil peuvent frapper les enfants.
« Plus l’isolement dure, plus les impacts négatifs seront intenses et durables », selon Eliza Cheung.
Les effets se font déjà sentir. Pertes d’appétit, troubles du sommeil et obsession de l’hygiène s’aggravent. En janvier, des personnes disaient consacrer deux heures par jour à récurer leur appartement minuscule, raconte la psychologue de la Croix-Rouge. Aujourd’hui, ils y passent
huit heures. Et quand les membres de la famille rentrent de l’extérieur, « cela génère du stress supplémentaire pour ces personnes qui ont donc instauré un rituel de nettoyage ».
Le traumatisme de 2003
Ce TOC est l’un des héritages du tragique épisode de 2003. Cette année-là pendant plus de huit mois, 1 700 personnes ont été contaminées par ce coronavirus, 299 en sont mortes (sur près de 800 dans le monde).
Le taux de suicide a atteint des niveaux historiques, bondissant de 31,7% chez les plus de 65 ans, fragilisés par la réduction des services et soins prodigués par le gouvernement, par la peur de la maladie, la perte des liens sociaux mais aussi par la crainte d’être un fardeau pour leurs enfants en cas de contamination.
Certains malades sont en effet stigmatisés. L’adresse d’Amoy Garden est ainsi gravée dans les mémoires. Cette résidence de 19 000 habitants fut l’un des foyers du Sras, transformée en ville fantôme que même les taxis n’approchaient plus et que, longtemps après, les locataires ont fui.
Des associations de survivants pansent encore les séquelles physiques, psychiques et morales causées par l’infection.
Facteurs de peur
Afin de limiter l’impact psychologique de la pandémie, des messages de sensibilisation circulent, comme ces guides de bonnes pratiques diffusés par le Jockey Club auprès des étudiants ou ces fascicules de la Croix-Rouge.
« L’isolement, la peur et la panique sont réels », résume Paul Yip, directeur du Centre de recherche et de prévention sur le suicide de l’Université de Hongkong. Mais il est « important de combattre l’épidémie sans perdre de vue le bien-être mental. L’isolement peut mener à l’anxiété et au stress qui peut déclencher dépression et suicide ».
Pour éviter ces écueils, « il faut limiter les facteurs de la peur », dit Eliza Cheung, en présentant par exemple le confinement comme « un choix, une protection de soi et d’autrui » plutôt que d’y inciter par la peur en agitant les sanctions en cas de non-respect. Cela peut également passer par des routines et objectifs quotidiens, des petites tâches qui, une fois réalisées, « donneront un sentiment de contrôle ».
Anne-Sophie Labadie correspondante à Hongkong