De Rome,
La crise du gouvernement italien a été révélatrice et bénéfique. Le fait qu’elle ait éclaté quatre jours à peine après la manifestation de Vicence (lire Rouge n° 2195. Sur ESSF : Italie : Prodi vire la gauche radicale - une tribune de Franco Turigliatto) a été volontairement passé sous silence. La véritable raison de cette crise est la déception de ceux qui ont permis la victoire électorale de 9 avril dernier : les travailleurs et les travailleuses, le mouvement pacifiste, les communautés en lutte. À leurs attentes, il a été répondu par une politique économique et sociale désastreuse qui, au lieu d’abolir les lois berlusconiennes sur le travail et sur l’immigration, s’est consacrée à « réformer » les retraites et n’a pas tenu compte de promesses faites durant la campagne électorale visant à créer un Pacs.
Avec Vicence, s’est produite la première rupture vis-à-vis du gouvernement et des forces qui le soutiennent. Une désillusion qui, heureusement, a pris la forme d’une mobilisation populaire. Ce n’est pas par hasard, si cette dernière s’est développée en dehors des enceintes du Parti de la refondation communiste (PRC) [1] et souvent contre celui-ci. Il existe une dynamique anti-institutionnelle qu’il faut chercher à comprendre et qui met à nu l’aspect refoulé de la crise du politique : la politique est tournée vers elle-même et est incapable de changer la vie des gens.
Ce qui s’est passé à Vicence n’a pas fait bouger le gouvernement mais a eu de profonds effets dans la gauche et le PRC. Ce n’est pas un hasard si le PRC se retrouve dans le plus mauvais état après cette crise. Non pas à cause du comportement de Turigliatto, mais à cause de la position intenable du parti « dans le gouvernement et en lutte contre le gouvernement ». Le front modéré de l’Union de Prodi a exigé la clarté sur cette question, à l’occasion du débat sur la politique étrangère, en imposant au PRC de choisir. L’erreur du PRC est d’avoir choisi le soutien au gouvernement en faisant le silence sur la manifestation de Vicence, d’avoir préféré le maintien d’une alliance politique à la netteté sur le contenu.
C’est à ce chantage et à ce piège que le courant Gauche critique du PRC, tout comme Franco Turigliatto, ont répondu. Le PRC a préféré exclure Turigliatto plutôt que de regarder en face la réalité de la crise qui l’étrangle. En se concentrant sur la question de la rupture de discipline, il refuse de prendre en compte le contenu, qui faisait pourtant partie de son programme : le refus de voter la guerre !
On peut voir, dans cet événement, la faillite de la ligne adoptée lors du dernier congrès du PRC. Au départ, l’analyse du rapport de force dans le pays a fait dire : « Le vent a tourné, nous pouvons aller au gouvernement, portés par la mobilisation. » Et cela conduisit à se retrouver dans un gouvernement assiégé par toutes les droites du monde (les États-Unis, le Vatican et le patronat). Une situation qu’un gouvernement véritablement de gauche (Chavez) aurait pu gérer avec le soutien d’une mobilisation populaire, mais pas un gouvernement prisonnier d’un secteur significatif de la bourgeoisie italienne. Depuis qu’elle est au pouvoir, l’Union s’est pratiquement toujours opposée aux mobilisations, comme l’a montré son attitude à propos de Vicence (et demain probablement les luttes contre le train à grande vitesse et les retraites).
De tout cela, le groupe dirigeant du parti devrait tenir compte en convoquant un congrès extraordinaire plutôt que de s’engouffrer sur le chemin des expulsions pour désaccord. La Gauche critique a déclaré qu’elle ne pouvait pas accepter l’expulsion de son dirigeant et elle se solidarise avec tous ses choix. Nous sommes conscients que s’ouvre une phase nouvelle et nous ne savons pas quelle en sera l’issue. Notre seule certitude est que nous ne nous démobiliserons pas et que nous ne cesserons pas de défendre les mobilisations.
Note
1. Le PRC participe au gouvernement tout en critiquant sa politique.