« Nous avons réussi ! Notre ville prend ce soir un grand bol d’air. » En ce dimanche 28 juin au soir, Abdel Sadi (PCF) jubile : sa liste est confortablement arrivée en tête à Bobigny, au second tour des élections municipales. La victoire met fin à une campagne éreintante et à six ans de gestion UDI entachée par des scandales à répétition.
Mais la reconquête de la ville préfecture de la Seine-Saint-Denis ne saurait faire oublier la perte de gros bastions communistes tels que Saint-Denis ou Aubervilliers. Dans le Val-de-Marne, dernier département dirigé par le PCF, les dommages sont lourds : Champigny-sur-Marne et Choisy-le-Roi, la ville de Georges Marchais, tombent aux mains de la droite, malgré un fort héritage communiste. Villeneuve-Saint-Georges leur échappe aussi .
Tout aussi symbolique, Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) voit la fin de 100 ans de communisme. Tout comme Bezons (Val-d’Oise), communiste depuis 1920, ou Givors, dans la métropole lyonnaise, après 67 ans de règne ininterrompu, ou encore Arles dans les Bouches-du-Rhône. Dans la fédération du Nord, le PCF « perd quelques grosses villes comme Seclin et Waziers », indique la responsable départementale à la communication, Soizic Lozachmeur.
Dans ses premiers calculs, l’historien Roger Martelli dénombre une baisse significative du nombre d’administrés gérés par des maires communistes, passant de 2,7 millions en 2014 à 2,3 millions pour les six ans qui viennent. « Montreuil [Seine-Saint-Denis – ndlr] est la dernière ville de plus de 100 000 habitants (en France métropolitaine), note-t-il aussi. En Île-de-France, le PCF contrôlait 147 communes en 1977, il n’en contrôle plus que 34 aujourd’hui. » Ce qu’on a appelé la banlieue rouge est aujourd’hui remplacé par « un archipel communiste ».
Ancien membre du PCF et directeur de la publication à Regards, Roger Martelli souligne aussi la portée symbolique de certaines défaites [1] : « Le noyau historique est affecté. Dans la liste des pertes, un certain nombre de villes faisaient partie de ce qu’on a appelé le communisme municipal. »
Pourtant, rappelle-t-il, les résultats du premier tour étaient plutôt encourageants pour le PCF. « Le PCF devait bénéficier de la prime aux sortants. Au premier tour, ils avaient récupéré trois quarts des communes de plus de 1 000 habitants qui avaient été gagnées en 2014. A priori, ça devait leur permettre de rester au niveau mais les résultats sont plus sévères que prévu. »
Le PCF perd 62 villes de plus de 1 000 habitants, passant de 380 communes en 2014 à 318 cette année.
Place du Colonel-Fabien, on se rassure comme on peut : si le nombre de mairies détenues par le parti diminue, le nombre d’élus municipaux devrait rester stable, voire augmenter légèrement, estime le secrétaire national du PCF Fabien Roussel. « Il y a des grandes villes où les communistes seront présents dans les majorités, c’est un grand retour dans des villes comme Nancy et Strasbourg », explique celui qui est à la tête du parti depuis le congrès de 2018 [2]. Il se satisfait que le candidat communiste au Havre, Jean-Paul Lecoq, « a[it] fait trembler le premier ministre » (qui a quand même largement gagné).
« Paradoxalement, on gagne quelques élus », avance aussi la nordiste Soizic Lozachmeur. Quatre communistes entrent ainsi au conseil municipal de Lille après l’accord avec Martine Aubry. « Malgré des pertes, on arrive à se maintenir et il y a une nouvelle génération qui est mobilisée », affirme-t-elle aussi.
Mais Fabien Roussel est bien obligé de le reconnaître : « Nous perdons de grandes villes symboliques et il nous faut analyser les causes de ces défaites. Parfois, il y a eu des désunions entre communistes, parfois avec des forces de gauche et parfois on a été trop sûrs de nous. »
Saint-Denis, ville de 110 000 habitants, est l’emblème de ces désunions à gauche. Là-bas, la défaite a été précipitée par une crise entre le PCF et La France Insoumise (LFI), pourtant partis pour s’unir face au socialiste Mathieu Hanotin (lire notre enquête [3]). Pour le secrétaire national du PCF, qui se garde de critiquer la stratégie de Laurent Russier, le maire PCF sortant, « le problème de fond » est l’absence d’alliance au 1er tour.
Mais à Ivry (Val-de-Marne), les divisions profondes de la gauche n’ont pas remis en cause les 100 ans de domination communiste : grâce à un accord avec son opposante EELV pour le second tour, le maire sortant a été réélu. Au prix, toutefois, de tensions très vives avec les socialistes et les Insoumis de la ville.
« À Ivry, l’anticommunisme a renforcé l’identité du maire et sa légitimité historique. Cette ville est emblématique d’un passage de témoin réussi entre les maires successifs », explique Emmanuel Bellanger, chercheur au Cnrs et auteur de Ivry, banlieue rouge : capitale du communisme français, XXe siècle.
Le sénateur de la Seine-Saint-Denis, Fabien Gay, pointe aussi le contexte exceptionnel de ces élections, d’une longueur inédite entre le premier tour du 15 mars et le second, trois mois et demi plus tard, et l’abstention record, notamment dans les quartiers populaires. « Ce n’est pas uniquement à cause du Covid, il y a une crise démocratique profonde », rappelle-t-il.
Dans son département, Fabien Gay parle d’un bilan contrasté : « On perd Aubervilliers, Saint-Denis et Villetaneuse, face à la gauche ; il y a aussi des reconquêtes et, à Romainville, on participe à la gagne, mais faut pas qu’on se mente, c’est difficile. »
Il y a aussi des réalités locales différentes. Certains maires sortants souffraient d’une image dégradée. Mais au-delà des particularités dans tel ou tel département, c’est bien une défaite d’ampleur nationale qu’a subie le PCF. Et une défaite qui vient de loin.
« Ce scrutin confirme les scrutins passés depuis 1983 où le PCF connaît un reflux », observe David Gouard, maître de conférences en science politique. Le mouvement devrait d’ailleurs se poursuivre lors des prochains scrutins : « Dans le Val-de-Marne, la menace est très importante : il y a un risque que la droite l’emporte dans un an, aux élections départementales. »
Le département a jusque-là résisté au déclin historique des communistes grâce à des unions avec le PS et à de faibles dissensions internes (contrairement à la Seine-Saint-Denis).
Mais aujourd’hui, indique Emmanuel Bellanger, chercheur au Cnrs, « l’assise départementale des communistes dans le Val-de-Marne est fragilisée par l’érosion des implantations municipales. Le choc avait déjà eu lieu aux législatives avec la victoire de Mathilde Panot (LFI) ». Même si la France insoumise a par ailleurs échoué à démontrer lors de ces municipales qu’elle pouvait constituer une force politique locale.
Si chaque ville connaît ses spécificités, les causes de la défaite sont disséquées depuis des années, voire des décennies, et ne varient pas considérablement.
« La force du communisme municipal, c’est que le parti avait promu des ouvriers, il avait renversé le stigmate social et territorial en promouvant des ouvriers. Ce qui faisait la force du communisme, c’est qu’ils avaient des élus qui ressemblaient à la population mais les communistes, comme le PS, ont raté le rendez-vous avec les jeunes issus de l’immigration post-coloniale », explique Emmanuel Bellanger rappelant parallèlement la déstructuration du tissu social engendrée par la désindustrialisation.
À la marge, un des enseignements de ces résultats se lit dans les reconquêtes de villes telles que Bobigny ou Villejuif, où la droite n’aura tenu qu’une mandature. Dans ces deux villes, les équipes communistes ont annoncé ne pas vouloir revenir sur l’instauration de la police municipale et de la vidéosurveillance par la droite. Des sujets qui représentent pourtant l’un des rares clivages nets au niveau local entre la gauche et la droite.
Justifiant cette position, les communistes balbyniens promettaient par exemple de redéfinir les missions de cette police pour lutter contre le harcèlement de rue. Toujours à Bobigny, la question des campements de Roms n’a pas été abordée par les communistes, conscients que le sujet avait été utilisé contre eux en 2014.
Héléna Berkaoui