Pour changer, commençons par une bonne nouvelle. Si l’accord de coalition signé par Benyamin Nétanyahou et Benny Gantz [le 20 avril] est jamais mis en œuvre, le nouveau gouvernement israélien pourrait théoriquement être une amélioration considérable par rapport à ses prédécesseurs immédiats.
Remplacer le gouvernement d’extrême droite xénophobe, nationaliste et dominé par Nétanyahou qui a gouverné Israël au cours des cinq dernières années par une coalition rationnelle de droite et de centre droit plus saine et aux pouvoirs plus équilibrés, ce n’est pas rien et, comme on dit, c’est le résultat qui compte.
À première vue, au moins, le changement envisagé est radical. Nétanyahou ne volera plus en solo. Tous ses gestes, nominations et décisions politiques nécessiteront désormais le consentement de son nouveau copilote, Gantz, et de son parti, Kahol Lavan [“Bleu-Blanc”, une coalition de centre droit]. Le cabinet du Premier ministre et les Conseils des ministres fonctionneront sur la base d’une stricte parité, ce qui pourrait, bien sûr, entraîner une paralysie sans fin.
Influence des partis ultraorthodoxes amoindrie
La “révolution constitutionnelle” inspirée par Nétanyahou et l’usurpation de la démocratie que les modérés israéliens craignaient seront pour l’instant suspendues. L’influence disproportionnée exercée jusqu’à aujourd’hui par les partis ultraorthodoxes et le lobby des colons sera diminuée.
Le nouveau centre du pouvoir, selon l’accord de coalition, résidera uniquement entre les mains de Gantz et de Nétanyahou : leurs vœux, s’ils s’accordent sur quelque chose, seront la voix du nouveau gouvernement.
D’importants portefeuilles, notamment ceux de la Défense, des Affaires étrangères et de la Justice, vont être détenus par Kahol Lavan. Les responsables étrangers, en particulier européens, qui entretiennent des contacts réguliers avec leurs homologues israéliens seront sans aucun doute soulagés de travailler à nouveau avec des ministres de centre droit expérimentés plutôt qu’avec l’équipage hétéroclite de fanatiques, de pirates et de has been de Nétanyahou.
Benny Gantz est vu comme un traître
Si la plupart des pays du monde n’étaient pas préoccupés par la lutte contre le coronavirus, ils se féliciteraient probablement du changement apparent de direction générale d’Israël. De tels espoirs pourraient néanmoins être déplacés, du moins en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien.
Avec Gantz au ministère de la Défense et Gabi Ashkenazi [ancien chef d’état-major de Tsahal] au ministère des Affaires étrangères, le nouveau gouvernement pourrait être plus enclin à mettre le feu aux poudres que celui dirigé par un Nétanyahou d’ordinaire plus prudent sur le front militaire.
L’accord stipule ainsi que Nétanyahou sera en mesure de proposer l’annexion de tous les territoires [palestiniens de Cisjordanie] adjugés à Israël par “l’accord du siècle” de Donald Trump [du 28 janvier] et d’y procéder bien avant l’élection présidentielle américaine du 3 novembre.
Pour la gauche israélienne, ou ce qu’il en reste, l’accord Nétanyahou-Gantz est cependant une abomination, et non parce qu’il devrait perpétuer l’occupation.
Les relations avec les Palestiniens, après tout, n’ont joué qu’un rôle mineur dans les trois élections israéliennes tenues l’année dernière. L’idée maîtresse de la bataille entre les camps politiques était un référendum sur la personne de Nétanyahou et son règne continu malgré trois actes d’inculpation. À cet égard, les concessions de Gantz font de lui un traître aux yeux de bon nombre de ses anciens partisans et champions de l’État de droit.
Nétanyahou va retrouver une légitimité publique
En vertu de l’accord, Nétanyahou pourra non seulement être Premier ministre tout en étant simultanément jugé pour corruption, fraude et abus de confiance. Il pourra aussi continuer à être Premier ministre, au cours des dix-huit premiers mois du gouvernement ou “Premier ministre alternatif” dans sa deuxième année et demie, même s’il est reconnu coupable des délits dont il est accusé, tant que sa procédure d’appel n’est pas définitive. Et si la Cour suprême décide que Nétanyahou est empêché d’occuper ce poste, plutôt que d’accepter le verdict, Gantz a accepté d’appeler à de nouvelles élections.
Gantz et ses collègues, qui s’étaient engagés à maintes reprises à ne jamais faire partie d’un gouvernement dirigé par Nétanyahou, lui ont maintenant accordé la légitimité publique qui lui faisait si cruellement défaut. Nétanyahou n’est peut-être pas en mesure de légiférer pour obtenir l’immunité de la Knesset et sortir de sa situation judiciaire comme il l’aurait espéré, mais son règne perpétuel est désormais frappé du sceau de ses ennemis les plus acharnés.
Nétanyahou n’a peut-être pas eu beaucoup le choix. L’option de se diriger vers une quatrième campagne électorale consécutive devenait de moins en moins attrayante de jour en jour, avec une récession économique à l’horizon en raison du confinement et des centaines de milliers d’électeurs du Likoud [le parti de Nétanyahou] sans emploi.
Gantz, en revanche, a vu son image sérieusement écornée au cours des dernières semaines, non seulement pour sa volte-face en rejoignant Nétanyahou, mais aussi pour s’être laissé dominer et manipuler durant ses négociations avec le Premier ministre sortant. Toutefois, il a arraché un accord de partage rigide du pouvoir avec Nétanyahou et a pris le contrôle de puissants portefeuilles gouvernementaux avec seulement 17 députés derrière lui, contre 59 pour le bloc de droite de Nétanyahou. Le Premier ministre aura maintenant quelques explications à fournir à son propre camp.
La haine n’a pas disparu
Cependant, malgré la signature de l’accord, de sérieux obstacles l’attendent encore. L’accord requiert des changements législatifs substantiels de la part de la Knesset, y compris des modifications des lois fondamentales constitutionnelles, qui doivent être impérativement achevées en moins de trois semaines.
Certaines modifications constitutionnelles proposées [comme celle qui crée le poste de “Premier ministre alternatif”] pourraient être contestées devant la Cour suprême, et toute intervention de la Cour pourrait entraîner un retard fatidique dans la mise sur pied du nouveau gouvernement.
Enfin, bien que présenté comme une urgence nationale face à la crise du coronavirus, ce gouvernement conjugue deux entités politiques qui se méfient l’une de l’autre et continuent de se détester comme auparavant.
Les optimistes peuvent aspirer à une nouvelle ère de conciliation et de compréhension mutuelles, mais la probabilité la plus forte est que les deux partis apporteront leurs rancœurs et leurs haines recuites au sein du Conseil des ministres et des commissions parlementaires qu’ils présideront désormais conjointement. Au lieu de l’unité nationale, Israël pourrait se retrouver avec une guerre de palais perpétuelle encore plus féroce que la lutte traditionnelle entre majorité et opposition.
Formation d’un gouvernement · Cette fois sera-t-elle la bonne ?
Le 2 mars dernier, à la suite de l’échec des différents partis à former un gouvernement de coalition après les élections organisées en avril puis en septembre 2019, les Israéliens ont voté à nouveau afin d’élire les représentants de la 23e Knesset, le Parlement du pays. Les deux principaux partis, le Likoud, du Premier ministre Benyamin Nétanyahou, et Kahol Lavan, la coalition “Bleu-Blanc” de centre droit de Benny Gantz, étaient au coude-à-coude, et c’est finalement la coalition de droite et d’extrême droite menée par le Likoud qui est arrivée en tête, sans obtenir la majorité absolue cependant.
Les négociations menées depuis par les deux rivaux ont abouti, le 20 avril, à une entente pour former un gouvernement de coalition. Ils n’avaient guère le choix : les Israéliens n’auraient pas supporté de vivre une quatrième campagne électorale en un an, alors que le coronavirus continue à se propager dans le pays.
Malgré la pandémie, des milliers de personnes sont sortis manifester le 25 avril, à Tel-Aviv, contre cet accord. Le lendemain, le parti travailliste (HaAvoda) a voté en faveur de son entrée au gouvernement d’union.
Chemi Shalev
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