Rarement une élection aura montré autant de facettes sur deux tours. La seule certitude est l’ampleur inédite de l’abstention : 58% au premier tour et 59% au second. Au-delà, les images diffèrent, selon le tour et selon le type de communes. [1]
Un tour ne chasse pas l’autre
Le premier tour avait été sans appel. Dans les communes de plus de 10.000 habitants, la gauche avait fait élire 139 maires sortants (31%) et la droite 299 (68%). Au soir du second tour, dans 245 villes de plus de 30.000 habitants, la droite l’emporte dans 167 cas (68%), la gauche dans 94 cas (38%) dont 10 pour les Verts.
Comme au premier tour, la distribution des votes n’est pas la même dans les grandes villes et les autres.
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Les villes de plus de 100.000 habitants (un total de près de 10 millions d’habitants) montrent un écart de voix entre la gauche et la droite moins important qu’ailleurs. Au second tour, la droite a au total moins de trois points d’avance. La résistance des socialistes, les excellents résultats des Verts et la déconfiture de LREM expliquent cette situation exceptionnelle. Mais le total des droites reste majoritaire dans toutes les tranches de population, largement à Marseille, plus étroitement à Paris. Seule la gestion politique de Gérard Collomb est parvenue à la mettre rudement au tapis à Lyon.
Les Verts rient, LREM pleure, le PC fait la grimace
LREM a enregistré sans surprise le désastre qui était annoncé avant le scrutin et que le premier tour avait esquissé dès le mois de mars. Le parti du Président a pâti tout à la fois du discrédit majoritaire de son mentor et de sa faible implantation de terrain.
Deux des forces propulsives du printemps 2017 n’ont pas non plus réussi leur examen municipal. Le RN a consolidé son implantation municipal (mais perd sa mairie de secteur à Marseille), mais a globalement échoué à s’implanter, dans les espaces métropolitains comme dans les communes modestes de la France réputée « périphérique ».
La préparation des élections municipales avait tempéré les ambitions affichées par la FI au lendemain des scrutins présidentiel et législatif de 2017. Le premier tour avait confirmé le résultat modeste des listes estampillées LFI, même dans les centres-villes métropolitains. Il restera à affiner l’ampleur des positions électives, selon toute vraisemblance bien modeste.
Les formules de l’union de la gauche ont plutôt bien fonctionné dans le cadre métropolitain (elle était présente dans 71 des villes de plus de 100.000 habitants), obtenant au total un cinquième des suffrages exprimées. Cette convergence n’a pas été pour rien dans ses bons résultats dans cette tranche de la France urbaine. Dans l’ensemble, elle a été plus souvent rassemblée que la droite : les listes d’union de la droite et du centre se sont contentées d’un modeste 8% des suffrages.
Le PS, on l’avait déjà noté en mars, se sort plutôt bien d’une consultation où il se trouvait pénalisé par son effacement national. Il a frôlé la catastrophe à Lille, mais est conforté largement par les résultats des listes d’Anne Hidalgo à Paris et ne peut que se réjouir des déboires du « traître » Collomb…
On n’a pas fini de commenter la performance des Verts, la plupart du temps qualifiée d’historique. La percée réelle dans la plupart des villes-centres n’annule pas une fragilité confirmée à l’échelle de l’ensemble du tissu communal. Mais, dans un contexte de désengagement civique massif, les écologistes ont confirmé électoralement, seul ou en alliance à gauche, la capacité de mobilisation des exigences écologistes, manifestées massivement dans l’opinion et dans la rue.
Le PCF est dans une situation plus délicate. Le premier tour s’était pourtant avéré des plus encourageants, avec une récupération des trois quarts des communes de plus de 1000 habitants qui avaient été gagnées en 2014. Le second tour est beaucoup plus amer. Les communistes ont certes conquis et reconquis des villes précédemment perdues, notamment Villejuif, Bobigny et Corbeil.
Mais ces gains sont loin de compenser les pertes enregistrées. Le tableau ci-après (sous réserve de vérifications des étiquettes enregistrées par le ministère de l’Intérieur) en donne un aperçu.
Au total, le PC conserve 232 des communes de plus de 1000 habitants qu’il gérait après 2014 (une quinzaine sont incertaines où dépourvues d’information pour l’instant). Au total, cela représente 2 millions d’habitants, auxquels s’ajoutent la population d’au moins 9 communes conquises ou reconquises. L’Île-de-France, le Nord et le massif central sont les plus touchés. Des « bastions » historiques disparaissent, Saint-Denis, Aubervilliers, Champigny, Choisy-le-Roi, mais aussi Arles, Bezons, Gardanne, Givors, Saint-Pierre-des-Corps ou Valenton.
Le PCF n’est plus à la tête que d’une commune de plus de 100.000 habitants (Montreuil), de 8 entre 50 et 100.000 et de 26 entre 10 et 20.000. Le « communisme municipal » se trouve ainsi une fois de plus affaibli (2,3 millions d’administrés contre 2,7 en 2014), alors qu’il espérait non sans raison se stabiliser ou même se renforcer pour la première fois depuis bien longtemps. Hélas pour lui, ni Le Havre, ni Sète, ni Bagnolet, ni Aubagne ne sont revenus à la gestion communiste qu’elles avaient connue autrefois.
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L’espace francilien, qui fut le territoire d’accueil par excellence de la « banlieue rouge », est particulièrement révélateur du rétrécissement du communisme municipal. Le PCF, qui contrôlait en 1977 147 des 1276 communes d’Île-de-France, n’en contrôle plus que 34 aujourd’hui. Il administrait alors près de 3,3 millions d’habitants et 2 millions de moins aujourd’hui.
Le territoire de la Seine-Saint-Denis est particulièrement révélateur de cette évolution. Le département a compté en 1977 jusqu’à 27 municipalités communistes sur 40, regroupant 80% de la population départementale. En trente ans, 20 d’entre elles ont été perdues et celles qui restent ne rassemblent plus qu’un cinquième de la population du « 9-3 ».
Roger Martelli