La famille Bundia comptait sept infirmières, raconte The New York Times. Le 28 mars, l’une d’entre elles, Jhoanna Mariel Buendia, a reçu un appel alors qu’elle s’apprêtait à commencer son travail dans un service de soins intensifs en Grande-Bretagne. “Son père lui a annoncé la nouvelle que sa tante bien aimée, une infirmière en Floride, venait de mourir des complications liées au Covid-19.”
Âgée de 27 ans, Jhoanna Mariel Buendia s’est rendue au travail, prenant soin de se protéger avec masque, gants, visière, “mais trop sonnée par la nouvelle pour comprendre que sa tante avait perdu la vie en faisant ce qu’elle s’apprêtait à faire : pratiquer des soins dans un hôpital loin de chez elle.”
Vingt infirmiers philippins morts en Grande-Bretagne
Le reportage du New York Times rend ainsi hommage aux infirmiers et infirmières philippins qui occupent des postes dans de nombreux hôpitaux hors des Philippines.
Aux États-Unis, 4 % des 150 000 postes d’infirmiers seraient occupés par du personnel d’origine philippine. En Grande-Bretagne, 20 infirmiers philippins sont morts dans leurs fonctions depuis le début de l’épidémie, selon un communiqué de l’ambassade des Philippines à Londres, repris par The Philippines Daily Inquirer..
“La mort des soignants philippins du Covid-19 a secoué la société britannique car il est bien connu que les Philippins représentent le troisième plus grand groupe dans le personnel du service national de santé après les Britanniques et les Indiens.”
“Le dénominateur commun est que nous avons tous peur”, confirme au New York Times Jhoanna Mariel Buendia parlant d’elle-même et de ses colocataires, toutes des infirmières venant des Philippines. Toutes travaillent dans un hôpital de York depuis septembre. Pour autant, pas question de quitter leurs emplois ou de rentrer à la maison malgré les appels fréquents et inquiets de leurs parents.
“Je suis ici pour être infirmière”, insiste la jeune femme.
Aux Philippines, pénurie de 300 000 soignants
Aux Philippines, le gouvernement fait d’ailleurs face à une pénurie de soignants. Selon le site internet Rappler, le pays manque de 300 000 soignants alors qu’au 28 avril, le nombre de cas de coronavirus s’élevait à 7 958, selon le ministère de la Santé ; 530 personnes en sont mortes.
“Le Covid-19 a mis en lumière le manque chronique de personnels dans le secteur de la santé, confirme Maristela Abenojar, présidente de l’Union philippine des infirmiers, au site d’information Bulatlat.. Même avant la pandémie, les infirmiers s’occupaient de 30 à 60 patients par garde. Très loin du ratio idéal de 1 pour 12 ou de 1 pour 1 dans les services de soins intensifs.”
Un déficit accru par le nombre de soignants contaminés par le virus ou en quarantaine. Selon Bulatlat, le pays compte le plus grand nombre de décès de soignants par rapport au nombre de cas recensés de malades. Les soignants représentant 16 % des personnes contaminées : 21 docteurs et 6 infirmiers sont morts.
Un chiffre élevé dû au manque de protection mais aussi à une main-d’œuvre trop peu nombreuse contraignant les soignants à de longues heures de garde.
Épuisement et évanouissement
Pauline Buy, infirmière à l’hôpital San Lazaro, le centre national pour les maladies infectieuses, évoque dans Bulatlat “des seaux, et non pas des gouttes de sueur”, parlant de la chaleur insupportable qu’elle éprouve sous “son propre équipement de protection pour des gardes de huit à douze heures”. Elle en sort épuisée, au bord de l’évanouissement.
Selon Bulatlat, les soignants travaillent durant huit à douze heures par jour jusqu’à quatorze jours de suite.
Dans un autre article du Philippines Daily Inquirer, la sous-secrétaire au ministère de la Santé, Maria Rosario Vergeire, affirme que le recrutement de 984 soignants a été approuvé, et “15 000 autres pourraient être recrutés en vertu de l’urgence.”
Retenus au pays
Le gouvernement avait suspendu début avril le départ vers l’étranger des soignants, détaille le site internet Rappler. Une mesure qui devrait durer le temps de l’état d’urgence. Cette disposition concerne 13 professions médicales dont les médecins, les biologistes, les infirmiers et techniciens radiologues. Il en va des “intérêts nationaux” afin d’assurer le remplacement ou le renfort des soignants “déjà en première ligne”, explique le gouvernement. Seuls les personnels ayant déjà des contrats signés avec des organisations à l’étranger peuvent quitter le pays.
“Forcés de quitter le pays après s’être battus durant des décennies pour de meilleures conditions de travail, les infirmiers n’ont pas été convaincus par les explications du gouvernement”, poursuit Rappler.
Ainsi de Marj. Elle a été prise par surprise par cette mesure alors qu’elle venait d’arriver aux Philippines. Son premier retour à la maison depuis qu’elle a commencé son travail à Londres en 2019.
“Ils ne peuvent pas nous interdire de partir. C’est notre droit. J’ai travaillé ici en tant que volontaire durant six mois sans être payé. Le gouvernement n’a jamais pris en compte les infirmiers, on ne peut pas leur en vouloir de partir à l’étranger. Ici, les postes d’infirmiers sont sous-payés et mal considérés. Et maintenant ils demandent notre aide ?”
La dépendance des pays développés aux migrants
The New York Times rappelle combien la migration est ancrée dans la société philippine, où “près de 10 % de la population travaille à l’étranger, envoyant de l’argent chez eux et le poste d’infirmier est un des plus populaires. Chaque année, environ 13 000 infirmiers partent à l’étranger.”
Howard Catton, le directeur du Conseil international des infirmiers, souligne dans le New York Times combien “les infirmiers migrants ont joué un rôle très important” pour aider des pays comme l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Italie à combattre le virus.
Signe de la dépendance des pays développés envers les migrants, faute d’avoir formé leurs propres infirmiers.
Courrier International
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