De cette crise sanitaire et économique globale, on a souvent dit qu’elle avait mis en évidence tous les problèmes structurels que les sociétés du capitalisme avancé rencontraient déjà ces dernières années : restructuration drastique des secteurs publics, avec de fortes baisses de ressources (lits, emplois, qualité des soins...), précarisation accrue des conditions de travail et aussi celle des droits, durcissement des lois sur la sécurité et l’immigration. C’est justement sur ces thèmes – et en ces premiers jours de « réouverture » du pays – que la volonté de lutte de quelques-uns des secteurs les plus touchés, même symboliquement, par la crise provoquée par le coronavirus, semble s’être réveillée.
Mobilisations des travailleurEs agricoles
Le premier de ces secteurs, le plus clandestin et le plus désespéré, c’est celui de la main-d’œuvre agricole du Sud, où des milliers d’hommes et de femmes extra-communautaires travaillent dans des conditions inhumaines, sous-payés et risquant en permanence d’être expulsés d’Italie, surtout après les décrets sur l’immigration de Salvini (que le gouvernement actuel n’a jamais songé à retirer ni à modifier). En ces mois de Covid-19, il est devenu évident que l’agriculture italienne, intensive et industrialisée, ne tient que grâce à ces exploitéEs et que, sans elles et eux, la situation deviendrait très problématique. Le gouvernement, pour résoudre le problème, a promulgué un décret qui ne résout en réalité rien, et les travailleurEs agricoles se sont mis en grève le 21 mai revendiquant, entre autres, la régularisation définitive de leur présence en Italie et des salaires dignes de ce nom. À Foggia (l’un des centres agricoles les plus importants du Sud), ils se sont mobilisés contre la régularisation « temporaire » voulue par le gouvernement, pour la reconnaissance de l’entièreté de leurs droits et de leur dignité. Simultanément, dans une vingtaine d’autres villes (parmi lesquelles Turin, Brescia, Crémone, Piacenza, Rimini, Livourne, Rome, Caserte, Reggio Calabria), se sont tenus des rassemblements lors desquels on a déposé des cageots de légumes devant les préfectures, comme symboles du travail invisible.
Santé et éducation mobilisées
Quelques jours après, les travailleurEs de la santé sont descendus dans la rue et ont décidé une journée de lutte nationale pour le 27 mai : malgré les bavardages médiatiques sur les « héros » du coronavirus, tous les problèmes de la santé publique italienne sont non seulement toujours là mais le gouvernement – après les belles paroles et les promesses d’il y a quelques semaines – n’a aucunement l’intention de modifier les politiques de réduction des dépenses ni de procéder aux embauches massives qui sont nécessaires.
Et le samedi 23 mai, dans presque vingt villes, les enseignantEs, les familles et les élèves se sont mis en mouvement, appelés par la plateforme « Priorité à l’école ». Une journée qui, bien qu’elle ait été réduite par les journaux à une mobilisation pour rouvrir les écoles « en toute sécurité » en septembre et contre l’enseignement à distance, était en réalité un moment où les revendications ont été beaucoup plus larges : de la régularisation immédiate et sans entourloupe des précaires à la qualité de l’instruction publique, frappée depuis des années par des restrictions budgétaires, des privatisations déguisées, par la précarité du travail et par les bas salaires. En somme, on commence à régler les comptes.
Bien que se mobiliser « en vrai », après tout ce qui s’est passé et après les interdictions, ne soit pas facile, ces premières luttes ont eu une assez grande importance et elles ont eu un écho médiatique non négligeable. Mais un autre fait retient l’attention : ce sont des mobilisations appelées par des organisations syndicales de base, Cobas [2] et USB [3], avec la participation des secteurs les plus critiques de la CGIL [4]. Les grandes confédérations syndicales sont les grandes absentes de ces mobilisations.
Fabrizio Dogliotti