“Révolutionnaire” n’est pas un mot qui revient souvent dans la bouche d’Angela Merkel. Pourtant, le 8 mars, Journée internationale des femmes, c’est ce terme que la chancelière allemande avait employé pour décrire le changement observé dans l’attitude des hommes pour concilier travail et famille. Le phénomène est loin d’être insignifiant dans un pays qui tourne encore en ridicule les Rabenmütter (“femmes corbeaux”), des femmes qui négligeraient leurs enfants pour privilégier leur carrière. Mais il existe un autre domaine dans lequel l’Allemagne est à la traîne pour assurer l’égalité : celui des salaires.
Les disparités les plus importantes en Europe
Le salaire horaire moyen des Allemandes est de 17,09 euros, soit 21 % de moins que les 21,60 euros de leurs homologues masculins. Parmi les pays de l’Union européenne, seule l’Estonie a un écart plus important. Mais les chiffres bruts peuvent être trompeurs. Lorsqu’on prend en compte des facteurs comme le secteur, les qualifications ou l’âge, la disparité tombe à 6-7 %. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois peu rémunérés dans les services : elles occupent par exemple les deux tiers des postes de vente. Près de la moitié des femmes actives travaillent à temps partiel (contre 9 % des hommes) et ont donc moins de chances de gravir rapidement les échelons. Selon Katharina Wrohlich, de l’Institut allemand de recherche économique, certains pays ayant des écarts de salaires moins importants, comme l’Italie, comptent beaucoup moins de femmes actives. Les femmes peu rémunérées tirent la moyenne vers le bas (celles qui n’ont pas de revenus ne sont pas prises en compte).
Mais ces chiffres corrigés omettent eux-mêmes un facteur. Les choix de carrière et de temps partiel sont certes personnels, mais ils sont influencés par la fiscalité et les prestations sociales, la politique d’éducation et de garde des enfants et les normes sociales. Le fait d’introduire le principe “à travail égal, salaire égal” ne suffirait pas à engendrer une diminution de la présence masculine dans les conseils d’administration ni une augmentation du nombre de femmes dans les secteurs qui paient bien.
Des écarts plus marqués à l’Ouest
Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, la disparité de salaires non corrigée entre les hommes et les femmes est minime. Dans certaines régions, les femmes sont même mieux payées. Ce phénomène s’explique en partie par l’absence de géants industriels dans l’Est. Les écarts les plus marqués s’observent dans les États dynamiques de Bavière et de Baden-Württemberg, dans le sud du pays, où les hommes occupent la plupart des emplois techniques et gestionnaires bien rémunérés. Dans l’Est, le secteur public, où les femmes sont plus représentées, compte davantage d’effectifs.
Il y a également un facteur historique. L’ancien régime communiste a encouragé les femmes à travailler à l’extérieur et lancé une tradition de garde des enfants qui est toujours présente. Les Allemandes de l’Est ont longtemps été plus enclines à travailler que celles de l’Ouest, même si les chiffres tendent à se rapprocher aujourd’hui.
La maternité encore pénalisée
La disparité des salaires a pratiquement disparu pour les travailleurs à plein temps de moins de 30 ans, l’âge moyen auquel les femmes ont leur premier enfant, mais elle n’a pratiquement pas changé depuis trois décennies pour ceux de plus de 40 ans. La pénalisation professionnelle de la maternité est plus forte en Allemagne que dans beaucoup d’autres pays riches : dix ans après sa première maternité, l’Allemande moyenne gagne près de deux tiers de moins qu’auparavant, une chute beaucoup plus marquée que dans des pays dotés de meilleurs services de garde des enfants tels que la Suède ou la France. La fiscalité et les pratiques d’éducation, comme la fermeture de certaines écoles dès midi, poussent un grand nombre de femmes à prendre un emploi à temps partiel.
L’Allemagne est en train de changer. Depuis 2013, l’État offre des services de garde pour les enfants de plus de 1 an (même si trouver un établissement peut s’avérer un véritable parcours du combattant). Le salaire minimum, créé en 2015, a considérablement aidé les femmes. Les nouvelles règles de transparence obligent les grandes entreprises à expliquer leur politique salariale au personnel. Mais il reste beaucoup à faire, notamment pour amener les hommes à assumer une plus grande part des tâches parentales : seuls 36 % des hommes allemands prennent un congé de paternité. La révolution est loin d’être achevée.
The Economist
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