Il a fallu plus de trois semaines au président de la République pour former son nouveau gouvernement. Et il a dû s’y prendre à trois fois. Après la nomination de Jean Castex comme premier ministre le 3 juillet, le choix des ministres le 6 juillet, Emmanuel Macron a opté dimanche 26 juillet pour onze secrétaires d’État, dont six nouveaux entrants. Une équipe pléthorique, et sans surprise.
Le chef de l’État, coincé par des difficultés récurrentes de ressources humaines, n’a réalisé aucune prise de guerre dans cette dernière liste – aucune figure de LR (Les Républicains) ne s’y trouve, pas même Guillaume Larrivé qui avait voté la confiance au gouvernement Castex. Ce sont surtout des députés de la majorité, jugés méritants par l’Élysée, qui ont été récompensés.
Aucune surprise ne figure dans ces choix de portefeuille, à part peut-être la disparition du portefeuille de lutte contre la pauvreté. À noter la création d’un secrétariat d’État à la ruralité, alors que Jean Castex a sans cesse le mot « territoire » à la bouche.
Alors que le chef de l’État avait promis une équipe de « combat », elle est finalement pléthorique avec 43 membres. Jamais un gouvernement n’avait été aussi peuplé depuis celui d’Alain Juppé en 1995. La parité est respectée, et même un peu mieux, puisqu’en comptant Jean Castex, il y a 21 hommes et 22 femmes dans ce gouvernement.
Parmi les reconduits : Sophie Cluzel, chargée des personnes handicapées ; Jean-Baptiste Lemoyne, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie ; Cédric O, qui voit son périmètre élargi, avec la transition numérique et les communications électroniques ; tout comme Adrien Taquet, dont l’intitulé du secrétaire d’État dépasse l’enfance, avec les familles.
Laurent Pietraszewski conserve sa double fonction, ainsi que la part de mystère qui entoure ses mission réelles. Ce marcheur de la première heure [1], 53 ans, avait été nommé en décembre au secrétariat d’État à la réforme des retraites, en remplacement d’un Jean-Paul Delevoye plombé par ses conflits d’intérêts.
Mais depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, l’ancien responsable des ressources humaines chez Auchan a surtout consacré l’essentiel de son temps à coordonner et diffuser les « guides de bonnes pratiques » du ministère du travail en direction des entreprises. Il a ainsi obtenu une nouvelle attribution : « La protection de la santé des salariés contre l’épidémie de Covid-19. [2] »
Laurent Pietraszewski arbore toujours cette double casquette, qui cache un enjeu majeur de la fin du quinquennat : la réforme des retraites, en panne depuis son adoption en première lecture à l’Assemblée, aura-t-elle bien lieu avant 2022 ? Et si oui, sous quelle forme ? Depuis sa nomination, Jean Castex temporise, tout en assurant que la réforme est « maintenue ».
Il est en fait probable que le gouvernement ne se lance pas dans une réforme systémique, et renvoie son « système universel » par points à plus tard. En revanche, il pourrait tenter de faire passer dans les mois à venir des mesures d’économie. Par exemple par une accélération du tempo pour l’allongement de la durée de cotisation prévu par la réforme Touraine votée en 2014 [3].
On verra alors si le secrétaire d’État et son gouvernement disposent du crédit politique pour faire passer une mesure si impopulaire, après le mouvement social historique de cet hiver.
Six nouvelles têtes font par ailleurs leur entrée au gouvernement
Nathalie Elimas, Olivia Grégoire, Sarah El Haïry, Joël Giraud, Bérangère Abba et Clément Beaune, les six nouveaux entrants au gouvernement. © DR/Wikipédia/Capture d’écran/AFP Nathalie Elimas, Olivia Grégoire, Sarah El Haïry, Joël Giraud, Bérangère Abba et Clément Beaune, les six nouveaux entrants au gouvernement. © DR/Wikipédia/Capture d’écran/AFP
Clément Beaune, le « Monsieur Europe » fidèle de Macron enfin récompensé
Cette fois-ci, c’est la bonne pour Clément Beaune. Plusieurs fois nominé lors des derniers remaniements, un temps dans la course pour être élu aux européennes, le conseiller « Europe » d’Emmanuel Macron à l’Élysée (qu’il avait déjà rejoint à Bercy en 2014), dont il est proche comme « marcheur » de la première heure (mais côté techno plutôt que politique), est enfin autorisé à sortir de l’ombre.
Considéré comme indispensable au Château, l’ancien conseiller budget de Jean-Marc Ayrault à Matignon, au profil classique IEP/ENA (avec en plus un passage au Collège d’Europe de Bruges) et aujourd’hui âgé de 38 ans, est respecté dans les arcanes bruxellois et s’est imposé comme incontournable dans la stratégie européenne macroniste.
Il est la plume des discours pro-européens de Macron (Athènes ou la Sorbonne), dont il est un « sherpa » réputé pour avoir du sens politique, négociant lors des conseils européens mais également présenté comme l’architecte de la stratégie de reconquête des institutions bruxelloises, à la commission comme au Parlement avec le groupe Renaissance. Pour l’instant, les actes ont eu du mal à suivre les discours et les intentions, mais Clément Beaune peut se targuer d’être constant et cohérent entre la campagne de 2017, ses conseils vis-à-vis du président et ses nouvelles fonctions. En l’état actuel du macronisme, ils ne sont pas nombreux.
Olivia Grégoire, une libérale à l’économie sociale et solidaire
Nouvelle venue dans le gouvernement, Olivia Grégoire est nommée secrétaire d’État en charge de l’économie sociale et solidaire (ESS) auprès de Bruno Le Maire. Ce n’est cependant pas une inconnue. Elle est issue de la tendance la plus libérale et « start-up nation » du macronisme. Née en 1978 et diplômée de Sciences Po dans la même promotion que le chef de l’État, elle a poursuivi avec l’Essec avant de fonder un cabinet de conseil en stratégie pour les PME. Sur le plan politique, elle a d’abord été proche d’Alain Madelin, avant de passer par les cabinets de Jean-Pierre Raffarin et Xavier Bertrand.
Élue députée dans le 15e arrondissement de Paris en 2017 contre l’indéboulonnable LR Philippe Goujon, elle s’est révélée comme un des piliers de LREM à l’Assemblée nationale et est marquée par une fidélité sans faille envers Emmanuel Macron. Son principal fait d’armes au Palais-Bourbon a été d’être la rapporteure de la loi Pacte, une loi qui, sous le couvert d’une modification bénigne du code civil sur la raison d’être des entreprises, engageait une nouvelle libéralisation structurelle de l’économie française. Favorable à la « responsabilisation du capitalisme », elle va donc prendre en charge un domaine, l’ESS, qui avait disparu du gouvernement avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en mai 2017.
Avec ce poste attribué à une fidèle du chef de l’État, le gouvernement Castex renforce son affichage d’un engagement en faveur d’un capitalisme écologique et social. Mais comme la loi Pacte n’était qu’un paravent à des mesures de libéralisation et de privatisation, le secrétariat d’État d’Olivia Grégoire résonne comme une tentative de « social washing », à l’image de la politique promue par Amélie de Montchalin à la fonction publique. Dans le cadre de la politique de l’offre défendue par son ministre de tutelle et à laquelle elle ne peut qu’adhérer, l’ESS n’a, au mieux, qu’une fonction de voiture-balai et, au pire, celle d’un affichage digne d’un village Potemkine.
Joël Giraud, un montagnard radical à la « ruralité »
Jusqu’en janvier, cet ancien du Parti radical de gauche (PRG) fut « rapporteur général » du budget à l’Assemblée nationale, soit le patron de la majorité à la commission des finances, poste-clef où il estime avoir incarné « l’aile gauche » de LREM. Hostile à la suppression de l’ISF en début de mandat, il revendique le vote de quelques compensations telles que la « taxe yacht » (qui n’a finalement pas rapporté grand-chose [4]).
En 2018, cet ancien haut fonctionnaire passé par Tracfin (le service de renseignement de Bercy qui lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment) se heurte à Gérald Darmanin lorsque le ministre du budget de l’époque nie l’existence de toute « cagnotte ». Pour Joël Giraud, non seulement elle existe, mais il faut en « redistribuer une partie » ». En deux ans et demi, il aura toutefois reculé bien plus souvent qu’imposé sa touche.
Comme sur la question des migrants d’ailleurs. Sur le projet de loi « asile et immigration » de Gérard Collomb, cet élu du Briançonnais, terre d’accueil historique des réfugiés, et où des exilés risquent gros chaque hiver en traversant des cols enneigés, avait sorti les crocs, dénonçant notamment l’allongement de la durée d’enfermement des sans-papiers en rétention. « Si c’est simplement ça, j’irai plutôt faire pipi » que de voter, disait-il. Le jour de l’adoption du texte, il a séché la séance, en effet, mais sans aller jusqu’à rejoindre les « frondeurs » de LREM qui se sont abstenus ou ont voté contre.
Désormais au gouvernement, ce « vieux protestant » militant du droit de mourir dans la dignité ou de la légalisation du cannabis [5] se consacrera à la « ruralité ». « En cette période de post-confinement, [elle] a le vent en poupe, a-t-il déclaré dans la presse locale au soir de sa nomination. Faut-il encore que les conditions de son développement en termes de services puissent accompagner ce nouvel engouement. » Prudence de montagnard encore.
Bérangère Abba, une secrétaire d’État à la biodiversité aux avis changeants
Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique, avait déjà deux ministres délégués : Emmanuelle Wargon, chargée du logement, et Jean-Baptiste Djebbari, chargé des transports. Elle hérite en plus, comme sa prédécesseure, d’un secrétariat d’État. Deux députés LREM se croisent au poste : Brune Poirson, qui y a porté la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, est partante ; entre au gouvernement Bérangère Abba, députée de la première circonscription de Haute-Marne. Elle sera en charge de la préservation de la biodiversité dans le nouveau gouvernement.
Elle est familière des sujets écologiques : en tant que députée, elle a été membre de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. En octobre 2019, elle a été désignée comme représentante du Parlement au conseil d’administration de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), où siège l’industrie nucléaire, et qui est chargée de créer le centre d’enfouissement de déchets nucléaires CIGEO près de Bure, dans la Meuse.
Le mois suivant, le site Reporterre [6] a révélé qu’elle avait été membre d’une association antinucléaire du Grand Est, opposée au projet. Elle a alors expliqué qu’elle s’était « détournée de cette forme de militantisme » et préférait désormais « le dialogue ». Une évolution vécue comme une trahison par ses anciens compagnons de militantisme.
Sur un sujet directement lié à la biodiversité, le glyphosate, Bérangère Abba a aussi changé d’avis. Le 28 mai 2018, elle a co-signé avec 43 députés LREM un amendement qui prévoyait la sortie du glyphosate dans les trois ans. Elle a finalement voté contre l’inscription de la sortie du glyphosate dans la loi agriculture et alimentation. Elle s’en expliquait ainsi.
Sur le #glyphosate les apparences sont parfois trompeuses et les raccourcis rapides. Je n’ai pas voté Contre le glyphosate mais Contre un amendement qui le voulait dans la loi. Pour une fin de l’utilisation à 3 ans bien sûr mais comment y arriver ? #dialogue #engagement #solutions [Twitt]
Nathalie Elimas, une ex-filloniste à l’éducation prioritaire
À 47 ans, Nathalie Elimas s’y connaît en « réinvention ». Ancienne cadre dans les ressources humaines, elle est devenue professeure des écoles après la naissance de ses quatre enfants. Soutien de François Fillon à la présidentielle de 2017, elle a rejoint les rangs de la majorité dès les législatives, où elle est élue députée (Modem) de la sixième circonscription du Val-d’Oise.
Jusque-là, Nathalie Elimas était adjointe au maire UMP-LR de Margency, une petite commune résidentielle du Val-d’Oise (3 000 habitants) et élue au conseil régional d’Île-de-France.
À l’Assemblée nationale, Nathalie Elimas s’est emparée des sujets relatifs à la politique familiale et à l’enfance, au sein de la commission des affaires sociales. Pour encourager la natalité, elle est notamment favorable à la perception des allocations familiales dès le premier enfant. À son initiative, une loi « visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli » est entrée en vigueur en mars 2019 [7].
En ce qui concerne les atteintes sexuelles sur mineurs, la députée défend la « présomption de contrainte » dès lors que la victime a moins de 13 ans. « L’affaire Sarah », dans laquelle un homme de 28 ans avait été poursuivi pour « atteinte sexuelle » sur une enfant de 11 ans [8], malgré une plainte pour viol – déclenchant un débat national –, s’était déroulée dans sa circonscription. Face au risque d’inconstitutionnalité, ce seuil d’âge a finalement été retiré du projet de loi [9].
À l’occasion de sa désignation comme secrétaire d’État, l’un de ses tweets, daté du 4 novembre 2012, a refait surface. Nathalie Elimas y rappelait son opposition au mariage pour tous : « Mariage homosexuel : union OUI mariage NON, c’est une question de symbole. On est en train de déchirer quelque chose de précieux. » Sur la PMA, Nathalie Elimas s’est abstenue, estimant que la notion de « projet parental », qui permet l’extension de l’accès à la PMA, serait la porte ouverte à la GPA.
Sarah El Haïry, recrue Modem et ex-LR en charge de la jeunesse et de l’engagement
Venue des rangs du Modem, Sarah El Haïry entre au gouvernement en remplaçant Gabriel Attal. La députée de la 5e circonscription de Loire-Atlantique a été nommée secrétaire d’État en charge de la jeunesse et de l’engagement auprès du ministère de l’éducation.
Sarah El Haïry a été élue en juin conseillère municipale de Nantes et conseillère à la métropole. Parallèlement, elle est la présidente du Modem de Loire-Atlantique, porte-parole nationale du parti et membre de son bureau exécutif. Au niveau local, elle s’est positionnée contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes tout en demandant l’évacuation de la ZAD.
La rédaction de Mediapart