Le chanteur croate Miroslav Skoro, chef du parti populiste Mouvement patriotique, désormais troisième force politique du pays, a fait exploser la colère des femmes. “En cas de grossesse après un viol, les femmes devraient obtenir l’accord de leur famille avant de prendre la décision d’avorter ou non”, a-t-il déclaré, cité par Slobodna Dalmacija. Le philosophe et chroniqueur Nino Raspudic, une version croate d’Éric Zemmour, a aussitôt fait de la surenchère : le candidat du mouvement conservateur Most (Le pont) aux législatives du 5 juillet a estimé que “les femmes violées devraient poursuivre leur grossesse plutôt que de l’interrompre”. Il a aussi évoqué la politique du viol pratiquée pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995, relate le quotidien de Split, affirmant que “de nombreux enfants issus de viols ont une vie heureuse”.
Zana Gamos, adjointe au maire de la ville d’Osijek, dans l’est du pays, a aussitôt réagi à ces propos en publiant sur Facebook une photo d’elle faisant un doigt d’honneur : “Voici la réponse d’une femme aux messieurs qui pensent être des génies et ont des conseils à donner sur ce que doivent faire les femmes violées”, écrit-elle dans sa publication.
Son geste a rapidement été repris par de nombreuses femmes célèbres, qui ont publié à leur tour des photos sur les réseaux sociaux sur lesquelles elles font un doigt d’honneur. Ce geste est adressé aux auteurs de propos “visant à renvoyer les femmes plusieurs siècles en arrière”, selon l’ancienne présidente croate conservatrice Kolinda Grabar-Kitarovic, qui a rejoint le mouvement des “doigts d’honneur”, rapporte le site Telegram.
Die (konservative) kroatische Ex-Präsidentin und Diplomatin Kolinda Grabar-Kitarović zeigt den Sprüchen einiger Politiker zum Thema Schwangerschaftsabbruch (Vergewaltigte Frauen sollen mit der Familie konsultieren müssen) den Mittelfinger. pic.twitter.com/nYMVLRS7Xv
— Shoura Hashemi (@ShouraHashemi) June 19, 2020
Instrumentalisation du corps féminin
Pour l’actuelle ministre de l’Éducation, Blazenka Divjak, catholique pratiquante, “ces propos relèvent de l’humiliation et du sadisme envers les femmes… à des fins électoralistes”, comme elle l’a indiqué sur sa page Facebook.
Revêtue du costume rouge de la série culte La Servante écarlate, la chanteuse Severina a, quant à elle, publié sur Instagram une réponse au vitriol destinée au leader du Mouvement patriotique, chanteur reconverti dans la politique. “Durant les guerres de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, alors que les femmes étaient violées, humiliés dans leur chair, Skoro a pris la fuite avec un aller simple pour les États-Unis”, écrit Severina. La chanteuse poursuit : “Il a voulu devenir président, il a subi un échec cuisant. Six mois ne sont pas passés qu’il se voit déjà Premier ministre. Le candidat Skoro ne s’intéresse guère à la croissance économique, ni ne souhaite bonifier notre quotidien. Il a trouvé un autre sujet d’intérêt : le corps féminin.”
“Elles vont se faire taper dessus”
Le chef du Mouvement patriotique a dénoncé la “vulgarité des femmes en colère”, tout en expliquant que celles qui lui adressent un doigt d’honneur risquent de “se faire taper dessus lorsque [son] mouvement arrivera au pouvoir”. Menace inquiétante lorsqu’on sait que ce mouvement populiste pourrait arriver, selon les sondages, en troisième position à l’issue du scrutin (derrière les conservateurs du HDZ au pouvoir et la coalition de centre gauche, Restart). Le quotidien Jutarnji List considère le Mouvement patriotique comme une version croate du parti d’extrême droite allemand Alternative pour l’Allemagne (AfD).
“Il n’est pas si mal que la polémique sur la violence subie par les femmes s’immisce dans la campagne électorale. Elle dévoile peu à peu ce que les principaux acteurs de la scène politique pensent réellement des droits des femmes et de la démocratie en général”, résume le journal Slobodna Dalmacija. En Croatie, pays catholique à près de 90 %, l’IVG est autorisée jusqu’à la 10e semaine de grossesse (contre 12 en France). L’Église et les mouvements issus de la nouvelle droite militent pour remettre ce droit en question.
Kika Curovic
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