L’universitaire Anand Teltumbde, connu pour ses travaux sur le système des castes en Inde, a fêté ses 70 ans en prison, mercredi 15 juillet. Arrêté il y a trois mois à Bombay, en plein confinement du pays, ce militant des droits de l’homme, professeur à l’Institut du management de Goa, se voit reprocher par la National Investigation Agency, l’organe chargé de la lutte antiterroriste, d’avoir planifié en décembre 2017 des violences contre le parti nationaliste au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), et d’avoir participé à un complot ourdi pour assassiner son représentant, le Premier ministre Narendra Modi.
“Il est l’un des penseurs les plus importants et les plus courageux de l’Inde”, et la justice, dans une “attitude kafkaïenne”, refuse de le libérer sous caution tandis que les leaders politiques de l’Inde entretiennent sur sa détention “un silence assourdissant”, dénonce avec véhémence l’intellectuel Pratap Bhanu Mehta dans une tribune publiée par l’Indian Express, samedi 18 juillet.
Faisant un rapprochement avec la syndicaliste communiste de la région du Chhattisgarh, Sudha Bharadwaj, 59 ans, arrêtée dans la même affaire, dite “de Bhima Koregaon”, et avec le poète Varavara Rao, 80 ans, à qui les autorités réservent en ce moment un traitement “dégradant et humiliant” à l’hôpital, depuis qu’il a été testé positif au Covid-19, le chroniqueur tire la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, être étiqueté “de gauche” est devenu dangereux.
“En Inde, la fonction rhétorique de la gauche n’est pas de décrire la compétition entre le marché libre et l’État, mais d’explorer tout courant idéologique ou politique qui, tout en reconnaissant l’importance de l’identité, veut échapper au caractère obligatoire ou simpliste de celle-ci”, explique-t-il.
Or pour les partisans de l’Hindutva (hindouité), idéologie promue dans le sous-continent par le BJP depuis son arrivée au pouvoir en 2014 :
“Toute personne qui cherche à transcender les narcissismes de l’identité collective devient ‘de gauche’, tout comme n’importe quel individu qui défend simplement les libertés individuelles.”
Cette façon de concevoir la société indienne se décline en outre à l’échelle des différentes communautés qui composent le pays. Ainsi, est désormais qualifié de “gauchiste” celui qui se risque à dénoncer les revendications identitaires des Marathes au Maharashtra, des Jat au Pendjab, des Rajputs au Rajasthan ou même, partout dans le pays, des Dalits (anciennement appelés “intouchables”), ceux qui, paradoxe absolu, sont exclus du système des castes. Quant à ceux qui s’intéressent aux droits des populations tribales, ils sont automatiquement taxés de “maoïsme”.
Selon Pratap Bhanu Mehta :
“Plus que le débat qui oppose laïcité et communautarisme, cette façon de penser constitue désormais la grande ligne de fracture de la politique indienne, avec des conséquences désastreuses.”
La loi liberticide sur la prévention des activités illicites (Unlawful Activities Prevention Act) de 1963, au nom de laquelle Anand Teltumbde, Sudha Bharadwaj et Varavara Rao sont poursuivis, permet à l’État d’agir “en toute impunité” à l’encontre de tout opposant, lequel peut se retrouver “condamné sans être coupable”. Elle fait de l’Inde “une parodie” de démocratie.
Pratap Bhanu Mehta
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