Les députés turcs membres de la coalition au pouvoir (l’AKP, parti islamo-conservateur, et le MHP, extrême droite) ont adopté, mercredi 29 juin, une loi d’encadrement des réseaux sociaux qui fait planer la crainte d’un durcissement de la censure sur Internet. Aboutissement d’un projet annoncé par le président Erdogan au mois de juin, après que des insultes ont été proférées sur Twitter à l’encontre de son gendre et ministre de l’Économie Berat Albayrak.
Cette loi, que le gouvernement présente comme inspirée d’un système mis en place en Allemagne, concerne les réseaux sociaux comme WhatsApp, Facebook, Instagram ou Twitter, qui devront désormais disposer d’un représentant en Turquie. Ce représentant pourra être saisi par des particuliers ou par la justice turque pour obtenir la suppression d’un contenu et sera tenu de répondre à la demande sous 48 heures. Le texte prévoit également que les plateformes concernées devront stocker les données de leurs utilisateurs turcs sur des serveurs installés en Turquie. Les possibles usages abusifs de cette nouvelle législation inquiètent les opposants.
Supprimer les archives
“Il ne sera désormais plus possible d’ouvrir un compte de manière anonyme, les données des réseaux sociaux seront stockées dans le pays, et donc accessibles sur demande des autorités, en violation du respect de la vie privée ; des contenus pourront être supprimés des moteurs de recherche, ce qui deviendra un obstacle à ceux qui cherchent à s’informer de manière indépendante sur Internet”, énumère l’avocat Faruk Cayir, président d’une association travaillant sur l’éducation aux médias et la censure sur Internet, cité par le média en ligne Bianet.
“Il ne sera plus possible de mener des campagnes de désinformation pour manipuler l’opinion, se réjouit de son côté un éditorialiste du quotidien progouvernemental Sabah. Les mensonges et la diffamation seront soumis à des amendes pouvant aller jusqu’à 1 million de livres (150 000 euros). Cela va être difficile à vivre pour l’opposition, qui ne peut pas exister sans le mensonge.”
La presse d’opposition dénonce quant à elle l’arrivée d’une vague de censure. “La Turquie est déjà championne en la matière : entre 2012 et 2019, sur 7 396 demandes de fermeture de compte envoyées par des juges du monde entier à Twitter, 5 487 venaient de Turquie souligne un éditorialiste du quotidien d’opposition kémaliste Cumhuriyet. Leur but est de censurer la vérité, et aussi de supprimer d’Internet les archives qui leur sont défavorables, notamment celles qui montrent les liens qu’ils entretenaient avec Fetö [la communauté de l’imam Fethullah Gülen, ancien allié de l’AKP et accusé d’être l’auteur de la tentative de coup d’État de juillet 2016]”, déplore le journaliste.
YouTube et Netflix ans le collimateur
La nouvelle loi ne concerne pour l’instant que les réseaux sociaux, mais les plateformes de vidéos comme YouTube et Netflix sont également dans le collimateur du gouvernement, qui accuse notamment le géant américain des séries télévisées de “pervertir les valeurs turques”. Au mois d’avril, une série turque diffusée sur Netflix, Love 101, avait été expurgée au dernier moment d’un de ses personnages principaux en raison de son homosexualité.
Fin juillet, c’est le projet de série turque If Only qui a été annulé par le géant américain du streaming sous la pression des autorités, rapporte la BBC Turkce.
Courrier International
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