Vaccin contre le coronavirus, moratoire sur la 5G, annexion de la vallée du Jourdain… Ce mardi 30 juin, à l’Assemblée nationale, les sujets de discorde ne manquent pas lors de la traditionnelle séance de « Questions au Gouvernement ». En deux heures de débats intenses, parfois tendus mais souvent cordiaux, les mots « Hong Kong » ne sont pourtant pas prononcés une seule fois par l’opposition (ni par la majorité). Pendant ce temps, de l’autre côté du globe, l’inquiétude monte : l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de sécurité nationale imposée par Pékin sur le territoire semi-autonome est imminente. Le groupe d’activistes Demosisto choisit de s’autodissoudre et, déjà, certains restaurateurs décrochent à la hâte les symboles pro-démocratie de leurs façades.
Le contraste est saisissant avec ce qu’il se passe presque au même moment à Londres. À la tribune de la Chambre des communes du Royaume-Uni, le pourtant très conservateur secrétaire d’État des Affaires étrangères Dominic Raab évoque une « étape grave et profondément troublante » franchie par le gouvernement chinois, qui « ne peut que mettre à mal la confiance que la communauté internationale lui accorde ». « Aye ! », approuvent en chœur ses opposants du Labour Party. Quelques secondes plus tard, la travailliste Lisa Nandy l’enjoint à aller encore plus loin : « Les arrestations qui viennent de se produire ont choqué le monde entier (...) Les manifestants pro-démocratie à Hong Kong n’ont droit qu’à des gaz lacrymogène et à des canons à eau », expose-t-elle d’une voix grave.
Certes, comme le rappellent les politiques britanniques lors de leurs prises de parole, les deux territoires sont liés par une histoire commune particulière. Avec la fin du « bail des Nouveaux Territoires » entre le Royaume-Uni et l’empereur Guangxu, Hong Kong est repassé sous le giron chinois depuis 1997 dans le cadre du fameux principe « un pays, deux systèmes », qui devait s’étendre sur une période d’au moins 50 ans. Mais les menaces actuelles sur la déclaration conjointe sino-britannique n’expliquent qu’en partie ces réactions. Car en Europe, le silence français sur la question semble bien faire figure d’exception : en Allemagne, par exemple, le président de la Commission des affaires étrangères du Bundestag s’est lui aussi empressé de réagir dès le 30 juin, en décrivant notamment un « manque total de transparence » de la part de Pékin.
« Personne n’ose s’y attaquer »
Comment expliquer que la gauche française, habituellement plutôt vigilante sur le sujet des libertés publiques et des droits humains, y compris à l’étranger, semble ici si discrète ? Dans les rangs des associations habituées à interpeller les autorités et les élus de l’opposition, on le déplore de plus en plus ouvertement : « Ni la Chine ni Hong Kong ne sont un sujet pour eux. » « La Chine n’est pas du tout dans les radars de leur analyse internationale. Personne n’ose s’y attaquer », observe une spécialiste du sujet qui préfère garder l’anonymat. « Ils sont tellement silencieux que la seule chose à en dire, c’est qu’ils sont vraiment nuls sur ce coup », lâche une célèbre sinologue.
Résultat, les rares marques d’intérêt récentes envers les manifestants hongkongais viennent parfois de personnalités inattendues. Sur Twitter, le député Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France — et qui s’était rallié à Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle 2017 — s’engouffre dans la brèche et salue le « courage » de certains étudiants tournant le dos à l’estrade lors de leur remise de diplômes, chantant « Hong Kong libre » à la place de l’hymne chinois. Même son de cloche du côté de sa collègue Valérie Boyer, membre de la fraction la plus à droite des Républicains (LR), qui regrette qu’« intellectuels, médias et démocrates (...) abandonnent lâchement Hong Kong à son triste sort chinois communiste. »
« En France, on a reçu beaucoup de soutien de la part de la société civile, mais beaucoup moins de la part des partis politiques »
« Que les gens les plus à droite en France en profitent, ce n’est pas surprenant, sourit Kenneth Yeung, membre du Comité pour la liberté à Hong Kong, un petit groupe qui cherche à mobiliser depuis la France. On a même été contactés par des médias d’extrême droite mais, bien sûr, on a refusé de leur parler ! » D’un ton énergique, ce doctorant en philosophie politique à l’université Paris Diderot tente une comparaison avec la pensée du politologue argentin Ernesto Laclau pour éclairer la situation : « La politique est une lutte pour l’hégémonie. Donc quand la gauche française laisse ces champs inoccupés, ils sont saisis par l’extrême droite : c’est le cas pour Hong Kong mais aussi pour tout le reste. » Dans le camp « progressiste » français, le jeune homme estime que son comité a reçu « beaucoup de marques de soutien de la part de la société civile, notamment des gilets jaunes ou du syndicat Solidaires » mais « beaucoup moins de la part des partis politiques traditionnels. »
« La réaction de la classe politique française n’est pas à la hauteur, reconnaît Mounir Satouri, député européen Europe Écologie Les Verts (EELV) et l’un des rares à être relativement actif sur le sujet. On doit pouvoir s’exprimer sur ce sujet comme sur tous les autres, et ne pas avoir de position à géométrie variable. » En juin, son groupe a été à l’initiative d’une résolution parlementaire visant à ce que « l’Union Européenne et les États membres saisissent la Cour internationale de justice » en cas d’application de la loi imposée par Pékin (ce qui est donc le cas depuis le 1er juillet). Adoptée à la majorité, elle a pourtant fait l’objet de votes « Contre » ou « Abstention » de la plupart des membres du groupe Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique, co-dirigée par l’élue de la France Insoumise (LFI) Manon Aubry.
Lorsque nous lui demandons sa position sur le sujet, l’ex-porte parole de l’ONG Oxfam France assure de son côté « défendre le respect du cadre “un pays deux systèmes” » et rester vigilante « pour éviter que les inquiétudes légitimes sur la répression des opposants à Hong Kong ne soient instrumentalisées dans une logique d’affrontement entre États-Unis et Chine ». « J’ai personnellement exprimé mon soutien et ma sympathie à ce mouvement populaire inédit par son ampleur et sa durée, indique Manon Aubry par retour de mail. Je suis et serai toujours aux côtés de celles et ceux qui se mobilisent contre les inégalités, pour la justice, et font face à une répression policière brutale qu’il faut dénoncer. »
Au-delà du cadre européen, une nouvelle Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC) a vu le jour au début du mois de juin, dans le sillon de l’accélération des tensions à Hong Kong. Une sorte de « super-coalition » de parlementaires issus des quatre coins du monde et de toutes tendances politiques confondues, décidées à faire entendre leur voix sur la « menace » qui pèse, selon eux, non seulement sur Hong Kong mais aussi sur la région du Xinjiang, où la minorité ouïghoure est violemment persécutée par les autorités locales.
Jusqu’à il y a quelques jours, aucun français n’y figurait. Seuls les centristes André Gattolin et Isabelle Florennes l’ont finalement rejointe, suivi par le co-fondateur du mouvement Place Publique Raphaël Glucksmann. À l’aile gauche, on y retrouve pourtant la figure allemande du Parti vert européen Reinhard Bütikofer, le sénateur italien du Parti Démocrate Roberto Rampi ou encore la norvégienne Trine Skei Grande, présidente du principal parti de gauche de son pays (Venstre).
Affinités commerciales
Ces dernières années, certains politiques français — de gauche mais aussi de droite — semblent en fait avoir « créé des liens » avec la Chine continentale davantage qu’avec Hong Kong. Une enquête publiée dans Le Monde à la fin du mois de mai décrivait ainsi les coulisses de la France China Foundation, une fondation en forme d’instrument du soft power de l’État chinois qui rassemble, chaque année, des jeunes des deux pays considérés comme des « personnalités d’avenir », notamment en politique. Parmi les membres de la première « sélection », en 2013, figurent l’ancien ministre socialiste Matthias Fekl, ainsi que Jérôme Guedj, membre du Parti socialiste (PS) depuis 1993 et à l’époque président du conseil général de l’Essonne. L’actuel président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a également sa place dans le trombinoscope officiel du « Conseil stratégique » de l’institution.
Toujours côté PS, Bruno Le Roux l’ex-ministre de l’Intérieur de François Hollande, s’est quant à lui reconverti en homme d’affaires spécialisé dans la collaboration avec la Chine. En 2016, alors encore président du groupe d’amitié France-Chine à l’Assemblée nationale, il propose de rassembler « des investisseurs chinois » pour sauver le stade du club de football du Red Star, sans succès. Recruté quelques années plus tard par l’entreprise CRRC, leader mondial du ferroviaire sous contrôle direct du gouvernement de Xi Jinping, il participe cette fois à la signature d’un partenariat entre la société, la région Grand Est et le département des Ardennes pour des expérimentations de bus électriques.
Également passé au privé après la débâcle de 2017, l’ex-socialiste Jean-Marie Le Guen monétiserait aujourd’hui, lui aussi, « les contacts noués » quand il était vice-président de ce même groupe d’amitié, pour le compte du courtier d’assurance Siaci Saint Honoré.
« Le problème, ce n’est pas ce que font les autorités chinoises. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de stratégie côté français »
De telles affinités peuvent-elles influencer la communication publique de ces (anciens) élus et de leur famille politique ? Se gardent-ils de toute sortie sur Hong Kong afin de conserver des rapports apaisés avec leurs homologues chinois ? Nous aurions aimé poser ces questions directement aux intéressés, mais nos demandes d’interview sont restées sans réponse (tout comme la plupart de celles que nous avons adressées aux membres actuels identifiés « à gauche » des groupes d’amitié France-Chine à l’Assemblée nationale et au Sénat). Un silence troublant à l’heure où le média spécialisé La Lettre A révèle, par ailleurs, que le géant des télécommunications Huawei cherche activement à séduire les parlementaires français dans le cadre du très sensible dossier 5G.
« Le problème, ce n’est pas ce que font les autorités chinoises : c’est le jeu, elles défendent leurs intérêts, analyse Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Le problème, c’est qu’il n’y a pas de stratégie côté français et qu’il y a même un véritable impensé au niveau politique. Tout ceci alors que la stratégie de la Chine en France est claire depuis longtemps : séduire les élites et transformer une forme d’interdépendance économique en poids politique. » Dernières révélations en date du renseignement français à ce sujet : pendant la crise sanitaire, des villes comme Dijon (dirigée par le socialiste François Rebsamen) ou Besançon (dirigée par le socialiste devenu « marcheur » Jean-Louis Fousseret) ont discrètement bénéficié de la « diplomatie du masque » de l’État chinois envers ses « amis français ». « C’est du clientélisme : pour la Chine, il s’agit de fidéliser ces territoires », commente Antoine Bondaz.
Autre preuve de cet intérêt d’une partie de la classe politique françaises pour les « affaires » chinoises, certains députés souhaitent attirer le géant Alibaba sur leur territoire. En France, le groupe du milliardaire Jack Ma loue pour l’instant un bâtiment près de Paris, mais il compte renforcer sa présence à travers deux nouveaux entrepôts, pour lesquels le Nord et la Gironde semblent tenir la corde. « En décembre 2019, j’ai été auditionné à l’Assemblée par la Commission de la défense nationale et des forces armées, raconte Antoine Bondaz. Après mon discours, un député est venu me voir. Je pensais qu’il allait me parler sécurité mais tout ce qu’il m’a demandé… c’est le numéro de téléphone du PDG d’Alibaba, parce qu’il cherchait à faire en sorte qu’un entrepôt soit construit dans sa circonscription. C’est très révélateur de leur façon de voir les choses. »
« Tankies »
L’année dernière, déjà, au moment des mobilisations contre le projet de loi visant à autoriser les extraditions vers la Chine, les marques de soutien publiques au mouvement citoyen à Hong Kong s’étaient faites relativement tardives du côté de la gauche. Ce n’est que plusieurs mois après le début du mouvement que des élus de la France Insoumise ou d’Europe Écologie Les Verts avaient fini par rencontrer certains activistes et syndicalistes locaux. « Ces jeunes ont voulu attirer mon attention à juste titre sur leur avenir, et c’est naturellement que j’ai accédé à leur demande, se souvient aujourd’hui la sénatrice EELV Esther Benbassa. Après, pour ce qui est de mes collègues… Disons que le courage n’est peut-être pas la chose la mieux partagée en politique, voilà tout. »
Vise-t-elle directement la France Insoumise ? « Avec eux, c’est vrai que c’est compliqué, glisse Kenneth Yeung sans s’étendre. Parfois, ils ne semblent pas vraiment d’accord sur leur positionnement… » À l’été 2019, soit quelques semaines avant la rencontre du groupe parlementaire LFI avec une délégation hongkongaise, Jean-Luc Mélenchon publiait pourtant un post Facebook dans lequel il affirmait que « les revendications démocratiques et sociales de la population de Hong Kong constituent un horizon commun sous toutes les latitudes ». À la fin du mois de mai de cette année, le député marseillais a à nouveau pris la parole sur le sujet lors d’un live Twitch, estimant que « ce qu’il se passe à Hong Kong est très important et très intéressant »… mais dénonçant parallèlement des « médias dominés par l’atlantisme » qui « profiteraient » de la situation pour « montrer du doigt le Parti communiste chinois et la Chine. »
Comment comprendre cette insistance sur les revendications sociales exprimées par le mouvement plutôt que sur celles concernant son autodétermination vis-à-vis du pouvoir chinois — pourtant formulées, elles aussi, par les organisations de résistance locales ? Pour beaucoup d’activistes hongkongais, dont le collectif Lausan, qui exprime sur son site son opposition à la fois aux « impérialismes de l’Ouest et de la Chine », la question concerne cette fois un problème plus large, partagé par une frange considérable de la gauche occidentale en général : sa complaisance vis-à-vis des orientations du Parti communiste chinois (PCC).
« Je savais dès le départ qu’il y aurait cette espèce d’ambiguïté au PCF ou à LFI »
Parfois résumé sous l’expression « tankies », le phénomène désigne ceux qui, en Europe et aux États-Unis, voient dans le PCC un contrepoids nécessaire à l’impérialisme américain tout en négligeant — voire en niant — la répression qu’il exerce sur son territoire et sur certaines populations asiatiques (« Hier, le Tibet et les Ouïghours ; aujourd’hui ici ; demain Taïwan », peut-on lire sur les pancartes de certains manifestants à Hong Kong). « Au comité, on est un peu désillusionnés, poursuit Kenneth Leung. On ne se fait plus vraiment d’espoir, parce qu’on sait que toute l’énergie qu’on dépense pour convaincre ces gens-là ne les amène pas forcément à évoluer sur le sujet. Mais à titre personnel, je savais dès le départ qu’il y aurait cette espèce d’ambiguïté au Parti communiste français (PCF) ou à LFI. Pour moi, c’est “as expected”. »
Ce raisonnement faisant office de grille de lecture, une partie des gauches européenne et américaine serait-elle tombée dans le « piège » de la propagande de l’État chinois, qui réduit souvent les manifestants hongkongais à de simples « marionnettes » manipulées par les États-Unis ? Pour les principaux observateurs spécialistes de la région, une telle perception est en tout cas infondée : c’est au contraire la population locale qui fait l’objet malgré elle d’une intense série « d’interventions politiques » et de « poussées pour des politiques étrangères de type Guerre Froide », écrit la journaliste Jessie Lau dans The Nation.
« Combattre ce que nous appelons des récits “tankies” est extrêmement important, car ils constituent un obstacle concret à la solidarité, explique notamment l’un des participants à un débat retranscrit sur le site de Lausan. Si les gens ne comprennent pas ce qu’il se passe réellement à Hong Kong, si on ne s’engage pas dans ce mouvement selon les termes définis par les Hongkongais eux-mêmes, on obtient forcément des oppositions binaires entre “le bien et le mal”. » En clair ? « Il y en a à gauche qui pensent que “l’ennemi de leur ennemi” est forcément leur ami... », s’inquiète Kenneth Yeung.
Complaisance « romantique » ?
« Finalement, cela ne fait que remettre les États-Unis au centre du jeu, complète Brian Hoe, du magazine en ligne New Bloom, interrogé dans le podcast américain Time To Say Goodbye. C’est un raisonnement complètement occidentalo-centré : “si les États-Unis sont des méchants, alors ceux qui s’opposent aux États-Unis sont des gentils !” ». « Je m’interroge souvent sur le degré de connaissances réel sur la Chine de la part des gens qui défendent cette position. Pour moi, il y a une part d’orientalisme et de romantisme là-dedans », insiste l’historien Andrew B. Liu, co-animateur de ce même podcast.
« Il ne s’agit pas de critiquer le peuple chinois ou la Chine mais des politiques mises en œuvres par le régime chinois »
« Il ne faut pas sous-estimer, chez certains, un fond d’anti-américanisme et la volonté de créer une alternative à ce qui est fantasmé comme un monde occidental », approuve Antoine Bondaz. Qui note, au passage, la confusion trompeuse entrenue par beaucoup entre les élites chinoises et le pays qu’elles représentent : « Il ne s’agit pas de critiquer le peuple chinois ou la Chine mais des politiques mises en œuvres par le régime chinois. Ce n’est pas si compliqué à comprendre, mais il suffit de voir comment Mélenchon parle de Taïwan pour avoir une idée de sa vision des choses [dans son live Twitch fin mai, le leader de la LFI évoque un « petit bout de la Chine qui prétend être un État indépendant », ndlr]. C’est incroyable que quelqu’un qui se revendique de gauche puisse tenir ce genre de propos. »
D’autant qu’au-delà des leaders, c’est chez les militants habitués à battre le pavé que ce discours prendrait aujourd’hui de l’ampleur. « À chaque fois que quelqu’un de gauche en Occident me lance “Tous les Hongkongais sont des agents de la CIA, des hooligans ou des suprémacistes”, je dois passer une journée entière à écrire des threads de contexte et à leur opposer des arguments qu’ils ne liront probablement jamais, s’exaspère l’auteur Wilfred Chan. Ensuite, ça se perd et je dois tout recommencer. C’est juste épuisant. » Lors de la manifestation parisienne du samedi 11 juillet en soutien à Hong Kong, aucun drapeau de parti politique ne flottait d’ailleurs sur le parcours de la marche, et seuls quelques élus comme Esther Benbassa, Annie Lahmer (EELV) ou André Gattolin (LREM) étaient présents.
Lorsque nous la confrontons à ces critiques, Manon Aubry répond par sa volonté de « sortir des postures (...) théoriques pour exprimer une opinion équilibrée » : « Il y a bien évidemment des tentatives d’ingérence, un conflit d’influence larvé entre les États-Unis et la Chine, des intérêts géopolitiques qui divergent et des tentatives d’instrumentalisation de la situation. Il faut pouvoir le reconnaître sans naïveté et rappeler des principes clairs : le respect du droit international (...) C’est le seul cadre qui doit prévaloir. »
À noter aussi qu’à l’occasion du récent 99e anniversaire du PCC, l’agence de presse chinoise Xinhua s’est réjouie de recevoir les félicitations de « plus de 100 partis politiques dans le monde », dont celles du Parti de la gauche européenne (ELP) et du Parti communiste français. Ce dernier aurait notamment exprimé « son soutien envers la vision du président Xi pour construire une communauté avec un avenir commun pour l’humanité » et soutenu « l’abandon de la mentalité de la Guerre Froide, le renforcement de la solidarité et de la coopération, et la promotion du développement commun ». Contacté, le parti de Fabien Roussel n’a pas donné suite à nos sollicitations.
« Devoir de cohérence et d’analyse critique »
Dans le champ académique, c’est cette « proximité intellectuelle », jugée inadaptée à la complexité de la scène internationale actuelle, que déplorent certains universitaires à la fois spécialistes de la Chine et engagés à gauche, dont une partie s’est récemment réunie sous l’étendard du groupe Critical China Scholars. Cherchant à mettre au jour les solidarités possibles entre les travailleurs américains et chinois au-delà du cadre de « l’État nation et des logiques d’affrontements », ce dernier a tenu deux conférences en ligne ces dernières semaines sur le sujet des luttes contre « le capitalisme et l’impérialisme » puis « le racisme et le nationalisme ».
« Plutôt que de choisir un camp entre les États-Unis et la Chine, il nous appartient de prendre du recul »
« Nous refusons de choisir quel capitalisme ou quel impérialisme est “pire” ou “préférable”, y avance la chercheuse Rebecca Karl lors de son introduction, toujours disponible en ligne. Nous ne sommes pas les avocats d’un État ou d’un autre (...) Au contraire, nous nous devons d’être aussi radicaux que la réalité elle-même. » « Plutôt que de choisir un camp entre les États-Unis et la Chine, il nous appartient de prendre du recul et d’examiner la structure de l’économie globale qui permet de mettre en scène cette confrontation », renchérit son collègue Jake Werner quelques minutes plus tard.
Autant de perspectives politiques complexes, qui nécessitent souvent une analyse approfondie des contextes historiques locaux. La gauche française saura-t-elle s’en emparer pour affiner son positionnement ? « Notre famille politique a un devoir de cohérence, de clarté et d’analyse critique », veut croire le député européen Mounir Satouri. Au Parlement français, le chemin à parcourir pour « rattraper le retard » sera long, prévient Antoine Bondaz. Avant de conclure : « On entend souvent dire qu’en matière de diplomatie, ça ne sert à rien de dire quoi que ce soit parce que, de toute façon, “ça ne va rien changer”. Mais ne rien dire quand les libertés d’une génération entière sont menacées, c’est déjà grave. »
Pablo Maillé