Les relations diplomatiques indo-népalaises sont actuellement au plus bas. Bien sûr, la montée des tensions entre les deux pays était évidente depuis un certain temps. Elle est due à la récente construction d’une route carrossable par le gouvernement indien en direction de la frontière chinoise, à travers la zone de Lipulekh, non loin de la zone contestée de Kalapani à la frontière indo-népalaise.
L’Inde prétend que les travaux visent à réduire d’au moins trois jours le voyage des pèlerins en route pour Kailash-Mansarovar, au Tibet. Le gouvernement népalais a protesté, alléguant que New Delhi avait construit la route en violant la frontière du Népal.
Un certain nombre de protestations anti-indiennes ont eu lieu dans tout le Népal, en particulier dans la capitale Katmandou. Le Premier ministre népalais, KP Oli, a menacé d’envoyer un renfort de troupes dans la zone frontalière contestée. Peu de temps après, le gouvernement népalais a publié une nouvelle carte où cette région est partie intégrante du territoire népalais.
Litige frontalier
Examinons ces revendications et contre-revendications, sans pour autant en faire l’essentiel. Selon le point de vue indien, cette route en direction du Tibet traversant la région de Lipulekh a toujours existé et l’accord entre l’Inde et la Chine de 1954 la mentionne comme l’un des centres du commerce frontalier. Un autre accord commercial Inde-Chine en 2015 l’a également réitéré. Cette route est utilisée pour se rendre au Tibet à pied depuis 1981, lorsque la Chine a rouvert le Kailash-Mansarovar aux pèlerins indiens.
D’autre part, le Népal affirme que cette région fait partie de son territoire selon le traité de Sugauli signé le 2 décembre 1815 et ratifié le 4 mars 1816. Cet accord centenaire entre la Compagnie des Indes orientales (East India Company) et le roi du Royaume du Népal a délimité ce que nous connaissons actuellement comme la frontière indo-népalaise. Il a été décidé que le Népal serait situé sur la partie orientale de la rivière Kali et l’Inde sur la partie occidentale. Le problème réside dans la localisation de la source du fleuve, un fait qui a compliqué la question jusqu’à la situation présente.
Le Népal avait déjà écrit aux deux pays pour protester contre l’accord commercial Inde-Chine de 2015 qui avalisait les revendications indiennes sur ce territoire, mais le gouvernement indien n’a pas répondu à leur demande. Katmandou a réitéré ses protestations en 2019 après la publication d’une nouvelle carte politique et géographique indienne incluant cette région ; cependant, l’Inde n’a encore une fois pas réagi. On ne peut pas nier que le gouvernement Modi fait inutilement traîner cette question, alors même qu’au début de l’impasse actuelle, début mai, le gouvernement népalais a exigé des pourparlers sur la délimitation des frontières. Le ministère indien des Affaires étrangères a rejeté la question sous prétexte du confinement dû à la pandémie actuelle.
Pour défendre sa position, le gouvernement Modi a efficacement utilisé ses laquais dans les médias pour déconsidérer son voisin. Tout d’abord, il a affirmé que KP Oli, le Premier ministre népalais, a du mal à conserver son poste en raison des troubles politiques internes du Népal et, surtout, en raison des luttes de factions au sein du Parti communiste népalais. Il se serait saisi de ce conflit frontalier pour jouer sur l’ultranationalisme afin de consolider sa position. Il aurait voulu ensuite en faire une mise en scène anti-Chine en tentant de prouver que des manœuvres de Pékin sont la cause profonde de ce conflit frontalier inutile avec l’Inde.
L’actuel gouvernement du PK Oli est arrivé au pouvoir en 2018 porté par une profonde vague populaire, elle-même suscitée par les énormes attentes du peuple népalais. Cependant, le désenchantement a suivi la victoire, le nouveau régime mettant en œuvre des politiques néo-libérales, au sommet de leur impopularité. Elles ont en effet rendu la vie gens ordinaires bien difficiles dans le pays.
Néanmoins, ne nous laissons pas tromper par ces justifications que l’actuel régime indien cherche à exploiter pour cacher sa propre faillite. C’est en effet précisément ce que veut faire le gouvernement Modi. Il utilise ce prétexte pour diffuser, distraire et détourner l’opinion publique alors que tout le pays souffre d’une crise sanitaire aiguë, exacerbée par la pandémie, et aussi d’une crise économique qui ne voit pas de lumière au bout du tunnel. Une évaluation critique des communistes népalais et de leur politique est certes urgente, mais pas sur les traces de Modi et de ses équipes de majorettes, les médias indiens.
Le Népal occupe une place importante dans les plans d’exportation de capitaux de la Chine. La Chine investit massivement dans les pays dans des secteurs tels que les grands barrages, les aéroports, la construction de routes, etc. Elle est une partenaire important de l’initiative chinoise dite « Les nouvelles routes de la soie » ou « la Ceinture et la Route ». C’est un projet de grande envergure qui vise à construire des infrastructures sur trois continents et à établir des zones et des corridors économiques internationaux. L’Inde et la Chine sont toutes deux en concurrence pour le marché népalais, mais malgré toute cette agitation, les investissements indiens au Népal sont toujours beaucoup plus importants que ceux de leurs homologues chinois. En outre, il n’existe aucune preuve directe de l’implication de la Chine dans ce conflit frontalier. Au lieu de cela, la Chine a clairement indiqué dans une déclaration officielle que la question est bilatérale entre l’Inde et le Népal, et elle espère que les deux pays seront en mesure de la résoudre par le biais de dialogues.
La provocation indienne
Un examen plus approfondi des problèmes politiques qui sous-tendent les relations indo-népalaises révèle que la situation s’est rapidement détériorée depuis l’arrivée au pouvoir de Modi en 2014, bien qu’il y ait eu des complications mineures dans le passé. Auparavant, le BJP a été accusé d’interférer dans la politique intérieure du Népal. Le BJP a tenté de s’immiscer dans la politique népalaise en incitant les Madhesis à agir dans un conflit politique impliquant la vallée de Katmandou et les Madhesis de la région du Teraï, au sud du Népal. Profitant du sous-développement relatif de ces derniers, le RSS n’a pas ménagé ses efforts pour les pousser à se replier sur cette région et a depuis commencé à promouvoir ouvertement l’Hindutva [hypernationalisme hindou]. Cela a soulevé des appréhensions au Népal. Il est important de noter que le plus grand nombre de shakhas (branches) du RSS, en dehors de l’Inde, se trouvent au Népal.
Le 23 septembre 2015, l’Inde a imposé un blocus économique non déclaré au Népal. Ce blocus non officiel de six mois a provoqué une crise économique et humanitaire dans le pays et a gravement affecté son économie. Le Népal, enclavé, doit importer tous ses produits pétroliers par les ports indiens et les transporter par la route. Cet embargo a pratiquement paralysé le pays. En outre, des rapports font état de l’arrêt de camions népalais au port de Calcutta. Le blocus a également entravé l’importation de médicaments et de fournitures de secours en cas de tremblement de terre. En avril de la même année, un tremblement de terre majeur a causé des dégâts considérables au Népal, y compris dans la vallée de Katmandou. Cet embargo non officiel a vicié les relations indo-népalaises et a suscité des réactions agressives de la part de l’opinion publique népalaise.
La marche du royaume hindou vers la laïcité
Le problème actuel ne trouve pas sa source dans les tensions diplomatiques entre ces deux voisins. C’est ailleurs. Le mouvement populaire (Jana Andolon II) de 2008 a renversé la monarchie et proclamé le Népal comme une république. La marche en avant du Népal vers la laïcité a représenté un véritable choc pour forces hindoues en Inde qui ont essentiellement soutenu la monarchie pour préserver l’identité hindoue du pays. La disparition de l’ancien régime a porté un coup aux tenants de l’Hindutva - pratique et idéologique. Deuxièmement, l’hégémonie de la gauche au Népal est une chose que le RSS ne peut pas avaler. Ils saisissent toute occasion pour dénoncer la gauche, à tout prix.
Pour le Sangh Pariwar, qui cherche à transformer l’Inde en un État hindou, il est impératif que les réalisations séculaires du Népal soient contrecarrées. Surtout lorsqu’ils envisagent leur propre avenir politique. Alors qu’ils tentent d’intoxiquer les masses indiennes en leur injectant des doses d’Hindutva, l’État hindou voisin, qui existait depuis des siècles, a été écrasé sous la pression d’un irrésistible soulèvement de masse. Cet exemple est très problématique pour le RSS, extrêmement indésirable. Bien que Modi ou Amit Shah n’aient pas pu faire un appel public sur la question pour des raisons diplomatiques internationales, il n’y a aucune obligation ou responsabilité pour les autres fonctionnaires hindous de garder le silence. De nombreux hauts fonctionnaires du RSS ont réitéré leur volonté de voir le Népal revenir sur la voie de l’Hinduvta. Plus de deux cents branches du RSS au Népal sont particulièrement actives à cet égard. En mars 2010, Rajnath Singh, alors qu’il assistait aux funérailles de l’ancien Premier ministre du Népal, Girija Prasad Koirala, a déclaré : « Nous étions fiers du royaume hindou du Népal. Nous espérons que le Népal sera à nouveau un État hindou ».
Les organisations hindoues de ce pays envoient régulièrement leurs sadhus et leurs dirigeants au Népal pour faire campagne en faveur de l’État hindou. L’effondrement de l’État hindou et le triomphe de la république laïque ont sans aucun doute frustré et irrité les forces hindutva dans ce pays. Bien que le BJP partage cette colère, il ne peut l’exprimer officiellement et publiquement. Pour comprendre la position agressive du gouvernement Modi à l’égard du Népal, nous devons garder ces faits à l’esprit.
Cependant, tout est aggravé par une récente déclaration du ministre en chef de l’Uttar Pradesh, Yogi Adityanath. Commentant le conflit frontalier, il a dit au peuple népalais dans une interview au début de ce mois de se souvenir du Tibet. Il n’a pas expliqué précisément ce que cela signifiait. Menace-t-il de dire que si le Népal choisit sa propre voie indépendante sans écouter les appels de Delhi ou les sermons de Nagpur, il connaîtra le même sort que le Tibet ? En d’autres termes, à l’instar de l’occupation chinoise du Tibet, qui est contraire à l’éthique, le gouvernement indien attaquera-t-il le Népal, si nécessaire ? De tels propos éhontés ne renforcent pas les fondements de notre noyau démocratique. Élevons la voix face à ces menaces d’occupation. Nous devons dire à haute voix « Pas en notre nom » ! Non seulement pour témoigner notre solidarité à la population népalaise. Dans notre propre intérêt aussi. Afin de préserver notre avenir.
Sushovan Dhar