Questions sur de possibles séquelles persistantes
Comme le notent les auteurs de l’article cité ci-dessous, « après une infection, sévère ou non, par le nouveau coronavirus, certains patients restent très fatigués et essoufflés. Des troubles persistants encore mal connus, que les médecins sont en train d’explorer. »
Citation : Sandrine Cabut, Pascale Santi et Elisabeth Pineau, Le Monde du 30 mai 2020 [1]
Des symptômes légers voire inexistants, mais aussi des formes graves entraînant le décès ou un long séjour en réanimation… En quelques mois, les (multiples) signes cliniques de l’infection au SARS-CoV-2 ont été identifiés. Mais, au-delà des symptômes aigus, médecins et patients découvrent toute une palette de troubles survenant plus à distance, chez des patients hospitalisés ou non. A quoi correspondent-ils, combien de malades touchent-ils et quelle prise en charge proposer ?
« On est encore dans l’inconnu. Les syndromes post-infectieux, c’est classique. Mais, avec ce nouveau virus, la littérature scientifique est quasi inexistante. Il faut structurer des recherches pour mieux comprendre », estime Yazdan Yazdanpanah, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat (AP-HP) et coordinateur de REACTing, un consortium de l’Inserm qui coordonne la recherche française pendant les épidémies.
(...)
Dans les formes traînantes ou à rechute, les patients se plaignent surtout de fatigue, de difficultés respiratoires, de tachycardie (augmentation du rythme cardiaque). « Attention au terme “rechute”, il s’agit d’une rechute des symptômes, mais très peu de ces patients ont encore une PCR positive », c’est-à-dire une charge virale, souligne d’emblée Pierre Tattevin, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Rennes.
Quoique non exceptionnels après une infection virale, comme la grippe ou la mononucléose infectieuse, ces tableaux déroutent toutefois médecins et malades. (...)
Si leur fréquence reste à évaluer, fatigue et autres symptômes persistants seraient loin d’être rares, comme le montrent les estimations de l’équipe de Rennes, qui a eu l’idée de suivre les malades de Covid non gardés à l’hôpital avec une application destinée habituellement à la surveillance de la chirurgie ambulatoire. Interrogés six semaines après l’infection, 10 % à 15 % des 400 patients de cette base ont toujours des troubles gênants. (...)
La pneumologue Lucile Sesé et ses collègues se disent également vigilants à d’autres causes d’essoufflement : embolie pulmonaire, problème cardiaque ou encore syndrome d’hyperventilation (une respiration inadaptée engendrée par l’anxiété), qu’ils ont commencé à observer chez des patients sans formes très graves. De fait, chez ces derniers, comme ceux passés en réanimation, il peut y avoir une intrication avec des troubles psychologiques allant jusqu’à un état de stress post-traumatique. « Des malades se sont vus mourir, seuls, loin de leurs proches », nuance Charles-Hugo Marquette, pneumologue au CHU de Nice. « L’anxiété peut aussi être amplifiée par les nombreux témoignages sur les réseaux sociaux, à l’instar de la maladie de Lyme », ajoute l’infectiologue Eric Caumes (Pitié-Salpêtrière). Tous les cliniciens insistent sur la prise en charge de ce volet.
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Ces symptômes pourraient-ils s’installer dans la durée ? « On va probablement voir arriver des syndromes de fatigue chronique ou de douleurs chroniques post-Covid, comme c’est le cas après d’autres infections virales, notamment à EBV [virus d’Epstein-Barr], qui est un modèle de fatigue persistante post-virale, prédit l’interniste Jean-Benoît Arlet, de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Reste à savoir dans quelle proportion, et si ces syndromes surviendront sur des terrains particuliers. »
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Dans les mois et années à venir, verra-t-on apparaître d’autres maladies inflammatoires ou auto-immunes déclenchées par le SARS-CoV-2 ? Face à un virus totalement inconnu il y a encore six mois et qui ne cesse de créer la surprise, les médecins restent modestes et prudents dans leurs prévisions. L’intérêt mondial pour cette maladie et le regroupement des cas sur quelques semaines créent cependant un effet loupe, qui laisse espérer que ces malades ne tomberont pas dans l’oubli.
Fin de citation.
La France comparée à l’Allemagne — Macronisme et Ve République
Thomas Wieder, correspondant du Monde en Allemagne, a écrit un long article sur la spectaculaire faillite sanitaire d’Etat telle que vue d’Allemagne. La comparaison éclaire quelques traits du macronisme en particulier et plus généralement l’héritage de la Ve République.
Citation, Thomas Wieder, Le Monde du 29 mai 2020 [2]
Emmanuel Macron s’est posé en chef de guerre, Angela Merkel en arbitre. Primat du politique et du chef de l’Etat d’un côté, primat du droit et du fédéralisme de l’autre, ces visions différentes s’enracinent dans l’histoire. Avec des résultats bien meilleurs pour Berlin.
Sombre tableau que celui donné de la France, ces temps-ci, par la presse allemande. « Le coronavirus met le système de santé français en état d’alerte. Comment en est-on arrivé là dans un pays qui met tant d’argent dans ce secteur ? », s’interrogeait, le 1er avril, la Frankfurter Allgemeine Zeitung, de sensibilité libérale-conservatrice.
A gauche, la tonalité est la même. « La crise du coronavirus a eu pour première conséquence le discrédit de l’Etat français, écrivait le quotidien berlinois Tageszeitung, le 2 mai. De même que la France s’était imaginée en sécurité derrière la ligne Maginot avant la seconde guerre mondiale, la majorité de ses citoyens a été éduquée en croyant à un pouvoir central protecteur. L’illusion est tombée. La France était mal préparée et n’avait pas “le meilleur système de santé du monde”, contrairement à ce qu’on lui avait dit. »
Sur la situation politique, le constat est tout aussi sombre. En France, « la cote de popularité du président a baissé davantage que dans les autres pays d’Europe durement touchés », observait le Spiegel, le 15 mai. Pour expliquer cette singularité, l’hebdomadaire allemand évoquait trois éléments : un sentiment largement partagé de « déclassement », lié au nombre particulièrement élevé de morts du Covid-19 en France ; les « sombres pronostics économiques » d’un pays menacé de voir son PIB reculer de « plus de 8 % cette année » ; et enfin, les institutions de la Ve République.
« En France, le président est responsable de tout, il a plus de pouvoir que la plupart des chefs d’Etat européens, et c’est lui seul qui rend des comptes. Or cette verticalité du pouvoir ne pose aucun problème à Macron : c’est quelqu’un qui aime décider. Sauf qu’aujourd’hui, en pleine crise, cela se retourne contre lui », analysait le Spiegel dans cet article au titre cinglant : « Faire le show et de grands gestes : cela n’est plus possible. »
En témoigne une étude réalisée par l’IFOP, les 28 et 29 avril, dont les résultats sont édifiants. A la question : « Quel pays est le mieux placé et préparé pour répondre aux enjeux des prochaines décennies ? », l’Allemagne arrivait largement en tête (32 %), devant la Chine (13 %) et la France (7 %). Et à la question : « Quel dirigeant agit le plus dans l’intérêt de son peuple ? », c’est Angela Merkel qui était citée en premier (39 %), devant Emmanuel Macron (14 %) et Vladimir Poutine (7 %).
Comme le rappelle Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies d’entreprises » à l’IFOP, ce « complexe d’infériorité des Français vis-à-vis de l’Allemagne n’est pas nouveau ». Mais avec la crise du coronavirus, il a changé d’objet. « Jusque-là, il y avait l’idée que l’Allemagne était plus performante sur le plan économique, mais que la France avait un meilleur système de santé. Cette fois, les Français ont eu l’impression que, même sur un terrain où ils se sentaient supérieurs, les Allemands faisaient mieux qu’eux. C’est une humiliation terrible, un peu comme en 1940, quand la France pensait avoir la meilleure armée du monde et qu’elle a été défaite en six semaines par les Allemands », explique Jérôme Fourquet.
(...) Selon la dernière vague du baromètre de classement des institutions, réalisée du 4 au 14 mai par l’institut Forsa, 76 % des personnes interrogées font confiance au président de la République Frank-Walter Steinmeier, soit 3 points de plus qu’en janvier. Pour la chancelière, Angela Merkel (72 %), la progression est de 20 points en quatre mois. S’agissant du gouvernement fédéral, soutenu par 60 % des électeurs, la hausse est de 26 points depuis le début de l’année.
« Dans cette crise, Merkel a endossé un rôle que les Allemands adorent depuis l’époque de l’Empire, celui de l’expert non politique (unpolitischer Fachmann), du technicien qui gouverne au-dessus des partis. Or c’est un habit qu’elle a revêtu d’autant plus naturellement qu’elle est elle-même physicienne de formation. Elle était dans son élément, et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquels les Allemands lui ont fait confiance », analyse le journaliste et essayiste Nils Minkmar, chroniqueur au Spiegel.
Ici, le contraste avec Emmanuel Macron est saisissant. Au moment où la chancelière allemande décidait d’affronter le coronavirus en scientifique, le président français choisissait, lui, de le combattre en chef de guerre. Dans son allocution du 16 mars, d’abord, en martelant à six reprises la formule « nous sommes en guerre », sonnant l’heure de la « mobilisation générale » et appelant ses concitoyens à « l’union sacrée ». Neuf jours plus tard, en se rendant à Mulhouse pour y visiter un hôpital de campagne tout juste déployé par l’armée. Enfin, en systématisant les réunions du « conseil de défense » à l’Elysée, quinze déjà depuis le 22 février, pour en faire l’instance suprême de tous les arbitrages décisifs.
Objet de vives discussions en France, le choix de cet imaginaire martial a également suscité des réserves en Allemagne. « Ceux qui ont connu la guerre seront contents d’apprendre qu’on s’en protège en se lavant les mains », tweetait Jasper von Altenbockum, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, quelques minutes après l’allocution télévisée du président français, le 16 mars. « M. Macron se ridiculise. (…) Les réfugiés d’Idlib seraient sans doute ravis d’avoir affaire à une guerre comme celle-là », écrivait, le lendemain, l’éditorialiste Markus Decker, du groupe de presse RedaktionsNetzwerk Deutschland. « Non, cette pandémie n’est pas une guerre. Ce ne sont pas des nations qui s’affrontent, des soldats qui se combattent. Cette pandémie met à l’épreuve notre sentiment d’humanité », déclara quant à lui le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier, le 11 avril, à la télévision.
Pour Thomas Gomart, directeur de l’Institut français de relations internationales (IFRI), les postures opposées du président français et de son homologue allemand sont bien plus que des choix rhétoriques. « On touche ici à une différence fondamentale de culture politique entre la France et l’Allemagne. En parlant de guerre, Macron n’a pas fait que de la com’. Il est véritablement revenu à la matrice politico-militaire de la Ve République, un régime né de la guerre d’Algérie et fondé par un général hanté par l’idée d’éviter un nouveau juin 1940. Tout ça est à l’opposé de la culture politique allemande contemporaine qui, après 1945, s’est précisément construite sur le rejet de la guerre et de tout imaginaire militaire », analyse Thomas Gomart.
Deux cultures politiques fondamentalement étrangères l’une à l’autre, donc. Mais aussi deux systèmes institutionnels totalement différents. Voilà ce qu’aura également mis en lumière cette crise, qui a souligné presque jusqu’à la caricature le fossé existant entre le centralisme à la française et le fédéralisme à l’allemande. (...)
Au-delà des « différences d’approche et de tempérament » entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, c’est cette donnée structurelle qui a voué à l’échec, selon lui, l’appel à l’« union sacrée » lancé par le chef de l’Etat à la veille du confinement. « Il ne peut pas y avoir de consensus quand les décisions sont prises par un homme seul hors de tout espace d’intermédiation. C’est le problème de la Ve République : un président au centre de tout et une opposition qui n’a qu’un but, lui tirer dessus quoi qu’il fasse en pensant à le renverser à la prochaine présidentielle », déplore Matthias Fekl.
A l’inverse, en plaçant Angela Merkel dans une position d’arbitre, le fédéralisme allemand aura, durant les dernières semaines, beaucoup plus contribué à la protéger qu’à la fragiliser. Bien davantage qu’entre elle et les autres, le débat s’est essentiellement fait entre barons régionaux, parfois à l’intérieur d’une même famille politique.
(...)
Fervente avocate d’une « République européenne », projet qui lui a inspiré un récent manifeste coécrit avec le romancier autrichien Robert Menasse, Ulrike Guérot estime que l’Europe n’a rien à gagner à voir une France s’enfoncer un peu plus dans la colère et l’autodénigrement et une Allemagne, à l’inverse, se laisser gagner par l’autosatisfaction. Un symptôme que traduisent les derniers sondages, où la CDU d’Angela Merkel frise à nouveau les 40 % d’intentions de vote, soit une dizaine de points de plus qu’au début de l’épidémie.
Lire aussi La France et l’Allemagne proposent un plan de relance européen de 500 milliards d’euros
De ce point de vue, la politologue ne s’avoue qu’à moitié rassurée par le plan de relance à 500 milliards d’euros présenté, le 18 mai, par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Certes, dit-elle, cette proposition est un signe « positif », mais elle ne doit pas faire illusion. « Comme chaque fois que l’Europe est face à une menace existentielle, l’Allemagne fait juste ce qu’il faut comme geste pour sauver le système tel qu’il est. Au-delà de cette initiative bienvenue, je vois déjà le renforcement d’une bonne conscience allemande, nourrie par l’idée que si l’épidémie de Covid-19 a moins touché l’Allemagne, c’est parce qu’elle est la meilleure et qu’il n’y a donc rien à changer », estime Ulrike Guérot.
La lecture faite, des deux côtés du Rhin, du plan Macron/Merkel va dans ce sens. Là où Paris a d’abord voulu voir une victoire française dans le consentement d’Angela Merkel au principe d’une mutualisation des dettes, Berlin y a plutôt vu le contraire. Ce que Die Welt a cruellement résumé, le 20 mai, en titrant : « Seule la faiblesse de la France rend possible le moment “Mercron”. »
Fin de citation.
Un personnel politique falot et la politique spectacle
Comme le note très justement l’article cité ci-dessus, la Constitution de la Ve République est née dans le contexte de la guerre d’Algérie (et comme il ne le précise pas, via un coup d’Etat légalisé a posteriori sous la pression de l’armée imposant De Gaulle). Ce qui fait de cette Constitution la moins démocratique d’Europe occidentale avec l’Espagnole (née, elle, d’un compromis avec le franquisme). Or, le macronisme accentue encore son caractère présidentialiste et liberticide – alors que Macron lui-même s’avère bien incapable d’endosser l’habit du Chef dont il rêve.
Emmanuel Macron n’est que le major d’homme de la Maison France. Sa mission est d’assurer la domination directe du capital sur la société, en initiant un véritable changement de régime politique. Mal élu et trop confiant, il a provoqué une succession de crises politiques et sociales avec, pour dernière épreuve, la crise sanitaire.
Dès le départ, on sentait à quel point le personnage était superficiel, dans le spectacle et la posture. Du Je vous aime de la campagne électorale au Jupiter de ses lendemains. Il n’avait pas le sens du ridicule, comme quand il a remonté des Champs Elysées en command car militaire, à côté d’un chef d’état-major qu’il licenciait.
Le changement permanent d’image montre un homme sans conviction ni épaisseur. Un jour, il assure que porter un masque serait contraire à la dignité présidentielle — l’imbécile ; d’autres chef.fes d’Etat l’on fait pour que le message de prudence soit clair. Puis, il en met un le temps de vanter la production française du tissu « Grand public ». Quand il parle culture, il retire soudainement sa cravate, remonte ses manches, place deux verres, deux tablettes, des papiers en désordre devant lui. Le spectacle encore, mais il se trompe de pièce. Tantôt chef de guerre, tantôt homme qui doute...
Son fidèle ministre de l’Intérieur Castaner s’est rendu le 16 mai sur une plage de Seine-Maritime. Première séquence télévisée (en l’occurrence sur BFM), il porte un masque, ainsi que son entourage. Je me dis, pour une fois, il assume le message. Illusion ! Séquence suivante : il surplombe sans masque une rangée de jeunes enfants. On imagine la pluie de postillons sur la tête des chérubins. Troisième séquence, il fait venir l’un d’entre eux à ses côtés, l’enlace et lui fait une bise, comme en campagne électorale. Distance de sécurité ? Zéro mètre, zéro centimètre. Postillons : dose maximale assurée.
Au fait, savez-vous pourquoi Castaner était venu sur place ? Pour vérifier que les règles de comportement sur les plages (mobilité...) étaient respectées.
De quoi se sent responsable la macronie ?
Un clin d’œil aux ornithos
On savait bien avant mars 2020 (suite) : la pénurie de médicaments
De nombreuses alertes avaient été lancées ces dernières années, notamment par des par des collectifs de médecins / chercheurs et des associations de pharmaciens, sur le risque de pénurie de médicaments en France, un pays pourtant supposé être un poids lourd du secteur pharmaceutique. On savait donc depuis des années que ce qui s’est passé cette année allait se produire, avec des conséquences particulièrement dramatiques. Pauline Londeix et Jérôme Martin expliquent pourquoi et proposent un plan santé alternatif (sur lequel on reviendra ultérieurement).
Citation : Pauline Londeix et Jérôme Martin, AOC, 27 mai 2020 [3]
La France est l’un des premiers pays du monde pour le secteur pharmaceutique, notamment grâce aux investissements publics dans la recherche et le développement. Comment comprendre alors qu’elle ait été aussi durement frappée par les pénuries, au moment de répondre à l’épidémie de Covid-19 ? Sans doute d’abord parce que la chaîne de production est essentiellement gérée par des acteurs privés, qui possèdent les brevets, prônent la délocalisation, et paient des dividendes à leurs actionnaires. Ces incohérences devraient être combattues, par une reprise en main par l’État de la production de médicaments.
Certes, l’explosion mondiale de la demande en médicaments de réanimation joue un rôle indéniable. Mais l’incapacité des pouvoirs publics à y faire face rapidement montre bien que le Covid-19 n’est qu’un facteur supplémentaire, et non la cause profonde. Le problème est structurel. L’État a non seulement échoué à y répondre, mais il a même laissé le phénomène s’aggraver. En 2008, les autorités sanitaires recensaient 44 tensions de médicaments dans l’année, dix ans plus tard, elles en comptabilisaient 869[1].
Concrètement, pendant la première vague d’hospitalisations liée au Covid-19, ces pénuries et tensions ont conduit à une dégradation du standard de soins pour les patient·es, à une remise en cause du droit de mourir dans la dignité, et placé les soignant·es dans des situations très difficiles. Non seulement, le personnel a dû gérer des situations exceptionnelles créées par une maladie nouvelle, mais il était aussi sans cesse contraint de s’adapter à la pénurie, qui ne s’est pas limitée aux médicaments (sur-blouses, remplacées par des sacs poubelles, masques, tests) et qui a engendré de nombreux dilemmes éthiques insupportables. La crise du Covid-19 a contribué à les porter au grand jour.
Comment en est-on arrivés là dans un pays qui se présente comme un pays majeur du secteur pharmaceutique mondial ? La réponse est à chercher dans le circuit d’approvisionnement des médicaments, la « chaîne de valeur » et de production des médicaments, qui pour répondre à des intérêts privés, a été externalisée. Dans ce système que l’on dit « incité » par des acteurs privés, le secteur public intervient pourtant financièrement et de façon importante, en aval en payant les factures de médicaments à travers l’Assurance maladie ; et en amont en contribuant à la recherche. Malgré cette intervention centrale, l’État a renoncé à réguler ce système dit « privé », et s’est même dépossédé de nombreux outils de régulation.
(...)
[R]ien n’a été fait pour réformer en profondeur un système opaque qui n’arrive pas à pourvoir à nos besoins en santé et à répondre de façon réactive à une crise sanitaire grave lorsqu’elle se présente.
Des risques publics et des profits privés
Ce système, c’est celui d’une privatisation de la chaîne du médicament[6] qui s’est progressivement mise en place au cours des trois dernières décennies. Il inscrit la recherche, le développement, la production et la distribution des produits de santé dans des logiques de profits et de rentabilité à court terme. Ainsi, l’ensemble des médicaments qui ne sont plus considérés comme assez rentables, même s’ils sont indispensables, sont délaissés par ce secteur, qui ne cherche que la maximisation des profits à travers le dépôt de brevets.
Mais brevet n’est pas synonyme d’innovation. Sanofi en détient sur l’insuline, découverte il y a plus d’un siècle, et sur lesquels ses inventeurs ne voulaient pas que des profits soient réalisés. Ce même laboratoire a déposé des demandes de brevets sur une combinaison de deux antituberculeux, l’isoniazide et la rifapentine, vieux de plusieurs décennies (Sanofi n’en a découvert aucun des deux), dont l’un n’a jamais été breveté et dont l’autre est tombé dans le domaine public. L’intérêt thérapeutique de la combinaison était par ailleurs déjà connue, mais Sanofi cherche désormais à breveter de nouvelles formes adultes et pédiatriques de cette combinaison, dont la non-toxicité a été démontrée grâce à… de l’argent public.
(...)
[L]e système des brevets, censé récompenser [l]e risque et [l’]investissement, s’est transformé en jeu de dupes dont nous sommes doublement victimes. Le régulateur public consent à ce que l’Assurance maladie rembourse des médicaments à des tarifs exorbitants, prétendument justifiés par un risque qui n’a jamais été aussi élevé que le prétend l’industrie pharmaceutique, du fait des contributions publiques à la recherche. Nous payons les médicaments au moins deux fois, et très cher : une fois pour les aides diverses à la recherche, une fois par le remboursement. Nous sommes ainsi dépossédés de NOS médicaments.
L’ampleur de ce racket est difficile à évaluer, tant le système qui le favorise est opaque. Mais les exemples documentés attestent de cette réalité et invalident les justifications de l’industrie pharmaceutique sur son incapacité à faire face aux pénuries de médicaments et de produits de santé. Selon elle, ce seraient le prix trop faible des médicaments génériques vendus, le manque de soutien public ou d’incitations fiscales, qui seraient les causes profondes des pénuries de médicaments. Le PDG de Sanofi est capable de tenir un tel discours sur un plateau télévisé[8] tout en annonçant reverser, en pleine crise sociale liée au COVID-19, quatre milliards de dividendes à ses actionnaires.
(...)
Fin de citation.
* * * *
Les Guignols de l’Info et l’implacable logique marchande de Big Pharma
Cette logique a bien été parfois poussée à son terme, comme l’a montré le scandale de l’insuline (brusquement hors de prix) aux Etats-Unis. Faut-il rire ou pleurer ?
L’enjeu
Une crise globale, systémique, sans précédent
Citation : Daniel Tanuro, 18 mai 2020 [4]
La crise du Coronavirus est sans précédent. Elle ne peut être saisie ni comme crise sanitaire, ni comme crise socio-économique, ni même comme combinaison des deux mais seulement dans sa réalité de crise globale, à la fois sanitaire, sociale, économique et écologique, c’est-à-dire systémique. Cette crise est en fait la première crise vraiment totale, la première crise de l’Anthropocène. A ce titre, elle marque un tournant historique d’une importance majeure et place l’humanité plus clairement que jamais devant un choix de civilisation fondamental : écosocialisme ou barbarie.
(...) Le COVID-19 n’est donc pas une malédiction qui nous ramène à la Peste noire et autres fléaux sanitaires des temps anciens, il nous projette au contraire dans les pandémies du futur. Quand bien même le virus disparaîtrait, quand bien même un vaccin serait mis au point (il n’y a à ce sujet aucune certitude, le VIH et l’hépatite C en attestent !), d’autres pandémies surviendront aussi longtemps que les mécanismes qui sont responsables de celle-ci n’auront pas été éradiqués.
Le mode de propagation du virus est lui aussi marqué au sceau des traits fondamentaux du capitalisme contemporain. En effet, la vitesse avec laquelle la maladie s’est répandue à la surface du globe ne tient pas seulement aux caractéristiques intrinsèques du SAS-CoV2 (une létalité inférieure à celle du SARS1, liée à une contagiosité élevée). Elle découle aussi, de façon déterminante, de la globalisation et de la densité des échanges aériens extrêmement rapides le long des chaînes de valeur qui relient les mégapoles de la production capitaliste. Sans cet élément déterminant, l’épidémie ne se serait sans doute pas muée en pandémie.
Au sein de ces mégapoles, la contagion a évidemment été favorisée par la densité des populations. Mais ce facteur n’est pas absolu, il doit être saisi en liaison avec deux autres paramètres. Le premier est la croissance des inégalités sociales. (...) Le deuxième paramètre est la pollution atmosphérique [vu la] corrélation entre la densité de l’air en particules fines, les maladies respiratoires qui en découlent, et les dégâts du virus.
(...)
La pandémie (et sa gestion !) sont en train de précipiter le déclenchement d’une crise socio-économique dont l’ampleur dépassera à coup sur celle de 2008, et pourrait même se rapprocher de celle de 1929. Mais l’analyse du phénomène ne peut être strictement quantitative. Qualitativement, en effet, cette crise est à nulle autre pareille. Certes, elle intervient dans un contexte général et très classique de surproduction capitaliste, déjà bien tangible avant décembre 2019. Mais, à la différence d’une crise classique, la destruction de capitaux excédentaires ne suffira pas, ici, à rétablir les profits pour assurer la relance de la machine. Le virus, en effet, est beaucoup plus qu’un simple déclencheur : tant qu’il ne sera pas mis hors d’état de nuire, il grippera les rouages.
En d’autres termes, le retour à « la normale » pourrait rester impossible pendant un laps de temps indéterminé… sauf au prix de l’élimination de millions d’êtres humains parmi les plus faibles, les plus âgés, les plus pauvres, les malades chroniques. L’extrême-droite n’hésite pas à opter pour cette « solution », comme le montrent les manifestations contre le confinement aux Etats-Unis et en Allemagne, ainsi que les déclarations de Trump et Bolsonaro. A nous, écologistes conscient.e.s du fait que le retour à la « normalité » est une impasse mortelle, d’en tirer la conclusion : le capitalisme ne s’effondrera pas de lui-même, il nous faut concrétiser dans les luttes le choix entre un écosocialisme qui prend soin des humains comme des non-humains et la plongée dans la barbarie.
Daniel Tanuro
Fin de citation.
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