Et en même temps, Marx souligne l’énorme faiblesse des communards : ils n’ont pas touché à la Banque de France. Elle était sur le territoire de la Commune de Paris et ils n’y ont pas touché. S’ils avaient pris le pognon qui était dans les coffres de la Banque de France, ils auraient pu financer l’extension de la Commune. D’abord ils auraient pu affronter les Versaillais. Ils auraient pu financer des choses dans le reste de la France tandis qu’ils ont laissé le pognon à la Banque de France et les agences locales de la banque de France ont donné accès à Thiers pour financer l’attaque contre la Commune de Paris. C’est complètement dément.
Il faut quand même bien avoir en tête qu’une des premières mesures qui a été prise à Cuba après la victoire du soulèvement révolutionnaire du peuple était de désigner Che Guevara comme président de la Banque centrale de Cuba.
Et le dernier exemple que je souhaite donner, c’est celui des Bolchéviques. Juste après la prise du pouvoir d’octobre-novembre 1917, le premier décret c’est le décret sur la terre, sur la répartition de toutes les terres au profit des paysans ; le deuxième décret c’est celui sur la paix ; le troisième décret : c’est l’expropriation des banques et l’annulation des dettes des paysans à l’égard des banques.
Pour en savoir plus : Quelques exemples historiques d’actions décisives concernant les banques https://www.cadtm.org/Quelques-exemples-historiques-d-actions-decisives-concernant-les-banques
Si la gauche fait son travail, et donc notamment avec les organisations syndicales, on peut se faire des alliés parmi les travailleurs des banques et au moment où il faudrait réellement procéder aux expropriations et au transfert dans le secteur public, ça pourrait fonctionner.
Philippe Poutou : Et nous, quand nous discutons des banques et de l’expropriation des banques, je suis persuadé que c’est ce qui choquerait le moins les gens par rapport à l’expropriation d’un capitaliste ou des entreprises. Déjà y’a ce côté-là. Et puis après, ce qui crédibilise vachement tout ce qu’on dit : si on a le secteur bancaire qui est public, sous contrôle public, sous contrôle des citoyens, on sait que l’argent est là. Et si on discute d’une banque, d’un système bancaire qui est au service de l’économie, qui essaie de répondre aux besoins des gens y compris pas juste la propagande socialiste en général, mais tout simplement répondre au milieu paysan, au milieu commerçant, aux artisans, à leurs difficultés, aux petites entreprises, de montrer qu’un système bancaire peut être disposé à rendre service, à aider, à faire des prêts à taux zéro ou à des prêts à taux faibles. Ça tient bien la route, tout ça et nous derrière on dit que l’économie se re-fabrique et qu’elle se tourne vers les gens, vers la société et on a un secteur bancaire qui devient utile pour tout le monde.
Éric Toussaint : Il faut faire comprendre aux gens : si vous voulez pouvoir reprendre le contrôle de la finance dans votre commune, il faut qu’au niveau national, on casse le pouvoir des grandes banques. Et il faut qu’on les exproprie parce que vous ne serez jamais capables, si ça ne se passe pas au niveau national, localement vous ne serez jamais capables de reprendre le contrôle de l’agence BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, du coin.
Philippe Poutou : À l’époque ça discutait coopérative, autogestion ouvrière, au moins il y avait une discussion sur l’économie. C’était concret. Les révolutionnaires savaient de quoi ils parlaient, des problèmes qu’ils avaient envie de poser. C’était ça leur force à l’époque, cette pensée qu’ils pouvaient avoir entre les mains un moment donné l’économie, et donc ils étaient obligés à raisonner concrètement. Et nous, on est peut-être tellement habitué à repousser la révolution, à la voir tellement loin ou même à ne pas trop y croire que l’on ne se pose pas tous ces problèmes-là. Ce que tu dis sur les banques c’est peut-être ça aussi le lien. Et aujourd’hui la crise du coronavirus, nous secoue un petit peu, en nous obligeant de réfléchir comment on discute de ça et c’est pour cela que je dis que la question des banques est une question centrale. La réponse passe par là.
Éric Toussaint : Il faut poser la question de l’État parce que admettons que vous fassiez du maraîchage bio avec une coopérative à côté d’une centrale nucléaire, vous ne pouvez pas empêcher la centrale nucléaire de fonctionner et ça c’est nationalement une décision d’un gouvernement populaire qui décidera de fermer les centrales nucléaires.
Philippe Poutou : De ce point de vue là, l’outil important c’est l’audit, les audits qui permettent de savoir comment cela a fonctionné, d’où ça vient, mais aussi qui. Et à partir du moment que vous avez des audits, cela te permet aussi d’avoir des réponses adaptées.
Éric Toussaint : Une idée qui émerge plutôt récemment, c’est dans les dix dernières années que cette question d’audit à participation citoyen(ne) commence à émerger et à convaincre des gens. Parce qu’on pensait, et c’est assez logique, dans la manière de penser du 20e siècle, on pensait contrôle ouvrier. Il y avait dans la société une telle proportion d’ouvriers qu’effectivement, l’idée de contrôle de la société pouvait passer par la notion de contrôle ouvrier. Maintenant on se rend bien compte que si tu parles de contrôle ouvrier, c’est absolument clé dans une usine où il y a des ouvriers, mais quand tu parles au reste de la société, tu parles à combien de gens qui peuvent vous concrètement… c’est quoi le contrôle ouvrier
Déjà, si tu dis à l’employé de banque « contrôle ouvrier », il dit : « c’est pas pour moi, je ne suis pas un ouvrier ». Mais pour des citoyens qui ont des petits boulots, des chômeurs, les jeunes et tout ça ils ne pensent pas non plus au contrôle ouvrier. Pour ça aussi on dit contrôle citoyen qui est un élément clé évidemment.
Philippe Poutou est un ouvrier, syndicaliste, membre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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