En 2003, l’association Sedire de Dunkerque, membre de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), a hébergé une femme, mère de trois enfants, victime de violences conjugales graves ayant entraîné une hospitalisation. En 2006, l’auteur de ces violences, père des enfants, cite en correctionnelle l’asso ciation Sedire pour soustraction « d’enfant par ascendant des mains de la personne chargée de la garde ». Le 8 décembre 2006, la procédure est déclarée nulle pour vice de forme, mais une nouvelle poursuite est engagée et la justice devra se prononcer en juin 2007.
L’attaque contre Sedire n’est pas un fait isolé et s’inscrit dans un mouvement masculiniste international de remise en cause systématique des droits conquis par les femmes. En France, en Allemagne, aux États-Unis, au Québec, etc., des associations de pères divorcés cherchent par différents moyens, notamment en instrumentalisant la notion d’autorité parentale, à dissuader les femmes de divorcer ou de dénoncer les violences que leur conjoint ou leur ex leur inflige. La revendication de la garde alternée systématique, y compris en cas de violences envers la femme ou les enfants, est ainsi leur principal cheval de bataille.
Associations
Une fois de plus, l’actuelle prise en charge judiciaire des violences conjugales ne permet pas de protéger les femmes victimes de violence. L’étanchéité actuelle entre le civil et le pénal permet qu’un juge accorde au détenteur de l’autorité parentale le droit de voir ses enfants, même s’il a blessé leur mère au point de l’envoyer à l’hôpital. C’est, entre autres, pour mettre fin à ce type d’injustice que le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) a élaboré une proposition de loi-cadre contre les violences à l’encontre des femmes, dans laquelle est prévue la création de tribunaux de la violence à l’encontre des femmes. Ils seraient compétents, en matière pénale, pour juger les atteintes volontaires à l’intégrité morale, physique et sexuelle des femmes. En matière civile, ils seraient compétents pour traiter les affaires de filiation, séparation, garde des enfants, dès lors qu’elles sont liées à des violences.
L’affaire de Dunkerque illustre les difficultés que rencontrent les associations féministes et structures d’aide aux femmes. Au travers de cette action en justice, c’est le travail et la légitimité de ces structures qui sont remis en cause. Pourtant, elles sont, avec quelques lois, l’unique bien commun auquel les femmes victimes de violences peuvent recourir. Ses origines méritent d’êtres connues.
En 1987, une coordination d’associations issues du mouvement des femmes, mobilisées contre les violences conjugales, devient la FNSF. En 1992, cette fédération crée un service d’écoute téléphonique national, « Violence conjugale - Femmes infos services ». Elle regroupe 54 associations gérant environ 60 établissements d’accueil et d’hébergement. En 1985, des militantes féministes créent le Collectif féministe contre le viol (CFCV). En 1987, il crée une permanence téléphonique nationale « Viols femmes information ». Il anime des groupes de parole de victimes, organise actions de prévention et de formation, coordonne un réseau d’antennes locales. C’est aussi dans les années 1980 que le Mouvement français pour le planning familial (MFPF), plus connu pour ses activités en faveur de la contraception et de l’avortement, déve loppe son intervention concernant les violences. D’autres structures, comme le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles ou l’Association euro péenne contre les violences faites aux femmes au travail, se sont adjointes à cet ensemble de structures associatives.
Structures d’accueil
Une même logique domine dans ce mouvement : des militantes féministes se regroupent, élaborent et expérimentent de multiples actions de soutien auprès des femmes victimes de violences, polarisées selon les différentes « catégories » de violence. L’État et les collectivités territoriales reconnaissent ces structures en leur confiant des missions de service public, mais ils s’épargnent ainsi toute politique de lutte contre les violences. Les associations développent une véritable activité de service auprès des femmes, mais leur existence est en permanence soumise à la course aux subventions et, souvent, l’essentiel de leur énergie militante sert à suppléer à cette précarité.
Ces structures d’accueil, d’hébergement et de solidarité avec les femmes sont notoirement insuffisantes. C’est pourquoi, dans sa proposition de loi-cadre, le CNDF insiste sur la création de trois types de structures. D’abord, des centres d’accueil et d’information immédiate, pour aider les femmes, quelles que soient les violences qu’elles subissent, et assurer un hébergement d’urgence. Cet accueil est d’une grande importance, car nous savons que la plupart des violences restent totalement tues, et que très peu font l’objet d’une plainte. Ensuite, des centres d’hébergement de court séjour, dans lesquels les femmes pourront être accueillies. Enfin, des centres d’hébergement de moyen et long séjour, permettant aux femmes de se reconstruire. Nous exigeons que chaque département mette en place au moins un centre de chacun de ces trois niveaux.
Présidentielle
48 000 femmes sont violées chaque année, et une femme meurt tous les trois jours suite à des violences conjugales. Il ne suffit pas de le déplo rer rituellement, à chaque 8 Mars, comme devaient immanquablement le faire cette année les principaux candidats aux élections. Il est temps de protéger les femmes avant qu’elles ne meurent, de prendre en compte, dans sa globa lité, la lutte contre les violences faites aux femmes, dans ses aspects préventif, d’information, de solidarité, judiciaire, financier, de protection, comme le fait la loi-cadre que nous exigeons.
Pour protéger les structures accueillant les femmes victimes de violences et pour gagner la loi-cadre, le CNDF, la FNSF, le CFCV, le MFPF et Femmes solidaires se sont associés pour appeler à une manifestation nationale le 24 mars. Cette unité constituée pour revendiquer, au-delà des spécificités des activités de chaque structure, est une légitimité importante pour exiger les véritables moyens nécessaires afin de lutter contre l’ensemble des violences. Cette manifestation est d’autant plus importante qu’à un mois des élections, elle doit s’imposer dans la campagne. En effet, si les médias se sont emparés de ce sujet, les politiques restent plutôt vagues et loin de nos revendications.
Ségolène Royal a pris position en disant que la première loi qu’elle ferait voter concernerait les violences, sans préciser si elle adopterait dans son intégralité la loi-cadre du CNDF, ou n’y piocherait que quelques éléments. Quant à Sarkozy, dans sa loi de prévention de la délinquance, il propose que les médecins révèlent à l’autorité judiciaire les violences faites aux femmes. Les femmes ont déjà du mal à porter plainte, alors cette mesure ne fera que renforcer leur crainte d’aller faire constater les coups. Sa loi sur l’immigration stipule : « Le contrat d’accueil et d’intégration sera rendu obligatoire pour tous les étrangers qui souhaitent s’installer en France. Il comprendra une information précise sur les droits des femmes tels qu’ils s’appliquent en France. » Comme si les violences ne touchaient pas toutes les sphères sociales, toutes les populations. Cet amalgame entre immigration et violences est d’autant plus scandaleux que c’est l’État français qui continue de redoubler les violences dont sont victimes les femmes migrantes, notamment en refusant le droit d’asile pour motif de violences sexistes ou en déniant aux femmes tout statut autonome en matière de droit au séjour. Il est donc important de défendre nos associations et de porter la loi-cadre du CNDF, le samedi 24 mars à Paris.
Les violettes rouges
• CNDF, « Contre les violences faites aux femmes : une loi-cadre ! », Syllepse, 7 euros. Disponible à la librairie La Brèche.